Stockage d’électricité: un point crucial de la transition énergétique

C’est l’un des grands challenges de la transition écologique: le stockage d’électricité. C’est une question au coeur de l’écomobilité et, surtout, de la production d’électricité en général: comment gérer l’intermittence des énergies renouvelables ? Il faut non seulement un stockage à court terme, mais aussi un stockage saisonnier.

Nous passerons ici en revue l’ensemble des systèmes de stockage d’électricité. Globalement, il faudra faire attention à plusieurs éléments:

  • La capacité de stockage évidemment (combien de kWh ?)
  • La puissance (= à quelle vitesse le stockage se remplit et se vide)
  • L’inertie (= combien de temps faut-il au stockage pour être à pleine puissance ?)
  • La durabilité du stockage (est-ce qu’il y a des pertes au fil du temps ?)
  • Le prix et autres aspects pratiques.

C’est un secteur d’innovaiton très actif: l’augmentation du nombre de brevets en matière de stockage d’énergie est plus de 3 fois supérieure à la moyenne depuis 2012. (IAE 2020)

Partie 1. Le stockage d’électricité classique

Il y a actuellement deux systèmes de stockage électriques largement utilisés et matures: le stockage hydraulique et les batteries. S’agissant de stockage stationnaire, sont installés environ 200GWh de stockage, donc 91% de STEP et 5% pour les batteries. (IAE 2020, p.31)

Le stockage hydraulique

Aujourd’hui, le principal mode de stockage d’électricité est sous forme hydraulique, derrière des barrages ou dans des stations de pompage réversibles: les STEP.

Les barrages hydrauliques

Les barrages hydrauliques retiennent des quantités phénoménales d’eau, qui sont autant d’énergie potentielle stockée. Ils peuvent ainsi générer de l’hydroélectricité pour absorber les pics de consommation ou les creux de production, ou encore si leur capacité va être dépassée.

Stations de transfert d’énergie par pompage: les STEP

Les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) sont des systèmes de stockage très similaires aux barrages, à l’exception du fait qu’ils peuvent remonter l’eau qu’ils libèrent. Contrairement aux barrages, qui peuvent être principalement voués à la production d’électricité (par exemple s’il y a un flux très fort d’eau de l’amont vers l’aval), les STEP sont essentiellement des systèmes de gestion de la charge électrique sur le réseau. Les barrages ont vocation à capter un flux, les STEP non.

En général, vous allez avoir un bassin amont qui est connecté à un bassin aval: lorsqu’il faut de l’électricité, on laisse couler l’eau du haut vers le bas, puis, lorsqu’il y a un surplus, on pompe l’eau en chemin inverse.

Les batteries: le stockage chimique d’énergie

L’énergie peut aussi être stockée sous forme chimique: c’est ce que font les batteries. C’est le second mode de stockage d’électricité le plus important, mais il représente un marché beaucoup plus important. En effet, il est très pratique pour les applications portables, comme les batteries de nos smartphones ou des voitures. Aujourd’hui, le marché est dominé par les batteries lithium-ion, justement idéales pour ces applications. Même pour le stockage stationnaire, elles représentent 93% des batteries installées. Toutefois, de nouveaux modèles de batteries sont développés et pourraient concurrencer cette hégémonie sur certains usages: les batteries lithium-air, sodium-ion et, surtout, les batteries à flux redox, qui pourraient être très intéressantes pour du stockage stationnaire de grande ampleur et de longue durée.

Le lithium-ion domine aussi l’innovation: les brevets déposés: en 2018, 2547 brevets déposés portaient sur des cellules lithium-ion, contre 462 pour tous les autres types de cellules. L’innovation porte néanmoins aussi sur d’autres aspects, comme l’ingénierie des cellules (1406) ou la manufacture des cellules (1526). (IAE 2020, p.6)

Les principaux problèmes des batteries sont leur faible capacité de stockage relativement à leur prix et leur consommation de matériaux. Il semble difficile de les concevoir concourir avec les STEP et le CEAS pour le stockage saisonnier d’électricité.

Partie 2. « Nouveaux » modes de stockage d’électricité

En plus de ces modes de stockage d’électricité et de gestion de l’énergie classiques, il y a beaucoup de systèmes, qui sont moins matures ou plus « de niche »:

  • Power to gas, le stockage sous forme gazeuse
  • Le stockage thermique, notamment par sels fondus
  • Les volants d’inertie
  • L’air comprimé (CEAS)
  • Les tours à gravité

Power to gas : le stockage par l’hydrogène ou le méthane

C’est un grand thème de l’écologie depuis plusieurs dizaines d’années: le « power to gas ». Il s’agit de transformer de l’électricité en hydrogène par électrolyse, puis éventuellement en méthane (moins difficile à stocker que l’hydrogène). Cette méthode a trois grands problèmes :

  • la puissance des équipements pour capter les périodes de surplus, qui doit être trop élevée comparée à leur utilisation globale (=coute très cher), en l’absence d’autre mode de stockage (ex: thermique);
  • le rendement désastreux (<25%).
  • les difficultés de stockage du gaz (surtout vrai pour l’hydrogène, moins gênant pour le méthane).

Pour le méthane, le rendement est encore plus désastreux et, puis le stockage, l’hydrogène est très compliqué. En effet, il n’existe à ce jour pas de méthode à grande échelle démontrée pour le stocker. Globalement cette solution semble très hypothétique.

Il y a néanmoins potentiellement une exception: Airthium aurait développé un système qui rendrait l’ensemble viable. La startup française allègue pouvoir efficacement transformer la production excédentaire d’électricité renouvelable sous forme d’hydrogène, puis d’ammoniac (très facile à stocker), puis de le retransformer en électricité. Un stockage thermique à sels fondus permettrait de lisser la production d’électricité et de limiter la puissance nécessaire d’électrolyseurs. Le coeur de ce procédé est un moteur de Stirling, qui va non seulement être utilisé en combinaison avec les sels fondus, mais aussi générer l’électricité à partir de la combustion de l’ammoniac.

Stockage d’énergie par air comprimé (CEAS, Compressed Air Energy Storage)

Proche du « Power to gas », il est aussi possible de stocker de l’énergie sous forme d’air comprimé (Compressed Air Energy Storage, CEAS): un gaz est comprimé et injecté dans une cavité (ex: une caverne saline), puis, lorsqu’il y a besoin d’électricité, il est libéré et actionne une turbine. Un problème est la perte de chaleur au moment de la compression, puis le besoin de chaleur au moment de la libération. Dans sa version classique, il faut en effet rechauffer l’air dans une « chambre de combustion » (souvent avec de l’énergie fossile), avant de le faire passer dans la turbine. Deux nouvelles méthodes, le stockage adiabatique et le stockage isotherme, proposent de récupérer la chaleur de la compression, de la stocker, puis de la réinjecter avant la libération dans la turbine.

On peut se demander s’il ne serait pas possible de combiner les deux approches: on récupère d’une part l’énergie mécanique de la compression et d’autre part l’énergie chimique du gaz.

Le stockage thermique

Il y a des systèmes associant un stockage thermique à la production d’électricité, créant de facto un stockage thermique d’électricité. C’est ce que nous avions vu avec Airthium: la startup française, pour amortir les variations de l’énergie solaire, utilisait un stockage de chaleur aux sels fondus en combinaison avec un moteur de stirling industriel avancé. Ce dernier transformait l’électricité excédentaire en chaleur, puis la chaleur en électricité, pour alimenter un électrolyseur. On voit aussi ce genre de systèmes dans des petits réacteurs nucléaires, comme TerraPower: il y a un stockage aux sels fondus qui, si besoin, peut faire générer plus de courant aux turbines. Celui de Terrapower, par exemple, fait monter la puissance du réacteur de 375 à 500MW pendant 6h.

Je ne traiterai pas ce sujet ici, nous le verrons en étudiant la chaleur, qui est une autre forme d’énergie.

Les volants d’inertie : le stockage cinétique

Le volant d’inertie est un cyclindre qui va tourner très vite autour d’un pivot et stocker l’énergie sous forme cinétique. C’est un système déjà mature à petite échelle, présent dans de nombreuses machines. Leur principal atout est leur réactivité: ils montent très vitent en charge. Néanmoins, il ne stockent pas beaucoup d’énergie et, surtout, pas longtemps.

Cette technologie a déjà de nombreuses applications très spécifiques, mais qui ne correspondent qu’à une logique fonctionnelle restreinte, comme servir « d’amortisseur » pour laisser le temps à un autre dispositif, plus durable, de monter en charge.

Energie gravitaire et blocs de béton

Il y a quelques années, on a beaucoup vu ces grandes tours de blocs de bétons, que des grues monteraient et descendraient de grands blocs d’une sorte de béton à mesure qu’on veut stocker ou destocker l’électricité. C’est le projet Energy Vault. Elles ont commencé à être commercialisées. Trois tours d’une capacité totale de 1.6 GWh ont ainsi été commandées en 2021. Ces systèmes ont des problèmes assez évidents, comme l’usure mécanique et, surtout, le besoin en matériaux. La comparaison avec les stockages basés sur l’eau est difficile à tenir …

Un autre système Gravicity, est peut-être plus prometteur: un bloc est descendu et remonté le long d’un ancien forage. Ils sont encore en phase d’industrialisation.

Partie 3. La question réglementaire

Le marché de l’énergie européen n’est pas forcément adapté au stockage d’énergie. Voici un argumentaire en ce sens : https://www.nfp-energie.ch/fr/dossiers/191/cards/295

C’est un point important qu’il faudrait creuser.


  • Un propos très synthétique et intéressant: Comment stocker l’énergie https://www.drgoulu.com/2012/10/07/comment-stocker-lenergie/
  • Un thread récapitulatif d’une ingénieure: https://twitter.com/Kako_line/status/1433151907820974080
  • Une synthèse complète par l’IFPEN: https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/enjeux-et-prospective/decryptages/climat-environnement-et-economie-circulaire/stockage-denergie-accompagner-deploiement-des-energies-renouvelables
  • ENEA Consulting, Étude sur le potentiel du stockage d’énergies, 2013
  • Un dossier très riche sur le stockage à air comprimé : https://www.nfp-energie.ch/fr/dossiers/191/
  • Une présentation globale très intéressante : https://www.canarymedia.com/articles/long-duration-energy-storage/long-duration-storage-roundup-news-players-and-technology
  • IEA,
    • 2014, Technology Roadmap – Energy Storage, https://www.iea.org/reports/technology-roadmap-energy-storage
    • 2018, Will pumped storage hydropower expand more quickly than stationary battery storage?, https://www.iea.org/articles/will-pumped-storage-hydropower-expand-more-quickly-than-stationary-battery-storage
    • 2020, Innovation in Batteries and Electricity Storage, https://www.iea.org/reports/innovation-in-batteries-and-electricity-storage
    • 2021, Very large thermal energy storage for renewable districts, https://www.iea.org/articles/very-large-thermal-energy-storage-for-renewable-districts
    • 2021, Proving the viability of underground hydrogen storage, https://www.iea.org/articles/proving-the-viability-of-underground-hydrogen-storage
    • 2021, How rapidly will the global electricity storage market grow by 2026?, https://www.iea.org/articles/how-rapidly-will-the-global-electricity-storage-market-grow-by-2026
    • 2022, Grid-Scale Storage, https://www.iea.org/reports/grid-scale-storage