Les utilisations de l’hydrogène

L’hydrogène pourrait décarboner de nombreux secteurs en remplaçant les énergies fossiles (chaleur critique, carburant) et en permettant des réactions chimiques moins émittrices de CO2 (réduction du fer). Néanmoins, il ne faut pas croire que c’est « magique »: nous consommons en déjà 70 millions de tonnes pour des procédés dont l’économie ne peut pas se passer. La question des nouveaux usages se pose ensemble avec la question de la production d’hydrogène.

Cet article s’inscrit dans notre dossier sur la place de l’hydrogène dans la transition écologique.


L’hydrogène a une propriété extraordinaire: lorsqu’on l’utilise pour produire de l’énergie, il ne produit que de l’eau et peut être produit à partir d’électricité et d’eau. On rêve depuis les années 70 d’une économie hydrogène, où ce gaz remplacerait le pétrole. Cela revient à la mode, mais la technologie et les enjeux ont évolué et, au-delà des discours de consultants et d’économistes, l’hydrogène a un vrai rôle à jouer dans la transition écologique.

Il pourrait crédiblement être utilisé pour décarboner les procédés industriels, soit en créant de la chaleur (ciment), soit comme réactif (réduction du fer) et le transport lourd, pour lequel le stockage par batterie n’est pas viable. Il pourrait également être utilisé comme moyen de stockage d’énergie durable (ce que ne sont pas les batteries) à grande échelle, notamment pour absorber les variations des énergies renouvelables intermittentes.

Néanmoins, avant de parler de ces nouveautés, il faut aborder un « petit » souci: nous utilisons déjà beaucoup d’hydrogène et il n’est pas vraiment « écofriendly » …

Utilisations actuelles de l’hydrogène

On parle souvent de l’hydrogène comme si c’était quelque chose de nouveau, une sorte d’innovation récente dont le développement pourrait changer le monde. En réalité … nous en consommons déjà plus de 70 millions de tonnes ! L’équivalent du quart de la consommation mondiale de gaz naturel …

Nous avons déjà parlé du problème de la production d’hydrogène, qui est actuellement produite par des procédés très polluants (vaporéformage du méthane et gazéification du charbon). On peut estimer qu’avant de développer de nouveaux usages, il est logique de commencer par décarboner la production existante. En réalité, c’est plus complexe. En effet, les anciens usages sont souvent « intégrés » aux modes de production polluants (notamment pour la production d’engrais), les faire passer au bas carbone sera très difficile à court terme. En même temps, on peut conditionner des incitations au développement des nouveaux modes de production à la nature bas carbone de l’hydrogène utilisé. Par exemple, votre acier ne serait « vert » que si l’hydrogène utilisé pour le produire l’est aussi. Cela promouvrait très fortement la production environnementalement durable et lui permettrait de prendre petit à petit le pas sur les processus polluants.

Les grandes statistiques de la consommation d’hydrogène

Actuellement, les utilisations se divisent essentiellement en deux pôles : le raffinage (~40-50%) et la fabrication d’engrais. On l’utilise également pour la production de méthanol, d’acier (avec la réduction directe, dont nous allons parler, 3%) et de nombreux usages mineurs (électronique, industrie alimentaire notamment). Détaillons un peu ces usages.

L’hydrogène et l’industrie pétrochimique

Une fois extrait du sol, le pétrole « brut » est un amas de chaines carbonées complexes et d’un myriade de composants. Il ne peut pas être utilisé tel quel, il a besoin d’être raffiné et l’hydrogène joue un côle crucial dans cette industrie.

  • Désulphuriser le pétrole: l’hydrotraitement

Une fois extrait du sol, le pétrole brut contient beaucoup de composants problématiques, comme le souffre. Une fois libéré dans l’air, il cause des problèmes sanitaires et même des pluies acides. Pour lutter contre, les Etats ont convenu de normes exigeantes imposant de limiter considérablement la présence de souffre dans l’essence et autres produits pétroliers. L’opération pour désulfuriser le pétrole est l’hydrotraitement. Cela consiste à faire réagir de l’hydrogène avec le souffre pour former du sulfure d’hydrogène (H2S), qu’on peut aisément séparer du pétrole. C’est ce qu’on appelle l’ hydrotraitement (hydrotreating).

  • “Craquer” le pétrole lourd: l’hydrocraquage

L’autre grand pan de la raffinerie est la conversion des parties « lourdes » (c’est-à-dire dont les chaines carbonées sont très longues) en des composants plus légers et rentables (gazole, fioul, kérosène, naphta lourd ou léger, etc.). C’est un procédé qui gagne en importance à mesure que les réserves de pétrole s’amenuisent. En effet, on va chercher du pétrole de moins en moins bonne qualité (ex: les fameux sables bitumineux). On utilise l’hydrogène pour casser ces molécules: on parle d’hydrocraquage (hydrocracking).

Ammoniaque et engrais

C’est l’une des plus grandes innovations agricoles de l’Histoire: le procédé Haber-Bosch, découvert en 1909, permet de « fixer » de l’azote atmosphérique à l’aide d’hydrogène: N2(g) + 3 H2(g) ⇌ 2 NH3(g) + ΔH. En 2012, on produisait ainsi 137 millions de tonnes d’ammoniaque dans le monde. En France, nous utilisons actuellement 220 000 tonnes d’hydrogène gris pour faire de l’ammoniaque. L’hydrogène est produit sur place, par vaporéformage. Le problème est que les installations sont intégrées ensemble :

« Ce que disent les producteurs d’ammoniaque, c’est qu’on peut injecter jusque 10 % d’hydrogène vert sans changement du processus actuel. […] Si on fait du 100 %, c’est-à-dire qu’on élimine complètement le vaporéformage, il faudra effectivement une restructuration complète. »

Philippe Boucly

Applications diverses de l’H2

Certains acteurs tels que CETH2 (Paris, France) sont principalement axés sur la production d’hydrogène ultra pur pour des applications médicales ou de recherche en laboratoire. Les principaux acteurs en présence sont listés dans le Tableau 1.

Caroline Rozain (2013)

Plus marginaux on utilise aussi du H2 dans les piles à combustible (2 MT), pour le métal (1 MT), le verre et la céramique (0,5 MT), l’alimentation (0,5 MT), l’électronique (0,5 MT), les plastiques (0,5 MT) et les médicaments (0,5 MT).

L’hydrogène à la conquête spatiale

L’hydrogène est à la fois le gaz le moins dense (occupe beaucoup de place) et très dense (contient 3 fois plus d’énergie par kg que l’essence). Il a donc été bienvenu dans la conquête spatiale, où le poids est le facteur le plus important. Il est dans ce contexte utilisé sous forme liquide. C’est par exemple le carburant de la fusée spatiale Ariane 5.

L’hydrogène en électronique

L’hydrogène est utilisé dans l’industrie électronique, notamment pour la production de semi-conducteurs, d’écrans et de LED en raison de ses propriétés de conduction de chaleur, un agent de réduction et de gravure (« etching »). La particularité ici est que l’hydrogène doit être d’une pureté absolue. Par exemple, Linde avait annoncé fournir à un industriel (Infineon) de l’hydrogène produit à partir d’un électrolyseur PEM et, en plus de le « purifier pour répondre aux spécifications rigoureuses nécessitées par les procédés d’Infineon ». Or, l’électrolyse PEM est déjà le procédé produisant l’hydrogène le plus pur nativement (source).

Applications dans l’alimentaire

L’hydrogène est également utilisé dans l’industrie alimentaire pour l’hydrogénation des graisses. C’est notamment utilisé dans la production de margarine.

Les usages industriels possibles de l’hydrogène

L’hydrogène pourrait décarboner des procédés industriels polluants qui ne peuvent pas être électrifiés. Par exemple, le méthane produit un type de chaleur que l’électricité ne peut pas reproduire. L’hydrogène peut, à certaines conditions, remplacer cette « chaleur critique ». Ce serait par exemple son rôle pour décarboner la production de ciment. L’H2 peut également être utilisé pour remplacer une réaction chimique polluante, comme c’est le cas pour la réduction de fer, une étape de la production d’acier.

Remplacer le coke dans la production d’acier

Le fer se trouve à l’état naturel sous forme d’oxyde (Fe2O3, hématite), il a besoin, pour être transformé en acier, d’être désoxydé: c’est la réduction du fer. Vous avez deux modes de production partant de là : les hauts fourneaux et la réduction directe. En hauts fourneaux, la réduction va se faire grâce au carbone C (ce qui donne du CO2), apporté par le coke (un charbon préalablement vidé de ses composants volatiles) dans un four dont la température dépasse les 1500-2000°C. C’est le mode de production ultra dominant (93%, hors recyclage). L’autre est la réduction directe du fer. En gros, on chauffe moins (1200°C) le fer et on l’expose à des gaz réducteurs (syngaz ?), ce qui retire l’oxygene. Ensuite, il est fondu dans un four à arc électrique. Ce procédé utilise encore beaucoup d’énergies fossiles, mais peut s’utiliser avec de l’hydrogène pur. Des expérimentations en ont déjà démontré la faisabilité. C’est une piste très prometteuse pour laquelle les principaux sidérurgistes ont annoncé des investissements formidables à court terme.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre article sur lhydrogène pour décarboner la production d’acier.

L’hydrogène pour décarboner la production de ciment?

La production de ciment est une catastrophe pour le climat: elle représente, à elle seule, 7 à 8% des émissions de CO2 mondiale. La production d’une tonne de clinker (le principal composant du ciment) nécessite une chaleur critique représentant 330 kg de CO2 et 535 kg issu du procédé chimique lui-même de calcination du calcaire. L’hydrogène est envisagé pour décarboner la production de chaleur critique. C’est l’une des solutions nombreuses solutions qui pourraient se combiner pour réduire ces émissions (en toute sincérité, pas la plus enthousiasmante).

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre article sur la décarbonation du ciment par l’hydrogène.

La production d’électricité: l’hydrogène-énergie

L’hydrogène peut être utilisé pour produire de l’électricité grâce aux piles à combustibles. Les usages principaux seraient dans la mobilité hydrogène et pour la gestion des réseaux électriques.

Les piles à combustible à hydrogène

C’est grâce aux piles à combustible qu’on peut transformer de l’hydrogène en l’électricité. Le principe des PAC consiste à produire, grâce à l’injection d’hydrogène (entre autre) au niveau d’une électrode (anode) une réaction qui libère des électrons. Ces derniers chercheront à rejoindre la cathode, mais seront bloqués par un électrolyte. Ce dernier doit néanmoins laisser passer les ions qui migreront de la cathode à l’anode.

Par exemple, la réaction pour les piles à combustible à membrane échangeuse de proton (PEMFC) est

  • Au niveau de l’anode: 2H2 => 4H+ +4e-
  • Au niveau de la cathode: O2 +4H+ +4e- => 2H2O

Au-delà de cette apparente simplicité, il y a une infinité de détails qui rendent l’ensemble d’une complexité difficile à saisir pour les profanes. Il y a de nombreux types de technologies, utilisant différents électrolytes, différents métaux pour les électrodes, fonctionnant à différentes pressions et températures, ayant différentes vitesses, différentes inerties, différents risques (ex: la pile alcaline craint fortement la contamination au CO2 et ne peut donc pas utiliser l’air tel quel, il faut qu’il ait été purifié), etc.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre article sur les piles à combustible.

Mobilité hydrogène: futur ou fantaisie ?

C’est un éternel marronier: et si l’hydrogène remplaçait le pétrole ? C’est l’idée qui a lancé la « hype » de l’hydrogène dans les années 70, en réaction aux chocs pétroliers. C’était le début de « l’économie hydrogène ». Bon, soyons clairs, c’est absurde: rien ne remplacera le pétrole. En matière de mobilité, l’hydrogène souffre de plusieurs problèmes: ses caractéristiques physiques, qui le rendent difficile à stocker et, surtout, le mauvais rendement énergétique de l’opération « power to wheels ». En effet, produite par électrolyse, seul 25% de l’électricité utilisée pour produire l’H2 sera restituée au moteur électrique. Avec une batterie, ce pourcentage est de 90% … Enfin, il y a les problèmes des piles à combustibles PEM: elles demandent des métaux rares (platine, etc.) et coutent cher.

Toutefois, au-delà de ces fadaises, il y a de nombreux véhicules pour lesquels l’électricité n’est pas une option, comme les avions ou les bâteaux. Il pourrait effectivement être intéressant de développer une mobilité lourde à hydrogène.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre article sur la mobilité hydrogène.

L’hydrogène pour stocker l’énergie

Enfin, dernier grand usage de l’hydrogène : stocker l’énergie. Plusieurs énergies renouvelables sont intermittentes et l’hydrogène permettrait de stocker les excès. Elle a des atouts forts par rapport aux batteries: ces dernières ne sont pas adaptées pour stocker de grands volumes, alors que l’hydrogène pourrait facilement (théoriquement). Quant au stockage traditionnel, grâce aux STEP, il est déjà exploité autant que possible.

Cette démarche a trois problèmes:

  • Ses variations d’intensité : l’électrolyse alcaline ne les supporte pas et l’électrolyse PEM, qui les supporte, est beaucoup plus chère et a un moins bon rendement.
  • Le temps d’utilisation des électrolyseurs. ils ne sont pas rentabilisés si vous ne les utilisez pas assez souvent.
  • Le rendement global sera mauvais. (l’électrolyse haute température de Genvia pourrait changer cela, mais on en est encore au tout début)

Ces problèmes seuls sont très sérieux. S’y ajoute les difficultés liées au stockage d’hydrogène, qui est loin d’être résolue. Nous entendons souvent parler des cavités salines, mais cette technologie reste au stade expérimental. Le stockage sous forme chimique (ex: ammoniaque) semble plus crédible. Cette piste sera sans doute nécessaire, mais on l’imagine mal à cout terme.

L’échelle des utilisation de l’hydrogène

Libreich Associates a publié un intéressant concept, celui d’une échelle des usages. Ainsi, la production de fertilisant, le méthanol, l’hydrocracking et la désulphurization seraient des usages dont on ne pourrait pas se passer. A l’inverse, les voitures à hydrogènes seraient absurdes. Cette échelle me semble pertinente (rq: je vous encourage à lire l’article, très intéressant) :

The Clean Hydrogen Ladder, Version 4.0        Source: Liebreich Associates (concept credit: Adrien Hiel/Energy Cities)
https://www.linkedin.com/pulse/clean-hydrogen-ladder-v40-michael-liebreich/