De petits réacteurs modulaires (SMR): le futur du nucléaire ?

Jusqu’à présent, toutes les technologies de réacteurs nucléaires étaient conçues pour de grandes installations avec des capacités de production de l’ordre du GW. Néanmoins, de nouveaux réacteurs de petite capacité, de l’ordre 10 à 300MW de production d’électricité sont en train d’être développés.

Que sont les petits réacteurs modulaires (PRM) ?

Les petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactors, SMR en anglais) sont des réacteurs nucléaires miniaturisant les technologies existantes. les avantages de la standardisation sont multiples:

  • On peut les construire dans des usines dédiées, ce qui accélère et améliore les processus
  • Il n’y a moins besoin de main d’oeuvre qualifiée sur le lieu d’installation
  • Il est possible de les construire en continu, l’installation à proprement parler est très rapide.

Ainsi, les SMR devraient pouvoir être construits en trois ans, contre 5 à 10 ans pour les centrales classiques. Leur prix devrait être du même ordre.

Un avantage du petit format est qu’il serait facile de les intégrer à des circuits de production. Il serait notamment ainsi plus facile de récupérer la chaleur. Cet usage est envisagé pour l’électrolyse haute température, les réseaux de chaleur urbains, ainsi que la dessalinisation. Shell et Nuscale ont déjà prévu d’utiliser les SMR pour la production d’hydrogène.

Enfin, ces réacteurs, comme le Toshiba 4S, seraient conçus pour nécessiter moins de supervision.

Notez que ce terme définit un format, pas une génération de réacteur nucléaire. En effet, on peut imaginer des SMR exploitant les technologies de 2e, 3e ou 4e génération de réacteur. Actuellement, ce sont la filière la plus matière, les réacteur d’eau sous pression, qui sont envisagés. Néanmoins, plusieurs projets envisagent la technologie des neutrons rapides.

Un rapport canadien estime que les SMR seront la source d’énergie la moins chère, une fois pris en compte le prix du stockage d’électricité.

Est-ce que les PRM sont aussi surs que les centrales nucléaires classiques ?

On peut se demander si les petits réacteurs modulaires sont aussi sécures que les centrales clasiques. L’IRSN a répondu que oui dans une note d’octobre 2021:

L’IRSN estime au contraire qu’il n’y a pas lieu de revoir à la baisse les exigences de sûreté pour les SMR, la simplification et les caractéristiques de sûreté inhérentes devant bénéficier à la sûreté et à la démonstration de celle-ci au travers du respect de ces exigences.

https://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20211008_NI_Small-Modular-Reactors.aspx#.Y587KX2ZOUl

Les projets de SMR (Small Modular Reactor) dans le monde

Des réacteurs de très petit format sont déjà utilisés dans certains porte-avions, sous-marins ou brise-glasse. Il y a énormément de concepts de réacteurs. Voici quelques exemples que j’ai trouvé notables.

TerraPower

Terrapower est une start-up soutenue par Bill Gates et l’un des leaders sur l’innovation nucléaire.

Elle poursuit actuelle plusieurs projets:

  • Natrium: un partenariat avec GE Hitachi Nuclear Energy pour créer un réacteur à neutrons rapides au sodium de 345MW. Ce projet a reçu 80 millions de dollars en 2020 du ministère de l’énergie américain.

Nuward

Nuward est un grand projet européen, porté par EDF, Framatome, le CEA, TechnicAtome et NavalGroup, qui ont de l’expérience dans la miniaturisation de l’énergie nucléaire. Annoncé en 2019, le premier design du réacteur est présenté en avril 2021. Ses premiers réacteurs auraient une puissance de 170MW et utiliseront la technologie à eau pressurisée. Ils pourraient être construits en 40 mois et commenceraient à être déployés au début des années 2030.

Le prix ciblé serait entre 50 et 80 euros le MWh de puissance électrique.

Nuscale

Nuscale est une entreprise installé en Oregon pionnière des SMR. Ses prémisses reposent sur des recherches conduites par le ministère de l’énergie des Etats-Unis et conduites par plusieurs universités au début des années 2000. Si la subvention s’arrêta en 2003, un groupe de chercheurs de l’université d’Oregon continua et hérita de la technologie en 2007, amenant à la création de Nuscale cette même année. En 2011, Nuscale a levé 35 millions de dollars. Elle est entrée en bourse à travers une fusion en mai 2022 et a levé ainsi 380 millions de dollars.

Leurs réacteurs seraient des réacteurs à eau présurisée. Une de ses particularités est qu’il peut fonctionner pendant 12 années sans être ravitaillé, même si le cycle de renouvellement est en principe de 2 ans. Un premier pas vers l’homologation aux Etats-Unis a été atteint avec un communiqué du 29 juillet 2022. La certification a été prononcée 19 janvier 2023, avec entrée en vigueur le 21/02/2023.

Le « Nuscale Power Module » est tout en hauteur et produirait 77MWe d’électricité au maximum. Ils prévoient de commercialiser dans des centrales en contenant 12, pour 924 MWe, nommées « VOYGR ». Le prix final (LCOE) serait entre 40 et 65$/MWh. Les centrales pourraient être construites en moins de 3 ans.

Moltex

Moltex est une entreprise britannique assez originale, développant un réacteur à neutrons rapides à « sels stables », ainsi qu’un procédé qui permettrait de recycler des déchets nucléaires en combustible (WATSS) et un autre permettant de stocker l’énergie thermique du réacteur. [rq: j’ai l’impression qu’ils parlent de combustible usagé plutôt que de « déchets nucléaires » stricto sensu]

Une de ses caractéristiques est que ce réacteur s’aut-régulerait complètement: plus la chaleur augmente, plus l’intensité de la réaction diminuerait.

Holtec

Holtec est une entreprise américaine développant un réacteur (à vapeur pressurisée?) compact pouvant produire 160MWe : le module SMR-160. Son principal atout serait une sécurité absolue.

Kairos Power

Kairos Power est une startup créée en 2016 en Californie pour développer un réacteur à haute température à sels fondus générant entre 100 et 400MW de chaleur. Il a reçu une aide de 303 millions d’euros sur 7 ans en 2020, pour construire un prototype près du Laboratoire national d’Oak Bridge.

Newcleo

Newcleo est une startup italienne lancée par un physicien italien, Stefano Buono, qui a levé en deux mois 118 millions d’euros, puis 300 millions d’euros en juin 2022. Son concept est un réacteur neutrons rapides (RNR) au plomb liquide. La taille ciblée serait 200MW. Elle travaille avec l’ENEA (= le CEA italien).

Naaera

Naaera est une start-up française développant des réacteurs à neutrons rapides à sels fondus. L’idée est d’utiliser le combustible nucléaire usé des centrales françaises. Ils visent le marché du groupe électrogène, avec des capacités entre 1 et 40MW. Le reacteur ne nommerait XSMR.

Elle est notamment financée par Paris Mouratoglou (fondateur d’EDF Energies nouvelles et Eren Groupe) et un accord de coopération a été signé avec Assystem, un groupe d’ingénierie, qui se chargerait des prestations de gestion de projet et d’accompagnement à l’obtention des permis, d’intégration et d’ingénierie.

Rolls-Royce

Rolls Royce a développé un concept de SMR de 470MW électriques et a inité la procédure réglementaire d’approbation de son concept. Le projet avait reçu 210m£ pour son développement.Le premier réacteur pourrait être produit en 2029. Le cout opérationnel serait 68$/MWh.

Toshiba 4S

Le Toshiba 4S est un concept développé par Toshiba et l’institut central de recherche des industries électriques (CRIEPI) du Japon. Il s’agirait d’un réacteur de 4e génération, à neutron rapides à sels fondus.

Il est très particulier: conçu pour fournir 10MW, il devrait être enterré 30m sous terre. Il avait été proposé en 2011 en Alaska, à Fairbanks.

Les installations de PRM dans le monde

Il y a également déjà des projets d’installation. Voici quelques exemples.

  • Chine.
    • En juin 2021, la Chine a approuvé la construction d’un démonstrateur de centrale utilisant l’ACP100, un réacteur à eau pressurisée de type SMR de 125MW électriques. Il avait été approuvé par l’agence internationale de l’énergie atomique en 2016. Le chantier a commencé en juillet 2021 sur l’île d’Hainan, pour une puissance cible de 125MW. Le réacteur, ACP100 est à eau pressurisée.
  • France.
    • Il y avait déjà eu des projets de petits réacteurs nucléaires pour des applications navales (CAS2G et CAS3G) et un réacteur de 100 MW thermiques (Thermos) pour alimenté un réseau de chaleur, qui a été abandonné en 1977, renait puis est de nouveau abandonné en 1981. Il y a également eu Flexblue, un projet créé en 2011 et abandonné.
  • Roumanie.
    • Nuscale, E-Infra et Nuclearelectrica ont signé en 2022 un mémorandum d’entente pour la construction d’une centrale à Doicesti.
  • Russie.
    • En décembre 2019 a été mise en service une centrale nucléaire flottante « Akademik Lomonosov » avec 2 réacteurs PWR de 35MW.
  • République Tchèque.

SMR: le challenge réglementaire

Dans le nucléaire, la réglementation est cruciale. Or, celle de la plupart des pays est adaptée aux grandes structures. Il va donc falloir que chaque pays développe de nouvelles lois pour encadrer ce nouveau format. A titre d’exemple, l’autorisation de la NRC (l’agence nucléaire américaine) validant le design de la technologie nuscale a duré 4 ans et nécessité la dépense de 500 millions de dollars.

Plus problématique, les règles changent d’un pays à l’autre. Or, leur modularité fait qu’ils ont vocation à être exportés et à être standardisés. Développer des standards communs sera un des challenges pour le développement de cette filière. C’est d’autant plus compliqué que les autorités de sûreté sont sonvent très indépendantes.


Références

  • J. Richards et C. Mabry, « Power When You Need It: The Case for Small Nuclear Reactors », Institut C.D. Howe, 15 novembre 2022
  • Testoni R., Bersano A., Segantin S., « Review of nuclear microreactors: Status, potentialities and challenges », Progress in Nuclear Energy, Volume 138, August 2021, 103822, https://doi.org/10.1016/j.pnucene.2021.103822

Pour aller plus loin

  • OCDE, Small Modular Reactors: Challenges and Opportunities , 2022
  • SFEN, 1/7 – SMR, le paradis des ingénieurs, https://www.sfen.org/rgn/1-7-smr-paradis-ingenieurs/
  • Un article sur la compétition entre SMR au Royaume-Uni : https://www.telegraph.co.uk/business/2022/12/12/rolls-royce-rivals-gear-mini-nuke-race-power-system-creaks/
  • 3 threads Twitter extrêmement instructifs:
    • Laydgeur, un ingénieur, approfondissant notamment Nuward : https://twitter.com/laydgeur/status/1450549562050060294
    • Sur l’histoire des SMR par Michael Mangeon: https://twitter.com/Mangeon4/status/1448527841658904579
    • De Buchebuche, un autre ingénieur
      • https://twitter.com/buchebuche561/status/1174424956094078977
      • Sur les projets FR: https://twitter.com/buchebuche561/status/1468584730530562056