Production d’hydrogène par pyrogazéification de biomasse
La pyrogazéification ou thermolyse de biomasse est une des pistes de production d’hydrogène les plus prometteuses. Négative en carbone, elle combine pyrolyse et gazéification pour produire de l’hydrogène renouvelable et du biochar.
Remplacer les carburants fossiles est simple à dire, mais difficile à faire: utiliser de l’électricité n’est souvent pas une option. C’est l’un des grands problèmes de la transition énergétique. L’une des pistes les plus prometteuses est l’hydrogène, qui peut par exemple se substituer au charbon et à la coke dans la production d’acier ou bien au méthane pour les usages thermiques. Le problème est qu’aujourd’hui, il est justement largement produit de manière polluante (vaporéformage de méthane ou gazéification du charbon), seulement à 4% de source potentiellement renouvelable (l’électrolyse). Une solution absolument fantastique est la pyrogazéification de biomasse.
Il s’agit en un mot de chauffer de la biomasse de sorte à créer un gaz synthétique (syngaz) renouvelable riche en hydrogène , qui est ensuite traité pour en extraire ce dernier. L’opération consomme peu d’énergie (elle s’auto-alimente: une partie du syngaz créé sert de combustible), utilise une matière qui a capté du CO2 (on produit un biogaz renouvelable) et, en plus, une partie de ce dernier reste sous forme solide (un produit similaire au coke : le biochar). Au final, le procédé est donc carbone – négatif ! Par exemple le procédé HYNOCA développé par Haffner Energy allègue stocker ainsi l’équivalent de 16 kg de CO2 pour chaque kg d’hydrogène produit, soit 12 kg si on prend en compte l’ensemble du bilan de l’opération.
Le procédé de pyrogazéification
La pyrogazéification est un procédé qui combine pyrolyse et gazéification. D’abord vous séchez les intrants, avant de les pyrolyser et de les gazéifier. Ensuite, le sort du syngas produit va dépendre de la finalité souhaitée : il peut être utilisé comme combustible, pour de la cogénération, pour produire de la chaleur renouvelable, être transformé en méthane par méthanation ou encore passer par la conversion catalytique (« water gas shift ») puis purifié, pour en tirer du dihydrogène.
Les intrants: bois, déchets agricoles et autre biomasse
Le plus grand problème et la plus grande force de la pyrogazéification est la matière utilisée comme combustible. Cela varie, mais dans le principe, peuvent être utilisés de nombreuses matières:
- Le bois.
- Les résidus de culture et coproduits de l’industrie agroalimentaire.
- D’autres déchets : « Combustibles Solides de Récupération (CSR), pneus usagés, boues de STEP séchées, etc » (ATEE)
Il y a des millions de tonnes qui ne sont actuellement pas valorisées à exploiter. L’industrie du bois pourrait ainsi fournir des quantité colossales de matière. En Cote d’Ivoire, l’industrie du cacao produit des près d’un million de tonnes de « cabosses », qui pourraient être ainsi être transformées en hydrogène pour produire de l’électricité, le réseau électrique ayant de nombreuses défaillances dans ce pays. C’est une piste extraordinaire pour développer la transition énergétique.
Point intéressant, selon ATEE.fr, cette filière serait complémentaire avec la méthanisation:
De nombreuses ressources biomasse ne « brûlent » pas bien (fusion des cendres, par exemple les résidus lignocellulosiques de compostage) mais se prêtent bien à la pyrogazéification (absence d’oxygène évitant la fusion des cendres). Sur les déchets, la filière de la pyrogazéification se positionne sur des ressources homogènes à fort pouvoir calorifique, sur de petites ou moyennes capacités, cohérentes avec des rayons d’approvisionnement local et non sur des ordures ménagères avec de très grosses capacités (incinération).
ATEE.fr
Néanmoins, au-delà de la variété des intrants possibles, il faut que les caractéristiques de la matière fournie soient particulièrement homogènes:
En effet, de la qualité et de la mise aux spécifications des intrants (humidité, granulométrie, PCI, taux de poussières, etc.) dépendront le bon fonctionnement des procédés et la qualité des composés énergétiques produits.
ATEE.fr
C’est le grand point faible du procédé, qui concentre une large part des efforts de recherche et développement.
La pyrolyse
La pyrolyse consiste à chauffer les intrants à des températures élevées en l’absence d’oxygène. Elle produit des résidus solides (« char »), liquide (goudrons, pétrole, huile) et, évidemment, des gaz (CO2, H20 CO, CxHy, etc.). La prédominance des différentes substances varie selon les conditions précises. L’ADEME distingue deux types de pyrolyses:
- La pyrolyse « flash », consistant à élever rapidement la température jusque 500-650°C, ce qui crée surtout du gaz.
- La pyrolyse lente, consistant à élever lentement la température jusque 300-400°C, ce qui favorise l’apparition de carbone solide (coke/biochar, le terme semble être utilisé indifféremment)
Incertitudes
Alors il y a plusieurs points sur lesquels mes souces ne concordent pas.
- Températures de la pyrolyse
Selon Atee.fr, la température de la phase de pyrolyse est entre 400 et 1500°C. Pour Block et coll. (2019), c’est entre 300 et 800°C. C’est encore différent pour l’ADEME (cf données retenues).
- Pyrolyse ou thermolyse?
J’ai un doute sur l’utilisation du terme pyrolyse ou thermolyse. La société Haffner Energy parle de « thermolyse » pour la première étape de son procédé HYNOCA (qui chauffe à 500°C). Une autre source fiable a repris cette distinction. Selon une présentation de Suez, la thermolyse se produirait en l’absence totale d’oxygène et la pyrolyse en présence d’une faible quantité d’oxygène (ce qui ferait une combustion incomplète). Ils développent largement la distinction. C’est également ce qui ressort
Selon le site de l’ADEME, la thermolyse « désigne une pyrolyse où la chaleur nécessaire aux réactions est apportée par une source extérieure à la charge à pyrolyser. »
J’ai préféré conserver le terme pyrolyse, plus répandu, mais c’est un point de vigilance.
La gazéification
La gazéification se produit à hautes températures, entre 900 et 1200°C, et suppose l’injection d’un « agent gasifiant », qui peut être de l’air, de l’oxygène pur, de la vapeur d’eau ou encore du CO2. Les molécules lourdes deviennent de plus en plus légères, jusqu’à former des gaz « permanents » (CO, H2, CO2, CH4), des goudrons, du char et des cendres. Elle peut prendre place dans le même réacteur que la pyrolyse.
Formule | Enthalpie | Nom |
C + H2O CO + H2 | +131 kJ/mol | primary water gas reaction |
C + CO2 2 CO | +173 kJ/mol | Réaction de Boudouard |
CO + H2O CO2 + H2 | – 42 kJ/mol | water gas shift reaction, WGS |
Pour alimenter ces réactions, on peut injecter de l’oxygène (pur ou dans de l’air simplement), ce qui déclenche ces réactions libérant de grandes quantités d’énergie thermique, utilisant le syngas comme carburant:
Formule | Enthalpie | Nom |
C + 0.5 O2 CO | -111 kJ/mol | Oxydation partielle |
CO+ 0.5 O2 CO2 | -283 kJ/mol | Oxydation complète |
CH4 + 2 O2 CO2 + 2 H2O | – 803 kJ/mol | |
H2 + ½ O2 H2O | -242 kJ/mol |
Il y a plusieurs technologies pour organiser ces procédés sur deux sujets :
- Est-ce que l’ensemble de ces opérations sont faites dans le même réacteur ?
- Comment se « déplace » le « lit » (= la matière utilisée). On distingue classiquement les installations à lit fixe, lit fluidisé ou lit à flux entraîné.
Les variations sont néanmoins infinies.
Nettoyage et utilisation
On obtient ici un syngaz composé essentiellement de H2 et de CO et dans une moindre mesure de CH4, CO2, d’eau et, parfois, de diazote. Dans le principe, on a déjà fini la pyrogazéification à proprement parler. Ensuite, les chemins varient selon la destination qu’on veut donner au gaz produit. Si on veut en extraire l’hydrogène, on le fait passer par ce qu’on appelle le « water gas shift » (conversion catalytique), qui permet de tirer de l’H2 à partir du CO du syngaz, puis on le purifie.
On peut aussi vouloir transformer le syngaz en CH4 (Cf Gaya plus loin) ou en biocarburant par la synthèse de Fischer-Tropsch (Ex: BioTfuel), mais je ne sais pas précisément comment c’est fait.
Les projets de pyrogazéification de biomasse
Motivée par les chocs pétroliers des années 70, la recherche s’est intéressée à la pyrogazéification et de nombreux projets avaient vu le jour entre 90 et 2005 pour la gestion des déchets. Néanmoins, les performances attendues n’étaient pas au rendez-vous, le traitement coutant trop cher comparé à l’incinération. Aujourd’hui, l’accent n’est plus tant sur une alternative à l’incinération des déchets que sur la production de biogaz. L’objectif est maintenant de démontrer faisabilite de la technologie. On peut distinguer deux grands types de projets: ceux qui visent à produire de l’H2 et ceux qui cherchent à produire du biométhane ou des biocarburants. Je mets un peu à part ceux destinés à produire uniquement de la chaleur ou de la cogénération, qui me semblent moins intéressants.
Production d’hydrogène par pyrogazéification de biomasse
L’hydrogène a de nombreux intérêts pour l’environnement. Outre qu’on en utilise déjà de grandes quantités dont il faut remplacer la production par des procédés respectueux de l’environnement, il permettrait d’être utilisé comme carburant pour la mobilité et de décarboner plusieurs pans de l’industrie (notamment ciment et acier) et pour stabiliser les réseaux d’électricité. Si l’électrolyse de l’eau grâce aux énergies renouvelables (ENR) est attractive, elle fait face à des difficultés remettant en question sa viabilité. Au contraire, la pyrogazéification est clairement un espoir pour la transition énergétique. Elle permet la valorisation de matières autrement inexploitées absorbe du CO2.
Haffner Energy et le procédé HYNOCA
Le procédé HYNOCA développé par Haffner Energy promet de produire de l’hydrogène à partir de biomasse, par thermolyse, puis gazéification (ils parlent de « vapocraquage », mais c’est pareil il me semble). L’entreprise a été introduite en bourse avec succès en début d’année et un démonstrateur de leur modules est en cours d’installation à Strasbourg. Ils promettent un coût de production de dihydrogène compétitifs avec le vaporéformage de méthane, descendant à 1.5€/kg H2 et un processus carbone – négatif, captant l’équivalent de 12kg de CO2 par kg d’H2 produit. C’est le projet qui semble le plus avancé, ayant commencé à commercialiser sa production, ayant annoncé un carnet de commandes fermes de 17,5 millions d’euros au 31 mars 2023.
Energy&+, le projet breton
Energy&+ est une entreprise assez extraordinaire: commencée en 2006 comme plombier-chauffagiste, elle s’est tourné vers la valorisation de la biomasse, notamment avec la méthanisation. Depuis peu, elle développe la pyrogazéification du bois. Elle a créé W&nergy, une holding qui portera 5 projets et pyrogazéification et qui a reçu un investissement de 7 millions d’euros Eiffel Investment Group. Ils annoncent 2 projets en services dès 2022. (rq doute: ils n’évoquent pas la production d’hydrogène ôo)
Ils participeraient « dans le cadre du projet FORETS (Formation, Recherche et Environnement dans la Tshopo) financé par l’Union Européenne, et exécuté par le Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR), à la conception d’une centrale de cogénération à Yangambi, dans la Province de la Tshopo (RDC). » (source) L’entreprise bretonne devrait délivrer une unité de pyrogazéification de bois offrant 150kW électriques et 250kW thermiques. L’hydrogène produit serait immédiatement transformé en électricité et en chaleur (à vérifier).
Wood-Hy/Hy-boy porté par la communauté de communes des Landes d’Armagnac
Wood-Hy/Hy-Boy vise, comme son nom le laisse deviner, à transformer du bois en hydrogène. Le projet est porté par Communauté de communes des Landes d’Armagnac. Le site, installé à Losse, est censé entrer en production en 2022 et produire 1000 tonnes d’H2 par an. Il semble y avoir très peu de nouvelles en dehors des annonces.
Production de méthane de synthèse renouvelable
De nombreux projets ont vocation à produire par gazéification du biométhane (Ex: Gobigas (Göteborg, Suède, 2014), Gogreengas (Swindon, Angleterre), Ambigo (Alkmaar, Pays-Bas)). On peut noter également le projet BioTfuel, lancé à Dunkerque en 2010, qui visait à transformer de la biomasse en un gaz de synthèse étant ensuite converti en biocarburant par la synthèse de Fischer-Tropsch. En France, le projet le plus connu est GAYA. L’échelle commerciale est potentiellement atteinte et des installations industrielles sont en dévleoppement : Salamandre, d’Engie, et les projets de Qairos Energies et HYMOOV.
GAYA : transformer le bois en biométhane par pyrogazéification
Gaya est une plateforme de recherche et développement semi-industrielle installée à Saint-Fons Elle a pour objet de tester la faisabilité de solutions autours de la gazéification. Le projet, rassemblant plusieurs partenaires, est piloté par Engie. Initiée en 2010 et lancée en 2016, l’initiative visait à transformer du bois sec en biométhane par gazéification, puis méthanation du syngaz. Le budget initial était de 47 millions d’euros, dont 19 millions venant de l’ADEME. Elle avait produit ses premiers mètres cube de gaz en 2019. Le CH4 renouvelable produit peut être injecté dans le réseau de gaz ou bien utilisé comme GNV (Gaz Naturel pour Véhicules).
La plan se concentrait à la base sur la biomasse forestière, mais, récemment, l’installation a également utilisé des combustibles solides de récupération (CSR), comme des papiers, cartons ou même certains plastiques, qui auraient été sinon destinés à être enfouis. Elle a commencé sa production en novembre 2020, ce qui serait une « première mondiale ».
Fort de cette expérience, Engie prévoit de déployer une unité industrielle à Le Havre : le projet Salamandre. L’installation produirait à partir de 2023 jusqu’à 150 GWh de gaz et 45 GWh de chaleur à partir de 70 000t/an de déchets (CSR).
Autres
Outre ceux que nous venons de voir, GRTgaz recense en 2021, 13 projets de pyrogazéification en France:
- Salamandre à Le Havre (76)
- Quairos Energies à Trangé, près de Le Mans (72)
- Cométha, en Ile de France
- Synthane à Compiègne (60)
- Sémardel, en Ile de France
- Hymoov à Montoir-de-Bretagne (44)
- Titant V à Nantes (44)
- Planénergie à Villeurbanne (69)
- Prélude & Métha à Audun le tiche (57)
- Hynovera à Gardanne (13)
- Vitrhydrogène à Vitry le François (51)
- Green Gas Provence à Istres (13)
- Limoges (87)
Cet article fait partie de notre dossier “Hydrogène, autonomie et transition énergétique“.
Pour aller plus loin :
- Chantal Block, Augustina Ephraim, Elsa Weiss-Hortala, Doan Pham Minh, Ange Nzihou, et al.. Copyrogasification of Plastics and Biomass: a Review. Waste and Biomass Valorization, Springer, 2019, 10 (3), pp.483-509
- Atee.fr : La pyrogazéification : comment ça marche ?
- Atee.fr : Les intrants en pyrogazéification
- ADEME: https://www.ademe.fr/expertises/dechets/passer-a-laction/valorisation-energetique/dossier/pyrolyse-gazeification/principes-pyrolyse-gazeification
- Soclema : https://soclema.com/applications/gaz-renouvelables/syngaz-issu-de-la-gazeification-de-la-biomasse/
Sujets à creuser :
- https://pyrotechenergy.com/pyroflash/
- https://pyrogaspower.it/en/pyrogasification/
- https://etia-group.com/about/
- Questions à poser : https://atee.fr/energies-renouvelables/club-pyrogazeification/procedes-technologiques