Tchernobyl: le pire accident nucléaire
L’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl du 26 avril 1986 est le pire accident nucléaire, ayant contaminé toute l’Europe et causé l’exclusion de toute activité humaine de plusieurs zones. Néanmoins, son bilan final est modéré: de l’ordre de 4000 cancers de la thyroïde parmi les ouvriers et les habitants locaux, dont la quasi-totalité aurait été guéri. Seuls morts démontrés: 28 personnes étant intervenues et 15 personnes des suites de cancers. En termes de sûreté nucléaire, c’était le résultat de manquement quasi-criminels dont l’issue était en fait très prévisible pour des réacteurs avec des failles de sécurité déjà ahurissantes pour l’époque.
Présentation de la centrale nucléaire de Tchernobyl
La centrale nucléaire de Tchernobyl est située dans la ville de Pripiat en Ukraine, à 18km de la ville de Tchernobyl, à quelques kilomètres de la frontière biélorusse au nord de Kiev. Elle devait avoir 6 réacteurs de type RMBK, mais elle n’en aura au final que 4, construits respectivement en 1970, 1973, 1976 et 1979. Ils ont respectivement été connectés au réseau en 1977, 1978, 1981 et 1983. Ces réacteurs produisaient chacuns 3200MWth, soit 1000 MWe.
L’accident concerna le réacteur 4 et on arrêta les 3 autres. Néanmoins, après une opération de nettoyage, ces derniers furent redémarrés et furent successivement arrêtés le 11 octobre 1991 (la salle des machines du réacteur 2 a subi un incendie), en novembre 1996 (réacteur 1) et, enfin, le 15 décembre 2000 (réacteur 3).
Les réacteurs de type RBMK utilisent de l’oxyde d’uranium comme combustible et de l’eau comme liquide caloporteur, comme les réacteurs à eau pressurisée. Néanmoins, ils utilisent du graphite comme modérateur et n’ont pas d’enceinte de confinement. Le réacteur est composé de blocs de graphites à travers desquels se trouvent 2500 « tubes de force », contenant pour la majorité du combustible et le reste des barres de contrôle et des systèmes d’instrumentation du coeur.
Déroulement de l’accident nucléaire de Tchernobyl
Contexte : le test de sûreté
Les pompes alimentant le réacteur en eau pour le refroidissement doivent pouvoir fonctionner pendant un certain temps en autonomie, par exemple s’il faut éteindre le réacteur. Les réacteurs disposaient donc de 3 générateurs diesel pour pallier une éventuelle défaillance. Ils ont besoin de 15 secandes pour démarrer et jusque 75 secondes pour atteindre leur pleine puissance, ce qui laisse 90 seconde de retard potentiellement: une éternité à l’échelle d’un accident nucléaire.
Pour y pallier, une solution permet de « gagner » 45 secondes: utiliser l’énergie cinétique résiduelle des turbo-alterneteurs. Pour gagner 45 secondes de plus, on propose d’utiliser, en plus, la puissance résiduelle de la vapeur. C’est pour tester ce dispositif qu’ont été mis en place plusieurs tests: 1982, 1984, 1985, puis celui que nous étudions, 25 avril 1986. Les trois premiers tests avaient échoué.
Dès le début, on pouvait s’attendre au pire. Etant considéré comme un test purement électrique, les auteurs du protocole de test ne connaissaient pas le comportement du réacteur RBMK-1000 et il fallait désactiver certains systèmes de sécurité cruciaux, comme le système de refroidissement de secours.
La diminution de puissance
Le test devait se dérouler à 700MWth. La réduction de puissance commença le 25 avril 1986 à 1h6. Premier dysfonctionnement lorsque l’équipe de jour commence son service (8h): le nombre de barres de contrôle insérées dans le réacteur est inférieur au nombre requis. Toutefois, par peur de sanctions hiérarchiques, le test se poursuit.
Le système de refroidissement de secours est « isolé » (= désactivé) à 14h. Un problème dans une autre centrale délaie néanmoins le test. A 16h, l’équipe de jour est remplacée par une autre équipe (dirigée par Iouri Trehub) qui ne connait pas les procédures de l’essai, qui aurait déjà dû être fini. Le test peut repartir vers 22h, mais on attend Anatoli Diatlov, ingénieur adjoint de la centrale, qui connait mieux le protocole de test. Il n’arrive qu’à 23h, mais décide d’attendre l’équipe de nuit, qui arrive à 24h et n’a également pas été formée pour le test.
Chute de puissance inattendue
La puissance cible est attente à 0h05. Néanmoins, la puissance continue de chuter en raison de la production d’un sous-produit de fission, du xénon-135, un absorbeur de neutron. Vers 0h28, la puissance a chuté à 500 MWth. L’opérateur chargé du déplacement des barres de contrôle, Leonid Toptounov, fait une erreur qui arrête quasi-complètement le réacteur, tombant à 10 MWth. Aidé par Trehub, il réussit à faire remonter la puissance.
Le test supposait l’activation de deux pompes de réserves à 1h03 et 1h07. Cela diminua le débit de vapeur et la puissance du réacteur. Il a fallu fermer les pompes et retirer manuellement des barres de contrôle, n’en laissant que 9 sur 167.
« Vrai » début du test et explosion
Nous sommes le 26 avril, 1h 23 min et 4s, le test proprement dit commence enfin et les vannes d’alimentation en vapeur de la turbine sont fermées et l’alimentation des pompes est fournie par l’inertie du turbo-alternateur. L’eau refroidissant le réacteur décroit à mesure que ladite inertie diminue, causant montée en chaleur du réacteur, puis sa montée en puissance rapide.
36 secondes plus tard, le chef d’équipe, Aleksandr Akimov, voit le réacteur s’emballer et déclenche l’arrêt d’urgence. Les barres de contrôle descendent, mais trop lentement. Il coupe l’alimentation de leur mécanisme de maintien pour qu’elles tombent par gravité, mais le réacteur ayant trop chauffé, les canaux se sont déformés et bloquent les barres.
4 secondes plus tard, la puissance du réacteur est plus de 100 fois supérieure à sa puissance nominale et le réacteur explose. La dalle de béton couvrant le réacteur est projetée en l’air et retombe de biais sur le réacteur, qui se fracture. Un incendie se déclenche.
La gestion des suites de l’accident
Suites immédiates: éteindre l’incendie
Les suites immédiates sont marquées par la négation de l’événement. Le directeur de la centrale, Viktor Brioukhanov, réveillé à 1h30 n’appelle le ministère de l’énergie qu’à 4h et prétend que le coeur du réacteur n’est probablement pas endommagé. Pire, pour éteindre l’incendie, il va simplement appeler les pompiers. Ces derniers, n’ayant pas d’équipement de protection, seront gravement irradiés. L’eau étant peu utile sur les matières nucléaires, leur action fut, en plus, inutile.
Le principal danger posé par l’incendie était qu’il cause l’effondrement du réacteur dans les parties souterraines noyées par les pompiers. En effet, le contact entre la matière en fusion (le corium) et l’eau déclencherait une explosion d’une puissance de 4 mégatonnes.
Le feu fut finalement éteint grâce à 5000 tonnes d’un mélange de sable, argile, plomb, bore, borax et dolomite jetés depuis des hélicoptères. L’eau en dessous fut quant à elle drainée. De plus, un tunnel fut foré sous le réacteur par environ 400 mineurs afin de renforcer la dalle de béton sur laquelle repose le réacteur. Celle-ci céda le 6 mai, mais cela aboutit, en fait, à diminuer l’activité radioactive du coeur.
La décontamination: mai à décembre
Dans les mois qui ont suivi, plus de 530 000 ouvriers, appelés « liquidateurs » viennent « nettoyer » le terrain environnant et, surtout, construire un premier sarcophage sur le réacteur. Cette dernière tâche était particulièrement risquée.
L’évacuation
L’évacuation ne commence que le 27 avril et concerna les populations environnantes, pour total d’environ 350 000 personnes.
Le nuage radioactif
L’explosion, puis l’incendie, ont libéré d’importantes quantités de matières radioactives. Un nuage produit s’est d’abord dirigé vers le nord-ouest, arrivant en scandinavie le 28 avril (où il sera détecté par les centrales nucléaires) avant d’être rabatty vers l’est, puis ramené vers les balkans. Un autre nuage s’est dirigé à partir du 27 avril vers l’ouest touchant Allemagne, France et Italie du nord entre le 30 avril et le 5 mai. Par la suite, d’autres panaches successifs vont toucher l’Europe de l’Est et du sud.
Elles ont été détectées par des centrales nucléaires suédoise dès le lendemain (28 avril). Le Kremlin a d’avoir voulu minimiser l’événement, évoquant un accident de gravité moyenne, puis se dédouanner, affirmant avoir été mis au courant tardivement de l’ampleur des dégats.
Outre des retombées radioactives au nord-est de la centrale, il ne semble pas qu’il y ait eu d’effet notable observé.
Le confinement
Le premier sarcophage a été fait de manière très hâtive et approximative. Aussi, la communauté internationale, s’inquiétant d’une possible dégradation du dispositif jugea en 1997 qu’une intervention était nécessaire. Les années suivantes ont été renforcées les structures existantes et construites des infrastructures (vestiaire, hôpital …). Surtout, a été construite une arche de 162 mètres de long et 108 mètres de haut, à partir de 2012, pour créer une enceinte de confinement supplémentaire. Elle aurait couté au total 1.4 milliards de dollars.
Conséquences de l’accident nucléaire de Tchernobyl
Cancers et décès
La question des conséquences sanitaires de Tchernobyl est controbersé. Actuellement, il y a deux rapports qui font autorité: un rapport de l’OMS de 2005 et de l’UNSCEAR en 2008.
Le rapport de l’OMS de 2005 sur Tchernobyl
Un rapport de l’OMS de 2005 estime que :
- ont été exposés à des doses de rayonnements très élevés environ 1000 personnels du réacteurs le premier jour de l’accident et, parmi les liquidateurs, 2200 pourraient décéder des suite d’une radio-exposition.
- 4000 cas de cancer de la thyroïde, principalement chez des enfants/adolescents au moment de l’accident, sont imputables à la contamination. Tous auraient guéri, sauf 9 enfants qui seraient décédé.
- « La plupart des membres des équipes d’intervention et des habitants des zones contaminées ont reçu des doses à l’organisme entier relativement faibles, comparables aux niveaux du fond naturel de rayonnement. »
- Les conséquences psychologiques ont été problématiques, causant notamment un ‘fatalisme paralysant’ chez les habitants avoisinnant.
- Au total, « les rayonnements pourraient provoquer à terme jusqu’à 4 000 décès chez les populations les plus exposées après l’accident de Tchernobyl, à savoir les membres des équipes d’intervention en 1986 et 1987, les personnes évacuées et les résidants de la plupart des zones contaminées. Ce nombre inclut les décès avérés consécutifs à des cancers et des leucémies radio‑induits ainsi que des statistiques prévisionnelles basées sur les estimations des doses de rayonnements reçues par ces populations. »
Le rapport de l’UNSCEAR de 2008 sur Tchernobyl
Le rapport de l’UNSCEAR de 2008 juge que les décès attribuable « de façon fiable » à l’accident et ses retombées est limité à 43 : 28 des personnes étant intervenues sur place (pompiers et personnels) et 15 personnes dans la population environnante des suites de cancers de la thyroïde.
- Jusqu’en 2005, 6000 cancers de la thyroïde ont été diagnostiqués chez les personnes ayant été enfants et adolescents dans les zones les plus affectées, dont « une large fraction » serait imputable au contact avec de l’iode radioactive (ce qui est cohérent avec le chiffre de 4000 de l’OMS).
- Les doses reçues auraient été en moyenne de 120 mSc pour les 530 000 liquidateurs, 30mSv pour les 115 000 personnes évacuées de la zone la plus touchée et 9mSv sur les deux décades après l’accident pour ceux qui ont continué à vivre dans les zones contaminées.
- Des 600 employés présents sur le site, 134 ont reçu de hautes dauses (0.5-16Gy), dont 28 sont morts dans les 3 mois. La santé des 106 patients ayant survécu n’est revenue à la normale que plusieurs années après. 19 d’entre eux sont décédés dans les 15 ans de causes variées.
Il conclut : « Des vies ont été fortement perturbées par l’accident de Tchernobyl, mais d’un point de vue radiologique, des perspectives généralement positives pour la santé future de la plupart des individus [concernés] devraient prévaloir. »
Quid du reste de l’Europe ?
Des nuages radioactifs ont touché une large part de l’Europe. En France, les zones les plus touchées ont été l’Est, le Sud-Est et la Corse. Ont notamment été contaminés au césium 137 et à l’iode 131 le lait et les laitues. Les contaminations ont dépassé 20 000Bq/m² dans plusieurs endroits.
Il ne semble pas que le reste de l’Europe, touchée par le nuage radioactif, ait subi d’effets négatifs sensibles. La dose moyenne des zones contrôlées a été de 0.5 mSv.
Encore aujourd’hui, il y a des restes de contamination, mais elle est assez négligeable. Ainsi, un habitant des zones les plus touchées recevrait une dose moyenne de 37µSv/an, voire 80 s’il consomme régulièrement des champignons sauvages et gibiers venant des zones touchées.
Un incident extraordinaire
L’accident de Tchernobyl, en raison de ses circonstances exceptionnels, a été beaucoup moins riche d’enseignement pour la sûreté nucléaire que l’accident de Three Miles Island. En effet, par conception, les réacteurs russes avaient des failles importantes, dont les plus évidentes sont :
- L’absence d’enceinte de confinement, alors même que l’accident de Three Miles Island en avait montré l’importance.
- La lenteur des barres d’arrêt d’urgence: 28 secondes ! C’est une éternité à l’échelle d’un réacteur nucléaire.
En outre, les dysfonctionnements managériaux sont évidents et dramatiques.
Au final, il a simplement motivé des progrès pour moderniser les réacteur RBMK qui ne sont, en 2016, plus que 11, tous en Russie.
Un territoire interdit ?
Une large zone est interdite autour de la centrale.
Toutefois, le danger semble à relativiser.
Visiter la centrale serait possible. Un Twittos raconte n’avoir reçu, après 3h de visite de la centrale elle-même, que 5μSv (voir ci-contre). E
La bataille de Tchernobyl: un risque de sécurité ?
Le 24 février 2022, la Russie tente d’envahir l’Ukraine et de prendre Kiev. Dès l’après-midi, les troupes russes attaquent la zone autour de Tchernobyl et réussissent, à la fin de la journée, à prendre la centrale.
Cela a fait craindre l’utilisation de la centrale pour faire pression sur l’occident. Une légère augmentation de radioactivité avait d’ailleurs été enregistrée dans la zone, mais c’était lié au passage des véhicules, qui ont soulevé des poussières radioactives.
Un problème plus sérieux est apparu le 8 mars: l’AIEA annonce alors ne plus recevoir de données de surveillance de la centrale. Elle avait en effet été coupée du réseau électrique. La centrale pouvait fonctionner 48 heure, mais uniquement pour assurer le refroidissement de l’eau des piscines de stockage des combustibles usagés. Le 13 mars, l’alimentation électrique de la centrale est rétablie.
Le 29 mars, les Russes quitent la centrale nucléaire.
Pour aller plus loin
- https://www.unscear.org/unscear/en/areas-of-work/chernobyl.html
- OMS 2006, « Health effects of the Chernobyl accident and special health care programmes« , https://www.who.int/publications/i/item/9241594179
- Un compte Twitter très instructif: https://twitter.com/TchernobylFR