Production d’hydrogène: électrolyse, vaporéformage, pyrogazéification …

La production d’hydrogène est dominée par des procédés polluants (vaporéformage et gazéification d’hydrocarbures), mais l’électrolyse et la pyrogazéification/thermolyse laissent l’espoir d’une décarbonation de la production d’hydrogène.


L’hydrogène emporte beaucoup d’espoirs: il peut être produit à partir d’eau et ne libère, quand on l’utilise, que de l’eau. Jeremy Rifkin prétendait même que cela remplacerait le pétrole et qu’ainsi se développerait une vraie économie hydrogène à partir de petites unités de production alimentées par le solaire. Pourtant on en est encore loin : la production d’hydrogène est actuellement à l’origine de 6% des émissions de gaz à effets de serre et dominée à 96% par l’hydrogène fossile … sans captation carbone. Sa production est un sujet complexe et, aujourd’hui, elle est émet énormément de CO2.

Nous allons quelles sont les méthodes de production d »hydrogène avant d’approfondir la réalité actuelle de sa production. Nous verrons :

  • La production d’hydrogène fossile
  • La production d’hydrogène vert
  • Les autres modes de production d’hydrogène

A la fin de l’article je vous donnerai des liens vers les autres articles sur le sujet.

Mais avant tout cela, faisons un petit récapitulatif de la production d’hydrogène en pratique.

Données actuelles sur la production d’hydrogène

Tous les chiffres sont unanimes: l’hydrogène est essentiellement produit à partir d’énergies fossiles. Selon le rapport de l’IEA, « Future of Hydrogen » 76% de la production serait produite à partir de gaz naturel et 23% de la production viendrait du charbon. Seuls 4% viendraient de l’électrolyse. Second challenge: l’essentiel (88% ?) de cette production est dite « captive » ou « non-commerciale », c’est-à-dire qu’elle est intégrée dans des processus de production internes (ou quasiment, comme deux usines voisines reliées par un pipeline) et qu’elle est un coproduit de plusieurs production (le coking et la raffinerie essentiellement). Ainsi, décarboner la production d’hydrogène va être très compliqué.

Actuellement, les principaux fournisseur d’H2 sur la marché sont Linde-Praxair, Air Liquide et Air Products. Si le prix de l’électrolyse est actuellement élevé (>5€/kg) comparé au prix du vaporéformage (1-1.5€/kg), il est possible que les deux se rejoignent, d’une part avec les économies d’échelle et la recherche (baisse du prix de l’électrolyse) et d’autre part avec le développement de la taxation carbone (hausse prix du vaporéformage).

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre article sur les statistiques de la production d’hydrogène.

La production d’hydrogène fossile

Les principaux procédés de production d’hydrogène sont:

  • Le vaporéformage d’hydrocarbures légers (principalement du méthane)
  • La gazéification de charbon ou d’hydrocarbures lourds
  • L’oxydation partielle (POX) [à compléter]

Cette production pourrait être viable si elle implémentait des dispositifs de captation carbone (Carbone Capture, Use and Storage, CCUS). Toutefois, il ne semble pas que la technologie soit mature.

Le vaporeformage d’hydrocarbures (méthane en principe)

Le vaporeformage permet de produire de l’hydrogène à partir d’hydrocarbures. On utilise surtout du méthane. On parle alors de SMR (Steam Methan Reforming).

Il y a deux réactions, d’abord celle de vaporéformage proprement dite (H2O + CH4 → CO + 3 H2), qui produit un mélange de monoxyde de carbone et de dihydrogène, aussi appelé gaz de synthèse ou « Syngas« , puis ce qu’on appelle la  » Conversion catalytique » (CO + H2O → CO2 + H2). Ces procédés supposent de chauffer le gaz à une température extrêmement élevée (700-1100°C) et libèrent 10 fois plus de CO2 que cela ne produit d’hydrogène (en poids).

Pour aller plus loin, vous pouvez lire notre article sur la production d’hydrogène par vaporéformage de méthane.

La production d’hydrogène par gazéification

La gazéification de charbon est le deuxième principal procédé de production d’hydrogène actuellement. C’est une combinaison de plusieurs réactions se déroulant à des températures et des pressions élevées (500-1400°C ; >33 bars). (Garcia 2015)

Je suis en train de reprendre cette partie. Mes sources assimilaient gazéification du charbon et pyrogazéification, ce qui est contestable, tant sur le plan technique (la première tech est mature, la seconde doit encore passer à l’échelle) qu’écologique (la première est très polluante, la seconde est carbone-négative …).

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre article sur la production d’hydrogène par gazéification

L’oxydation partielle (POX)

[En travaux]

Le problème de la captation carbone et de son stockage (CCUS)

L’hydrogène fossile produit, en principe, énormément de CO2. Néanmoins, certains estiment que la CCUS permettrait de résoudre cette difficulté et de le rendre viable, au moins à court ou moyen terme. Cet hydrogène est dit « bleu ». C’est la thèse défendue par William J.Nuttall et Adetokunboh T.Bakenne dans « Fossil Fuel Hydrogen, Technical, Economic and Environmental Potential ». La capture de 90% des émissions du vaporéformage ne représenterait qu’un cout de 80$/tCO2 capturée pour la production marchande et 90-115$/tCO2 pour la production intégrée (ammoniaque, urée, méthanol). (IEA 2019)

Néanmoins, j’entends beaucoup que cette technologie n’est pas encore au point. De plus, en aout 2021, le président de l’association défendant les intérêts de la filière hydrogène au Royaume Uni, UK Hydrogen & Fuel Cell Assocation, aurait quitté son poste à l’annonce de la stratégie du gouvernement britanique au motif l’hydrogène bleu serait « au mieux une distraction onéreuse, et au pire un verrou pour l’utilisation continue des combustibles fossiles qui nous garantit que nous échouerons à atteindre nos objectifs de décarbonation « . C’est donc un point de vigilance.

L’électrolyse de l’eau: l’hydrogène « vert »

Transformer de l’eau en carburant, génial non ? C’est ce que propose l’électrolyse de l’eau.

On va faire passer un courant électrique entre deux électrodes: une anode et une cathode. Au niveau de la première, l’électricité dégage de l’oxygène (4 OH → O2 + 2H2O + 4 e) et, au niveau de la seconde, se dégage l’hydrogène (2 H2O + 2 e → H2 + 2 OH).

Les estimations de prix varient. Selon Fossil Fuel Hydrogen, Technical, Economic and Environmental Potential, le prix de production de l’hydrogène par électrolyse utilisant l’énergie éolienne serait entre $2.85 et 7.3 par kg de H2, avec une médiane à 4.8$. Le CEA (2012) estime son prix à entre 5 et 30€/kg d’H2 selon la taille de l’exploitation. Il pourrait néanmoins diminuer à 3€/kg d’H2 avec des installations à grande échelle, avec une électricité à 40€/MWh.

Caroline Rozain (2013) reprend le chiffre de 3 € kg-1 H2 pour un prix de l’électricité de 40 € MWh-1.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre article sur la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau.

La pyrogazéification ou thermolyse de biomasse

C’est un peu le graal de la production d’hydrogène : la pyrogazéification ou thermolyse de biomasse. L’idée est de chauffer progressivement de la biomasse pour qu’elle libère l’hydrogène (et divers composants) présent, de sorte qu’il ne reste qu’un résidu carboné (solide en principe, le biochar, ou liquide). Ainsi, non seulement vous utilisez une matière qui a absorbé du CO2 (on est dans la logique de neutralité carbone du biogaz), mais en plus une partie de ce carbone reste fixé après l’opération. Le procédé peut déjà être carbone-négatif, selon la quantité du résidu. Ainsi, Hynoca, l’un des procédés les plus avancés annonce capter l’équivalent de 12 kg de CO2 par kg d’hydrogène produit. On imagine que, lorsque la CCUS sera au point, on pourra faire encore mieux.

Second point fort, ce procédé permettrait de valoriser des biomasses qui ne le sont actuellement pas, comme certains résidus de scierie ou encore des déchets agricoles (ce qui permettrait par exemple de valoriser les nombreux déchets agricoles en Cote d’Ivoire, notamment ceux issus de la production de cacao).

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre article sur la pyrogazéification ou thermolyse de biomasse.

Autres modes de production d’hydrogène

Il y a d’autres méthodes, qui m’ont néanmoins semblé mineures. Toutefois, il me semble intéressant de les évoquer :

Le « cracking » d’ammoniaque

C’est une réaction importante, car l’ammoniaque est envisagé pour servir au transport longue distance d’hydrogène.

La réaction est la suivante : 2NH3 => N2+3H2. Elle se produit « en général à hautes températures (>900°C) dans un processus appelé « cracking ». Elle est endotherme et demande 46.22kJ par mole (d’hydrogène ?) produite. (Zhong Zhang 2014, p.18)

Le « cracking » de méthane

La réaction est : CH4 = C + 2H2. La réaction est endotherme (74.8 kJ/mol). Son grand atout est qu’elle ne rejette pas de monoxyde de carbone, mais du carbone solide. Elle peut se faire à 500°C avec certains catalyseurs et 1000°C sans. (Zhong Zhang 2014, p.22) C’est une piste que le Réveilleur trouve très intéressante (source).

Les voies expérimentales

Le biohydrogène

Certains organismes produisent naturellement de l’hydrogène lors de la phytosynthèse. On obtient ainsi directement de l’hydrogène de l’énergie solaire. C’est notamment le cas de certaines algues vertes et cyanobactéries.

Cette méthode est encore expérimentale.

Production d’hydrogène par voie biologique

Dissociation thermochimique de la vapeur d’eau

Il s’agit ici de chauffer tellement l’eau qu’elle se dissocie en une molécule d’hydrogène et une d’oxygène. Il faudrait, pour le réussir à pression atmosphérique, une chaleur de 3500°C. Pour diminuer ce besoin, on utilise d’autres atomes. Par exemple, on utilise de l’iode et du souffre :

                                      I2 + SO2 + 2 H2O → 2 HI + H2SO4

L’hydrogène et l’iode sont ensuite dissociés. La chaleur demandée par ce processus est bien moindre, mais encore extrême : entre 900 et 1000°C.

Cette chaleur pourrait être coproduite par du nucléaire ou du solaire.

Notez qu’elle a été abandonnée par le CEA et les Etat-Unis:

« Les procédés de décomposition de l’eau à haute température « par cycles thermochimiques » ont été étudiés dans les années 2000 au CEA. Cette technique consiste à mettre en oeuvre une série de réactions chimiques en cycle fermé (c’est-à-dire avec recyclage intégral des réactifs intermédiaires), afin de décomposer l’eau pour produire de l’hydrogène et de l’oxygène.

Dans son principe, cette approche est très adaptée à une production de masse : à partir d’une matière première (l’eau) pratiquement inépuisable, les débits d’hydrogène sont proportionnels aux flux des réactifs et des apports énergétiques, et non aux phénomènes de diffusion aux interfaces, et cela sans apport d’électricité.

Le CEA a arrêté en 2009 ses études « laboratoire » sur différents cycles, les procédés n’ayant pas d’intérêt économique prouvé à court/moyen terme. Les Etats-Unis ont choisi également d’arrêter la R&D sur cette filière ; d’autres pays comme le Japon poursuivent leurs programmes. »

CEA (2012)

La photoélectrolyse de l’eau

Il serait possible de transformer directement de l’eau en hydrogène par l’action du soleil. Ce serait la photoélectrolyse. Cette technologie implique l’utilisation de semi-conducteurs. Elle est encore au stade expérimental, mais une équipe de chercheurs aurait trouvé une méthode pour que ce processus produise de l’hydrogène à 5€/kg.

L’hydrogène fatal ou hydrogène coproduit

L’hydrogène fatal est le fruit d’un processus qui n’a pas pour objet sa production. C’est un “coproduit”. Parmi ses producteurs, il y a l’industrie du chlore, la production de coke (un charbon …) et le raffinage de produits pétroliers. Il s’agit du contexte de la production d’hydrogène et non un mode de production spécifique. Par exemple, la production de chlore produit de l’ « hydrogène fatal » par électrolyse. De même, la production de coke, produit de l’hydrogène fatal par gazéification. Ce sont tous les deux des coproduits.

Conclusion

Ainsi, il y a deux principaux modes de production d’hydrogène:

  • A partir du vaporéformage ou de la gazéification de carburants fossiles, ce qui produit beaucoup de gaz à effets de serre (jusqu’à ce que la CCUS soit viable);
  • A partir d’eau, par électrolyse, ce qui consomme beaucoup d’électricité. De nombreux progrès sont en cours pour améliorer la rentabilité de ces installations.

A première vue, l’électrolyse semble un choix évident. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que l’électricité est actuellement très carbonnée en Europe: environ 300g de CO2/kWh (contre <100 en France). Toute demande supplémentaire d’électricité mobilisera des centrales à charbon ou à gaz, qui produisent respectivement en moyenne 950g et 350g de CO2/kWh. L’énergie requise « est typiquement de l’ordre de 50 kWh électrique par kilogramme d’hydrogène produit » (Durville et al. 2015) Si l’électricité vient d’une centrale à charbon, chaque kg d’H2 représenterait 47.5 kg CO2, ce qui serait en gros 5 fois plus que pour le vaporéformage … Plusieurs projets proposent de coupler production d’hydrogène avec une énergie verte, comme un barrage ou du photovoltaïque. Néanmoins, ces projets souffrent aussi de cette critique: pourquoi ne pas, avant tout, décarboner l’électricité (européenne) ?

La piste la plus prometteuse semble être celle de la pyrogazéification / thermolyse de biomasse, qui permet de valoriser des matières qui ne le sont actuellement pas (bois, résidus agricoles), voire dont la gestion représente sinon un cout (déchets) et dont le bilan global est carbone-négatif. Ecologique et économique, que demander de mieux ?

[Rq: cet article est en cours d’approfondissement, je vais devoir lire pas mal d’études scientifiques avant de vous proposer sa forme finale]

Pour aller plus loin:

Cet article fait partie de notre dossier “Hydrogène, autonomie et transition énergétique“.

Sur la production d’hydrogène :

  • La vidéo du Réveilleur, « Hydrogène: comment le produire ? » est très sourcée est absolument super.
  • Futura-science, « Comment produit-on de l’hydrogène ? » (très synthétique)
  • Encyclopédie énergie, « La production d’hydrogène « vert » » (très riche, une belle trouvaille)
  • Connaissance des énergies, « Production de l’hydrogène »
  • Wikipedia, « Production d’hydrogène »
  • AFHYPAC, Production d’hydrogène à partir de combustibles fossiles,

Bibliographie :

  • Durville J-L., Gazeau J-C., Nataf J-M. (2015), Filière hydrogène-énergie, rapport N° 2015/07/CGE/SG rendu au ministère de l’écologie et de l’économie en septembre 2015, 161p.
  • William J.Nuttall et Adetokunboh T.Bakenne (2020), Fossil Fuel Hydrogen, Technical, Economic and Environmental Potential, éd. Springer, 143 pages
  • Zhong Zhang J., Li J., Li Y., Zhao Y. (2014), “Hydrogen Generation, Storage, and Utilization”, éd. Wiley, 2014