Réacteurs de 4e génération: le nucléaire du futur ?

Comment fonctionnera l’énergie nucléaire du futur ? La troisième génération de réacteur est en cours de construction, mais et après ? C’est la question à laquelle répond le Forum International « Génération IV », présentant les fillières de fission nucléaires étudiées pour être la 4e génération de réacteurs.

Les critères auxquels ces réacteurs sont censés répondre sont: durabilité (économes en ressources naturelles et production moindre de déchets), sûreté, compétitivité économique et ne pas faciliter le développement du nucléaire militaire. Il y a actuellement 6 filières de réacteurs, qui ont la particularité d’avoir plusieurs modes de fonctionnements.

  • réacteur à neutrons rapides
    • à caloporteur sodium (SFR) ;
    • à caloporteur gaz (GFR) ;
    • à caloporteur plomb (LFR).
  • réacteur à très haute température (VHTR) ;
  • réacteur à sels fondus (MSR) ;
  • réacteur à eau supercritique (SCWR) ;

Leurs promesses sont extraordinaires pour les réacteurs à neutrons rapides. Ils pourraient utiliser de l’uranium 238 pour fonctionner, ce qui multiplierait par 100 l’approvisionnement disponible et permettrait d’utiliser les nombreuses tonnes de ce composant qui sont stockés en attendant. L’étape d’après serait la fusion nucléaire, mais elle est encore à un stade très expérimental.

Notez que, globalement, la 4e génération est en fait étudiée dès les années 1950, même si elle n’est formalisée qu’avec le forum international né en 2001. Néanmoins, il y a eu, entre les années 70 et 2000 une traversée du désert, les financements s’étant taris.

Les réacteurs à neutrons rapides

Les réacteurs actuels sont dits à neutrons lents ou « thermiques ». En effet, on va entourer le combustible d’un modérateur qui va ralentir ou « thermaliser » les neutrons. Les combustibles doivent être susceptibles de facilement fissioner, comme par exemple l’uranium 235. Les réacteurs à neutron rapide n’utilisent pas de modérateur. Ils peuvent ainsi fissioner tous les noyaux lourds et non plus seuls ceux qui sont fissiles. Cela permettrait notamment de valoriser les stocks de MOx et d’URE (Uranium Ré-Enrichi): restes de combustible usé qui ne sont plus utilisables dans les centrales classiques.

L’inconvénient est que davantage de neutrons tendent à sortir du réacteur. Pour l’éviter, tout en en profitant, on peut placer des matériaux fertiles en périphérie du coeur: ils vont récupérer les neutrons sortants et devenir fissiles. C’est ce qu’on appelle la surgénération. Cela peut permettre à un réacteur de produire autant de combustible qu’il n’en consomme. Cela permet aussi de transmuter des déchets en composés à plus courte durée de vie.

Il y a trois types de réacteurs à neutron rapide (RNR), utilisant chacun un caloporteur différent: du gaz (RNR-G, ou Gas-cooled fast reactor system, GFR), du sodium fondu (RNR-Na, ou Sodium-cooled fast reactor system, SFR) ou un alliage de plomb (RNR-Pb, Lead-cooled fast reactor system, LFR).

Le réacteur à neutrons rapides à caloporteur sodium

C’est la technologie de 4e génération la plus avancée. On le préfère à l’eau, notamment parce qu’il ralentit moins les électrons. Actuellement, il y a deux réacteurs russes à neutrons rapides en fonctionnement : BN-600 (560MWe) et BN-800 (820MWe) sont respectivemnt en service depuis 1980 et 2015. En Chine, un réacteur de 600MWe est en construction (Xiapu). En Inde, un réacteur de 470 MWe (PFBR) est en construction.

Il y a eu des réacteurs de recherche au Kazakhstan, au Royaume Uni (Dounreay Fast Reactor; Dounreau Prototype Fast Reactor), aux Etats-Unis (Enrico Fermi 1), en Allemagne (KNK II) et au Japon (Monju).

En France des réacteurs de recherche (Rapsodie 1967-1983, Phénix 1973-2010 et Superphénix 1986-1996, deux prototypes). Le projet Astrid devait entrer en service fin 2020, mais ce projet a été abandonné en 2019.

Le réacteur à neutrons rapide à caloporteur gaz

Il y actuellement plusieurs technologies qui utilisent le gaz comme caloporteur. C’est notamment le cas des anciens UNGG français et des réacteurs Magnox britanniques. A partir de ces derniers ont d’ailleurs été développés des réacteurs avancés refroidi au gaz (Advanced Gas-cooled Reactor, AGR). Refroidis au CO2, ils arrivent à atteindre une température supérieure que les REP (640°C contre 325°C) et obtiennent donc de meilleurs rendements (41% contre ~34%).

Je n’ai pas d’éléments sur leur version à neutrons rapides.

Le réacteur à neutrons rapides à caloporteur alliage de plomb

Des RNR pourrait utiliser du plomb ou un alliage avec du bistmuth (on parle de refroidisseur eutectique plomb-bistmuth). Comme pour le refroidissement au sodium, l’intérêt est la très haute température qu’on peut atteindre: au-delà de 500°C. Il serait théoriquement possible d’atteindre les 800°C, mais ce n’est pas encore atteint en pratique.

Il y a actuellement en Belgique un projet de RNR utilisant du plomb comme caloporteur: MYRRHA. Porté par le SCK CEN, c’est un réacteur de recherche très particulier, puisque sa charge est pilotée par un accélérateur de particules (« linac »). Si ce dernier s’arrête, la réaction nucléaire stoppe immédiatement. Il est refroidi par de l’eutectique plomb-bismuth (LBE), dont le point de fusion est assez bas (125°C) et celui d’ébullition à 1670°C. Contrairement aux réacteurs à eau, il peut ainsi fonctionner à une pression normale. Il permettrait notamment de produire des radio-isotopes thérapeuthiques d’ici 2027.

Il y a également un prototype en Russie de 300MW: Brest-300 à Seversk. comme projets, il y a le dual fluid reactif en Allemagne, le Swedish Advanced Lead Reactor en Suède ou encore le SSTAR aux Etats-Unis.

La startup Newcleo développe de petits RNR au plomb, de 30 à 200MWe.

Les réacteurs à très haute température

Les Réacteur à très haute température refroidi à l’hélium (RTHT, ou Very high temperature reactor system, VHTR) utilise le graphite comme modérateur et l’hélium comme caloporteur.

Un démonstrateur de cette filière, utilisant un lit de galets modulaire refroidi au gaz à haute température (high-temperature gas-cooled modular pebble bed en anglais ou HTR-PM), a été mis en service fin décembre 2021 en Chine.

Certains utilisent des sels fondus comme « réfrigéreant » (liquid-salt very-high-temperature reactor, LS-VHTR).

Les réacteurs à eau supercritique

A 374°C et 221 bars, l’eau entre dans un état supercritique, c’est-à-dire qu’elle est à la fois gazeuse et liquide. C’est sous cette forme qu’elle est utilisée par les réacteurs à eau supercritique (RESC, ou Supercritical water-cooled reactor system, SCWR). Cela permet d’obtenir un rendement thermique 30% supérieur aux rendements actuels, dits « à eau légère ». Ces réacteurs peuvent utiliser, comme nos réacteurs actuels, de l’oxyde d’uranium (235) ou du MOX.

Les réacteurs à sels fondus

Les réacteur à sels fondus (RSF, ou Molten salt reactor system, MSR) sont très populaires. En effet, les sels fondus sont très denses et

Leur intérêt est que les sels fondus peuvent monter beaucoup plus haut en température que l’eau: 700°C. Cela ouvre des possibilité étendues de cogénération. Surtout, ces températures sont atteintes dans des conditions de pression normales, ce qui limite les risques de fuite et permet de se passer des enceintes très épaisses et robustes utilisées par les réacteurs à eau pressurisée. Ils sont particulièrement sécures, le combustible pouvant être rapidement refroidi et solidifié, ce qui stoppe toute réaction en chaine intempestive.

L’un des intérêts est souvent de pouvoir utiliser du thorium comme combustible. En outre, le processus produirait, même avec de l’uranium, moins d’actinides, les déchets radioactifs les plus problématiques. Les challenges sont la corrosion des sels, ainsi que leur transmutation par le flux de neutrons.

Il y a actuellement deux pistes:

  • Un réacteur à neutrons rapides, comme nous l’avons vu, dont la matière fissile est dissoute dans un sel fondu, qui sert de caloporteur.
  • Un réacteur où le combustible est enfermé dans du graphite et où le sel sert de réfrigérant.

Dans les deux cas, vous avez trois circuits et non deux: un circuit primaire avec le combustible, un échangeur de chaleur avec un autre sel fondu, puis un générateur de vapeur qui fait tourner les turbines.

Principalement initiée par le réacteur expérimental d’Oak Ridge ayant fonctionné de 1965 à 1969, c’est aujourd’hui une piste creusée par plusieurs entreprises, dont plusieurs concepteurs de petits réacteurs modulaires (PRM).

La Chine devrait lancer bientôt un petit réacteur expérimental de 2MW fonctionnant au thorium: le TMSR-LF1. Ce serait un réacteur lent utilisant comme sel carburant un mélange de FLiBe (= mélange de fluoride de lithium et de fluoride de bérylium), de fluoride de zirconium, d’uranium et de thorium. Le sel refroidissant serait le FLiBe. Ce type de réacteur ne nécessitant pas d’eau de refroidissement, il est envisagé pour l’ouest de la Chine, où l’eau est justement plutôt rare.

Plusieurs startups développent des petits réacteurs modulaires de 4e génération aux sels fondus:

  • Terrestrial Energy a présenté un concept de Integral Molten Salt Reactor de 390MWe fin 2021.
  • TerraPower développe aussi un Molten Chloride Fluoride Reactor.
  • La startup française Naarea, avec des réacteurs d’une puissance entre 10 et 40MW.
  • Moltex développe des réacteurs à neutrons rapides de 40MWth.

A part: les réacteurs couplé à un accélérateur de particules

Un autre type de réacteur, qui n’appartient pas stricto sensu à la 4e génération (parce qu’il n’a pas été identifié par le forum international), mais pourrait très bien y appartenir, est un système basé sur un accélérateur à particules. C’est ce dernier qui va produire des neutrons rapides et contrôler la réaction en chaîne. C’est extrêmement sécure, cette dernière s’arrêtant dès que l’accélérateur s’arrête. Ce serait également une solution fonctionnant avec des neutrons rapides et de favorisant la transmutation des atomes radioactifs en des atomes moins problématiques.

C’est notamment le projet Transmutex qui développe cette technologie.


Pour aller plus loin:

  • https://www.world-nuclear-news.org/Articles/US-companies-look-to-expand-Natrium-reactor-deploy
  • Sur les sels fondus: https://fissionliquide.fr/
  • Le fil Twitter d’un ingénieur nucléaire, Tristan Kamin, avec beaucoup de ressources, extrêmement complet: https://twitter.com/TristanKamin/status/1402011017685647361

Références

  • Marcin Karol Rowinski, Timothy John White, Jiyun Zhao, Small and Medium sized Reactors (SMR): A review of technology, Renewable and Sustainable Energy Reviews, Volume 44, 2015, Pages 643-656, ISSN 1364-0321, https://doi.org/10.1016/j.rser.2015.01.006.