Le traitement et stockage des déchets nucléaires

C’est, avec les accidents nucléaires, le thème le plus polémique de la sûreté nucléaire: les déchets. Que faire avec les matières radioactives ?

Tout d’abord, nous verrons ce qu’est un déchet nucléaire, ainsi que le cas particulier des rejets radioactifs (comme le tritium, dont on parle régulièrement). Ensuite, nous verrons les différents types de déchets, dont les caractéristiques varient grandement: certains sont à peine radioactifs, alors que d’autres sont très dangereux et doivent être vitrifiés. Enfin, nous présenterons les différentes méthodes de stockage des déchets nucléaires.

I. Qu’est-ce qu’un déchet nucléaire ?

Les déchets radioactifs ou nucléaires « sont définis comme les substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisagée. » (source)

Il n’y a pas que l’industrie nucléaire qui génère des déchets nucléaires. C’est aussi, notamment, le cas de la recherche, de la médecine (rappelez-vous: les scanners), de la défense (nous avons des sous-marins nucléaires) et du secteur industriel en général (l’extraction de terre rare, des dispositifs de stérilisation …).

Notez qu’en France, seule une petite partie du combustible usagé est considéré comme un déchet. En effet, l’uranium de retraitement n’est pas un déchet nucléaire. Nous le récupérons pour le réenrichir ou bien pour l’entreposer en vue d’une utilisation future.

Le cas particulier des rejets radioactifs

Il y a des gaz et liquides radioactifs que les installations nucléaires peuvent rejeter dans l’environnement. On peut voir cela comme des « déchets nucléaires », mais ils sont traité différemment et ne semblent pas nocifs.

En général

Les installations nucléaires rejettent du tritium (nous en parlons après), du carbone 14, des iodes radioactifs, des gaz rares radioactifs et d’autres radionucléides, par voie gazeuse et/ou liquide. L’ensemble représente de l’ordre d’une centaine de billions de becquerels par an, dont la large majorité est constituée par du tritium, peu radiotoxique. Les normes sanitaires, pouvant sembler impressionnantes, sont conçues pour que cela ne pose pas de problème sanitaire ou environnemental. Les centrales à biomasse ou à charbon rejettent des quantités plus importantes de composés radioactifs (à vérifier).

Pour approfondir, vous pouvez lire l’article de Tristan Kamin Impact des rejets radioactifs

Le cas du tritium

Les installations nucléaires ont tendance à produire du tritium, l’isotope de l’hydrogène avec 3 neutrons. C’est un produit de fission, qu’on retrouve dans le combustible usagé. Il est impossible à filtrer, car il fait partie de l’eau elle-même. L’usine française Orano de La Hague en libère souvent au fil de son processus de retraitement du combustible usagé. L’eau irradiée

Le tritium est radioactif, mais cette radioactivité est peu dangereuse. Comme nous l’avons vu il faut passer de la radioactivité absolue (en bequerel) à son impact (en sievens). Cela suppose de définir une équivalence. Pour l’eau tritiée, « dans le pire cas (c’est à dire chez l’enfant d’un an) et par ingestion, le facteur de dose s’élève à 64 pSv/Bq. » C’est 1000 fois plus faible que pour le potassium 40, présent naturellement dans notre corps et, notamment, dans les bananes (qui en contiennent l’équivalent d’environ 20Bq).

En France, la limite légale de rejets de l’usine de la Hague est de 18 500 TBq/an et celui d’une centrale nucléaire de quelques dizaines de TBq/an. D’après Tristan Kamin, une étude d’impact de l’usine Orano de La Hagues conclut que, dans le pire des cas, l’ensemble des rejets marins représentent une exposition de 7µSv/an, soit une quantité infime comparé à l’exposition naturelle (~4Sv/an). De plus, le tritium ne représenterait que 0.5% de ces 7µSv/an … Pour compléter, vous pouvez lire son article « Des histoires de tritium« .

II. Les différentes catégories de déchets radioactif en France

Tous les déchets radioactifs ne présentent pas le même risque. Pour les traiter différemment, nous les avons séparés en plusieurs ensembles. Ils sont classés en fonction de leur durée de vie (combien de temps ils vont rester radioactifs) et de leur niveau de radioactivité. Ils sont répartis, en France, en 5 catégories:

  • Les déchets de très faible activité (TFA)
  • Les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) 
  • Les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL)
  • Les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL)
  • Les déchets de haute activité à vie longue (HA-VL) 

Globalement, il y a deux types de déchets radioactifs: les matériaux ayant été en contact avec des niveaux élevés de radiations pendant tellement longtemps qu’ils sont eux-même devenus radioactifs et le combustible usé, qui va dans la dernière catégorie et la plus problématique (HA-VL).

Il y a un peu à part les déchets à vie très courte, résultant d’applications médicales, qui sont simplement entreposés sur place le temps que la radioactivité décline (<100 jours).

Les déchets de très faible activité (TFA)

Il y a des déchets qui ne sont pas propres à l’activité nucléaire, mais, étant longtemps en contact avec elle, vont développer une légère radioactivité. Il s’agit par exemple de certains gravats issus du démantèlement d’installations nucléaires.

S’ils représentent d’importants volumes (537 000m3, 27% du total), leur radioactivité est minime (0.0001% de la radioactivité de l’ensemble des déchets). Leur demi-vie est très courte, de l’ordre d’une dizaine d’années.

Les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) 

Certains matériaux et consommables sont plus proches de l’activité nucléaire et retiennent donc davantage de radiation. D’autres viennent aussi d’autres activités manipulant la radioactivité, comme des hôpitaux et des laboratoires.

C’est l’essentiel du volume des déchets (938 000m3, 63%) et encore une part minime de la radioactivité (0.03%).

Les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL)

Cette catégorie comprend des déchets contenant du radium. C’est notamment le cas du graphite radifère issu du démantèlement des centrales de première génération (dont la technologie utilisait le graphite comme modérateur).

Ils représentent 93 600m3, 7% du volume et 0.14% de la radioactivité de l’ensemble.

Les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL)

C’est la catégorie pour les matériaux les plus proches du combustible fossile. Il s’agira par exemple des gaines entourant le combustible usé, récupérées lors du traitement.

Ils représentent 42 800m3, 3% du volume et 4.9% de la radioactivité de l’ensemble.

Les déchets de haute activité à vie longue (HA-VL) 

Enfin, ce sont les « vrais » déchets nucléaires, les restes de combustible usé.

Leur durée de vie s’étend sur plusieurs milliers d’années et, s’ils ne représentent que 3740m3 0.02% du volume, ils représentent 94.9% de la radioactivité des déchets radioactifs.

Le volume des déchets HAVL comparé au port de Marseille, https://twitter.com/laydgeur/status/1433463215321669633
Idem, avec à coté ceux de MAVL, place Carnot à Lyon, https://twitter.com/voixdunucleaire/status/1578480692777713664
https://twitter.com/JBVBIN3T/status/1578696077061939201

III. Les modalités de stockage de déchets nucléaires (France)

Chaque pays a ses propres régulations pour le stockage de déchets nucléaires.

En France, la Loi Bataille de 1991 a initié d’importantes recherches ayant débouché sur la loi-programme du 28 juin 2006 sur la « Gestion des matières et des déchets radioactifs ».

Les déchets à vie courte sont compactés et stockés dans des cellules de béton et « stockés dans des cellules de béton au centre de stockage de l’Andra à Soulaines ou à Morvilliers dans l’Aube ». Ils perdent la moitié de leur radioactivité dans les 31 ans et deviennent quasi-inactifs au bout de 300 ans. (EDF)

Une mise en perspective salutaire https://www.orano.group/fr/decodage/dechets-radioactifs

Les déchets MA-VL sont compressés et enfermés dans des sortes de gourdes métalliques, elles-mêmes enfermées dans des « colis bitumés ». Les pires déchets sont vitrifiés (= encapsulés dans du verre) et conditionnés sous forme de petites gourdes en métal. Ils sont actuellement entreposés sur le site de La Hague. Ci contre, des photos de personnes ayant visité ces locaux.

Lorsque le stockage géologique profond sera installé, comme le prévoit la loi de 2006, ces déchets y seront transférés.

Le stockage géologique profond consiste à

La Suède prévoit également d’y recourir.

Une entreprise, Deep Isolation, prévoit de proposer des offres de stockage géologique profond relativement peu chères.

Une autre visite : https://twitter.com/GoldbergNic/status/1534279829566148609

III. Innovations dans le traitement des déchets

Le secteur du traitement des déchets est particulièrement actif en termes d’innovations, surtout liées au démantèlement des centrales nucléaires. Il y a tout d’abord deux filiales de grands énergéticiens, qui rassemblent leurs activités sur ces thématiques:

Il y a de nombreux projets spécifiques dédiés à mieux gérer les déchets radioactifs:

  • Waste2Glass, un projet fondé par Veolia Nuclear Solutions et Cyclife ayant pour objet de développer un procédé de vitrification moins cher et plus pratique (Geomelt) que celui utilisé actuellement.
  • Les réacteurs à neutrons rapides, notamment Transmutex, permettraient de transmuter les éléments les plus problématiques en des éléments à l’activité moindre et plus courte.


  • IRSN,
    • https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/dechets-radioactifs/gestion-stockage-dechets-radioactifs/Pages/1-dechets-radioactifs-differents-types.aspx#.Y85s562ZOUk
    • Série de vidéos de l’IRSN : https://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Communiques_et_dossiers_de_presse/Pages/20220324_questions-francais-risques-dechets-nucleaires.aspx#.Y5zjoX2ZOUk
  • Tristan Kamin, sur le stockage géologique: https://doseequivalentbanana.home.blog/2021/05/08/dechets-8-on-ne-sait-pas-gerer-les-dechets-nucleaires/
  • CEA, L’essentiel sur … Les déchets radioactifs
  • Ministère de l’écologie, Démantèlement et gestion des déchets radioactifs, https://www.ecologie.gouv.fr/demantelement-et-gestion-des-dechets-radioactifs
  • L’ASN rend son avis sur la gestion des déchets de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL)
  • ‘Reprocess to reuse’ nuclear waste is the way forward
  • Série de vidéo de Le Réveilleur: https://www.youtube.com/watch?v=p0zX8eUW_jQ&list=PLhgpBc0hGjSvCZ4Uo9mE1XTc7aSa4NRLE
  • Sur le tritium :
    • https://doseequivalentbanana.home.blog/2019/11/24/des-histoires-de-tritium/
    • https://doseequivalentbanana.home.blog/2019/11/24/leau-contaminee-au-tritium-de-fukushima/