Pile à combustible: transformer l’hydrogène en électricité
Les piles à combustible (=PAC) à hydrogène permettent de transformer de l’hydrogène en électricité en le faisant passer entre deux électrodes séparées par un électrolyte. Toutefois, il y en a de nombreuses technologies avec de nombreuses différences: usages mobiles ou stationnaires, des conditions de pression et de température, métaux utilisés, rendements, inertie … Je vous résume le fonctionnement, les avantages et inconvénients de chacunes dans cet article.
Elles ont un air de nouveauté, revenant en tendance avec le développement de la voiture à hydrogène, mais les piles à combustibles (PAC) sont en fait assez anciennes: on connait leur principe depuis le XIXe siècle ! En outre, on les utilise déjà beaucoup, mais commes groupes électrogènes ! Enfin, il n’y a pas que les piles à hydrogène qu’on trouve dans les voitures (la « PEMFC »), mais il y a de nombreuses piles à combustible, fonctionnant avec de l’hydrogène, mais aussi pour certaines avec du méthanol ou du méthane. Mais pas de panique, nous allons résumer tout cela pour vous.
Pour plus de pédagogie, nous allons partir du cas dont vous avez sans doute entendu parler : comment la pile à combustible alimente la voiture à hydrogène ? Cela nous permettra de voir en pratique le fonctionnement d’une technologie de pile à hydrogène et ses enjeux. (I)
Nous ouvrirons ensuite la réflexion en présentant le fonctionnement général des PAC, puis les autres technologies. (II) Enfin, nous discuterons des avantages et inconvénients des différentes technologies ainsi que les usages et perspectives pour ces machines. (III)
I. Les voitures à hydrogène: batterie et PEMFC
Dans une voiture à hydrogène, la pile à combustible va servir à transformer l’hydrogène en électricité. Celle-ci va permettre de remplir la batterie ou, directement, d’alimenter le moteur électrique.
La PEMFC en deux mots
Il y a différentes technologies de PAC (principalement alcaline, PEMFC et SOFC), qui ont différentes caractéristiques. Nous y reviendrons plus loin. La technologie utilisée dans les voitures à hydrogène est la pile à combustible à membrane échangeuse de protons (= Proton Exchange Membran Fuel Cell, PEMFC). De l’hydrogène va être mis en contact d’une électrode (cathode) et s’oxyder : H2 => 2H+ +2e-. Les ions hydrogènes vont pouvoir rejoindre l’autre électrode (l’anode) en traversant la fameuse « membrane échangeuse de proton ». Les électrons, eux, ne peuvent néanmoins pas, la membrane leur bloquant le chemin. Ils vont néanmoins avoir un circuit électrique qui va leur permettre de faire le tour : c’est la génération de courant électrique. A l’autre électrode se produit ensuite une réaction de réduction : les ions H+ se combinent avec l’oxygène et les électrons pour produire de l’eau : O2 + 4H+ +2e- => H2O.
Ainsi on produit de l’énergie électrique en ne rejetant que de l’eau.
On utilise la technologie PEMFC pour trois raisons: elle fonctionne à « basse » température (~60°C), elle a très peu d’inertie (elle démarre et s’arrête rapidement) et elle est compacte/résiste bien au déplacement. Nous y reviendrons.
Piles, batteries et moteurs électriques
Toutefois, la PEMFC a un souci : elle n’a pas beaucoup de puissance. Par exemple, la Kangoo Z.E. à hydrogène a une pile à combustible d’une puissance de 44kWh, la Toyota Mirail une PAC d’une puissance de 128kW, le bus Urbino 12 une PAC de 70kW … Il faut donc pouvoir absorber les pics de puissance: démarrage et accélération principalement. C’est pour cela que tous les véhicules à hydrogènes combinent une pile à hydrogène avec une batterie électrique.
La batterie du Businova de Safra fait 132kWh, celle de la Kangoo Z.E. fait 30 kWh et celle de la Toyota Mirail 1,6 kWh. On voit bien la relation entre puissance de la PAC (plutôt élevée chez la Mirail) et capacité de la batterie: plus la PAC est faible, plus la batterie sera sollicitée.
Du coup, la pile à combustible à un double rôle pour les voitures (ou véhicules en général) électriques à hydrogène: d’une part elle va alimenter la batterie et d’autre part elle va alimenter le moteur électrique. Et au niveau du pot d’échappement, le véhicule ne produit que de l’eau. Présenté comme cela, c’est intéressant, mais en réalité les pertes rendent le dispositif bien moins intéressant que de fonctionner uniquement avec une batterie pour les voitures (pour aller plus loin, voir notre dossier sur l’hydrogène).
Supériorité de la PAC sur la combustion d’hydrogène
Il a pendant un temps été envisagé d’utiliser des moteurs à combustion avec ce gaz, mais la combustion d’hydrogène ne permet de transformer en électricité qu’environ 20% de l’énergie potentielle du gaz, alors que les PAC proposent des rendements de l’ordre de 50%, voire 70% pour certaines. Le prix de l’H2 et la difficulté pour le stocker font que cette différence est déterminante.
II. La pile à combustible et ses technologies
Maintenant que nous avons vu la question des piles à combustible pour les véhicules à hydrogène, nous allons voir le sujet plus globalement, en étudiant :
- Le fonctionnement global des piles à combustible (qui n’utilisent pas forcément de l’hydrogène !)
- Les principales applications des PAC
- Les principales technologies et leurs différences
Le principe de fonctionnement
Une pile à combustible produit, à l’aide de deux électrodes séparées par un électrolyte, de électricité et en eau à partir d’hydrogène ou d’une molécule en étant riche et d’oxygène par deux réactions électrochimiques:
- une oxydation de l’hydrogène (H2 = 2H+ +2e-, Hydrogen Oxidation Reaction ou HOR en anglais) et
- une réduction de l’oxygène (0.5 02 + 2H+ + 2e- = H2O, Oxygen Reduction Reaction ou ORR en anglais).
C’est la réaction inverse à l’électrolyse de l’eau. Vous avez plusieurs technologies, variant dans les matériaux utilisés comme électrodes et électrolytes, les conditions de pression et de température, les rendements, ainsi que dans l’inertie de la réaction (=la possibilité de varier en intensité rapidement ou non).
Avantages et inconvénients des technologies de PAC
Comme pour l’électrolyse, il y a plusieurs types de piles à combustibles qui vont avoir différents catalyseurs, opérer dans différentes conditions et, évidemment, avoir différents atouts.
- Pile à combustible à membrane échangeuse de proton (= PEMFC). Nous vous avons déjà présenté ses atouts. Son inconvénient principal est son rendement relativement faible (~50%) et l’utilisation de métaux précieux (platine) pour le revêtement de ses électrodes. Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre page sur la PEMFC.
- La Pile à combustible alcaline (Alkalin Fuell Cell, AFC) utilise, comme électrolyte, une solution de potasse (KOH) « stockée » dans une matrice poreuse; et des électrodes composées de matériaux ordinaires, comme le nickel. Son rendement est parmi les plus élevés, poivant atteindre 70%. La difficulté de ce type de piles est qu’elles ne tolèrent pas la présence de dioxyde de carbone. Il faut donc les alimenter par de l’oxygène pur ou de l’air purifié, ce qui augmente largement leur cout de fonctionnement. En outre, elles ont beaucoup d’inertie et ne tolèrent pas les variations de tension.
- La Pile à combustible à acide phosphorique (Phosphoric acid fuel cells ou PAFC) utilise de l’acide phosphorique liquide dispersé sur une patrice de carbure de silicium pour électrolyte. Cela lui permet de fonctionner à des températures de 160-220°C, ce qui accélère la réaction et facilite la gestion de l’eau qui en est issue. Cela permet également de mieux tolérer la présence d’impuretés (CO2 / CO) dans le gaz fourni. Ses défauts sont l’utilisation de métaux nobles (ex: platine) comme catalystes. Le poids du système (matériaux plus lourds pour les plaques bipolaires), qui les rendrait peu viables pour la mobilité hydrogène. Leur durée de vie serait en général entre 40 et 50 milliers d’heures. Leur rendement serait de 77% à 200°C.
- Les Pile à combustible à carbonate fondus (Molten-carbonate fuel cell, MCFC) utilisent ces derniers comme électrolytes et fonctionnent à des températures très élevées (>600°C). N’utilisant pas de métaux nobles et ayant de bons rendements. Elle peuvent utiliser directement des hydrocarbures légers, comme le gaz naturel: en raison de la haute température du dispositif, ils libèreraient l’hydrogène à l’intérieur. Elles ne sont pas non plus sensibles à l’empoisonnement au carbone. Elles pourraient donc être utilisées pour valoriser le syngaz. Le rendement est également élevé: jusque 85% si la chaleur résiduelle est valorisée et 60% sans. Néanmoins, elles sont peu durables.
- Les Piles à combustible à oxyde solide (solid oxide fuel cell, SOFC) sont composées d’un electrolyte dense entre deux électrodes poreuses. L’électrolyte laisse passer les ions O2-.
- Pile à combustible à méthanol direct (direct-methanol fuel cell ou DMFC) utilise une membrane (souvent) en naflon (substance développée par Dupont de Neimours, aussi utilisée pour les PEMFC) comme électrolyte. Sa particularité est d’utiliser du méthanol, beaucoup plus pratique à transporter que l’H2 (il reste liquide à température et pression ambiante et a une densité énergétique volumique 2 fois supérieure à l’H2 liquide). Point négatif: le rendement global est faible et la pile émet du CO2.
A quoi sert une pile à combustible ?
La pile à combustible sert à transformer l’hydrogène, le méthane ou le méthanol en électricité. Elle libère, en même temps, de la chaleur, qui peut être valorisée. Elle peut avoir deux types d’usages: stationnaires ou mobiles.
L’usage stationnaire consiste surtout à créer des systèmes « power-to-gas »: vous transformez une électricité en hydrogène pour la stocker et pouvoir la réutiliser (avec des pertes évidemment) en la retransformant en électricité plus tard. Il peut aussi s’agir d’un usage de production d’électricité en remplacement d’un groupe électrogène aux énergies fossiles. Elles sont aussi utilisées comme outils de production d’électricité, notamment pour la cogénération domestique (= micro-cogénération): l’énergie « perdue » est valorisée pour chauffer le logement. On pourrait même imaginer qu’elles deviennent même un outil permettant de créer de vraies « centrales de production » si la pyrogazéification de biomasse parvient à être industrialisable, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui: on ne sait produire de l’hydrogène bas carbone que grâce à l’électrolyse, on reste donc purement dans une logique de vecteur énergétique.
L’usage mobile porte surtout sur les véhicules à hydrogène (voiture, bus, camions ..): c’est la PAC (en général une PEMFC) qui va faire l’intermédiaire entre le réservoir et le moteur électrique. Nous avons déjà expliqué le principe. L’avantage par rapport aux batteries est que le stockage d’H2 est beaucoup moins lourd, il permet donc une meilleure autonomie. Il y a également l’atout de la rapidité de recharge. L’hydrogène est pressenti pour être surtout intéressant pour les cas où les batteries ne sont pas des options viables, comme pour la mobilité super-lourde.
Un autre usage mobile concerne actuellement la production d’électricité pour les vacanciers (camping, camping car). La marque Efoy occupe notamment ce créneau.
III. Est-ce que la pile à combustible va tout changer ?
La pile à combustible est parfois présentée comme une révolution. Néanmoins, s’il y a changement radical autour de l’H2, il est peu probable que ce soit de ce côté qu’il se produise. Ainsi, on peut s’attendre à des progrès, sans doute considérables, mais la question de la production d’H2 et de son transport restera le point d’achoppement de ces technologies.
Quand a été inventé la pile à combustible ?
Le principe de la pile à combustible a été découvert en 1838 par l’Allemand Christien Schönbein, qui avait observé que, lorsqu’il arrêtait d’alimenter un dispositif d’électrolyse, il y avait un courant inverse qui se créait: l’électrolyse inverse. Néanmoins, c’est un avocat britannique amateur d’électrochimie avec lequel il échangeait, Sir William Grove, qui est souvent crédité de la découverte. Il a en effet décrit en 1839 l’effet et conçu le premier prototype quelques années après (qui sera connu comme « la pile à gaz de Grove »). « En 1889, Ludwig Mond et Carl Langer donnent également à la technique son nom (« fuel cells » en langue anglaise) et sa forme actuelle : des cellules connectées et intercalées entre des plaques bipolaires. » (Simoncini 2019)
La première utilité de la PAC sera la « Bacon cell« , une PAC alcaline de 5kW développée par Francis T. Bacon en 1959 (aboutissement d’un travail commencé en 1932 !). C’est ce modèle qui sera utilisé lors des missions spatiales Gemini (1963) et Apollo (1968). La machine et son carburant étant trop onéreux, la technologie s’est peu développée jusqu’aux années 90. Ces piles sont depuis l’objet d’un intérêt croissant.
Utilisations actuelles des piles à combustible
Usages stationnaires
C’est le projet ENE-FARM lancé depuis 2009 au Japon, utilisant de petites unité de vaporéformage de méthane (rq: ce n’est pas bas carbone comme procédé). Ils en ont déployé des centaines de milliers. En France, il y a un système, « Cleargen », qui valorise depuis 2019 les excédents d’hydrogène produit par une raffinerie en Martinique.
Le projet ene.field a été annoncé par « cogen Europe » le 27 septembre 2012. Il rassemblait 9 producteurs de « micro fuel cell combined heat and power (micro FC-CHP) » (= piles à combustibles qui font de la cogénération de chaleur) pour tester la technologie disponible. Il aurait abouti au déploiement de 250 piles en Allemagne. Le successeur de ce projet serait le projet Pace (Plan Air Climat Energie), rassemblant BDR Thermea, Bosch, SOLIDpower, Sunfire et Viessmann. Il a été commencé en février 2017: http://www.fedepassif.fr/wp-content/uploads/2017/12/Viessmann-Vitovalor300-P_Construction-passive-merc-fede.pdf . Toutefois, le site dédié (https://pace-energy.eu/) n’a pas eu de mise à jour depuis très longtemps (et marche à moitié) et je ne vois pas de trace de progrès en cherchant sur Google … Sur le site de Cogen Europe, ils annoncent le déploiement de 2800 unités d’ici … 2021. Bref, le projet n’a pas l’air vivant.
Usages mobiles
De nombreux producteurs s’essayent à la voiture à hydrogène. Le modèle le plus connu est la Toyota mirai, mais il y a aussi eu Hyundai (avec sa Nexo), Honda … Certains, comme Volkswagen, ont laissé tombé cette piste. En France, Renault-Nissan conçoit des utilitaires à hydrogène: les Renault Kangoo Z.E. Hydrogen et Renault Master Z.E. hydrogen. Les bus à dihydrogène sont également plebiscités. Plus largement, il y a de nombreux types de véhicules à dihydrogène qui sont testés: des ferrys, de petits avions, des trains … Tout type de véhicule en fait. Néanmoins, il est probable que l’hydrogène ne pourra s’implanter que pour des usages pour lesquels la batterie, beaucoup plus efficiente, ne sera pas viable, comme la mobilité super lourde.
Efoy commercialise des piles à méthanol direct (DMFC) pour plusieurs usages. Pour les particuliers, c’est utilisé pour recharger les batteries pour un usage nomade, notamment pour les vacanciers. Pour les professionnels, ils ont plusieurs solutions pouvant combiner stockage d’hydrogène (ex: Efoy cabinet), piles à combustible à membrane échangeuse de proton ou DMFC (ex: Efoy ProCube) et des systèmes tout en un. Je n’ai pas trouvé d’information sur les rendements. (https://www.my-efoy.com/fr/pile-a-combustible-efoy/ ; https://www.efoy-pro.com/fr/)
La réponse: les économies d’échelle ?
Les économies d’échelles sont très importantes pour la quantité d’unités produites, mais aussi par puissance. Par exemple, voici une comparaison du prix de production des piles PEMFC et SOFC en fonction de la taille du système et du volume de production (le prix est par kWe de capacité):
PEMFC | 100 unités par an | 1000 unités par an | 50 000unités par an |
---|---|---|---|
10kWe | 1340 | 497 | 284 |
100kWe | 466 | 313 | 219 |
250kWe | 377 | 279 | 203 |
SOFC | |||
10kWe | 1039 | 342 | 178 |
100kWe | 478 | 215 | 170 |
250kWe | 249 | 181 | 166 |
On observe immédiatement qu’il y a des économies d’échelle énorme. On observe également que les SOFC couteraient entre 30 et 20% moins cher.
Articles sur le thème
Sources:
- F. Barbir, A. Basile et T. Nejat Veziroglu, « Compendium of hydrogen energy, Volume 3 : Hydrogen Energy Conversion », éd.Woodhead Publishing, 2016
- Sénat, Définition et implications du concept de voiture propre, Rapport n° 125 (2005-2006) de MM. Christian CABAL, député et Claude GATIGNOL, député, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 14 décembre 2005, https://www.senat.fr/rap/r05-125/r05-12541.html
- https://solar-club.web.cern.ch/solpile/index.html
- https://factuel.univ-lorraine.fr/node/16157
- Nicolas Simoncini 2019, Le développement des recherches sur les piles à combustible en France à la fin des années cinquante : analyse de la construction historique d’un engouement technologique, Technologie et Innovation, 2019, vol. 4, n° 4, https://www.openscience.fr/IMG/pdf/iste_techinn19v4n4_3.pdf