Résumé: Le rapport France Agrimer 2021 sur la compétitivité des filières agroalimentaires françaises observe une forte chute du solde commercial (>40% en euros courants) agroalimentaire français entre 2011 et 2019. Cette chute s’explique largement par une chute de la compétitivité des filières, surtout par rapport aux autres pays européens, qui sont nos principaux partenaires.
Les causes probables varient selon chaque filière, mais des facteurs globaux apparaissent, comme
- le manque d’investissements en matériel et en recherche ;
- la faible taille des exploitations et industries, qui limite les économies d’échelle;
- les difficultés de recrutement en raison d’une formation et attractivité insuffisantes;
- une réglementation environnementale plus exigeante que pour nos concurrents.
Le prix de la main d’oeuvre est également cité comme un obstacle, notamment pour les fruits et légumes.
FranceAgriMer, l’établissement national des produtis de l’agriculture et de la mer, a publié en 2021 un rapport sur la compétitivité des filières agroalimentaires françaises. Il s’agissait de « caractériser et comprendre la dégradation du solde commercial et l’érosion de la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires françaises ces dix dernières années ».
Nous vous en proposons ici une courte synthèse.
Le rapport part d’un constat clair: la balance agroalimentaire de la France se dégrade, nous importons de plus en plus et exportons de moins en moins. Il précise dans un premier temps ce constat par type de produit, puis présente les causes possibles.
Constat de départ du rapport FranceAgriMer: un solde commerial dégradé
Le solde commercial s’est dégradé radicalement étant presque divisé par 2 en euros constant entre 2011 et 2019. Cette baisse est spécifique à la France, l’Union Européenne n’ayant vu sa part de marché diminuer que de 5%, contre 22% pour la France.
La dégradation du solde commercial
Dans sa globalité, le solde commercial agricole et agroalimentaire de la France avait augmenté depuis 2004 (8.03Md€) à 11.9 milliards d’euros [10.4Md en euros constants] en 2011 et 2012, avant de chuter progressivement jusqu’à 5.5 milliards en 2017 [4.65Md en euros constants] avant de remonter à 7.7Mds en 2019 [6.27Mds en euros constants]. Ainsi, en prenant en compte l’inflation, la balance a presque été divisée par 1.5 depuis 2004 et par 2 depuis 2011.
Seuls les exportations de vins et spiritueux et animaux vivants ont augmenté, d’entre 15 et 25%. Tous les autres produits ont chuté, notamment la viande/produits carnés
La variable environnementale ne semble pas contrôlée.
La perte de parts de marché
Deuxième exportateur mondial au début des années 2000, la France n’est plus qu’à la 6e place depuis 2015. Sa part de marché des exportations modiales est passée de 8% en 200 à environ 4.8% en 2019.
Cette donnée est à prendre avec des pincettes: elle renseigne potentiellement davantage sur le développement d’agricultures étrangères, comme le Brésil, que sur l’évolution de l’agriculture Française.
L’influence de l’Europe
La compétitivité relative de l’Europe a largement chuté entre 2010 et 2019, aurait diminué d’environ 6%, contre 22% pour la France (p.27). La baisse de compétitivité par rapport à l’UE serait responsable d’une baisse de 3.3 de parts de marché dans l’UE en raison de l’effet de compétitivité sur la période 2000-2015, contre 0.6% par rapport aux pays tiers. (p.31)
Quand on retourne sur l’évolution du solde commercial de chaque type de produit (p.23), il est particulièrement marqué avec les pays membres de l’UE, notamment sur le lait et produits laitiers, les céréales, la pêche et l’aquaculture, les oléagineux et, surtout, la viande et les produits carnés. Ce cas est particulier car l’évolution du solde est contraire vis-à-vis des pays de l’UE (- 1851M€, -25 à 50%) et des pays hors UE (+ 548M€, +5 à 15%).
Les pays dont nous importons le plus sont tous limitrophes. Dans l’ordre : l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suisse. (p.30)
Les dépendances de la France
Le marché agroalimentaire étant international, les produits sont à la fois importés et exportés. (p.29)
Pour plusieurs produits, la dépendance est claire, la capacité de production étant largement inférieure à la consommation:
- Le riz (rq: détail amusant, la quasi-totalité du riz consommé en France est importé et les 10% que nous produisons est exporté)
- Les produits de la pêche et de l’aquaculture (6% de ce que nous consommons est français, alors que nous produisons l’équivalent de 32% de notre consommation)
- Le soja
- La viande ovine
- Les fruits tropicaux et agrumes frais
- Le beurre (79% d’auto-approvisionnement possible)
- Dans une moindre mesure, les fruits frais tempérés (84% d’auto-approvisionnement possible, mais 41% d’importations)
Pour d’autres produits, notre production est comparable à notre consommation, mais nous importons tout de même une part significative de notre consommation:
- La viande bovine (94% d’auto-approvisionnement possible, mais 22% d’importations)
- La viande porcine (100% d’auto-approvisionnement possible, mais 27% d’importations)
- La viande de volaille (95% d’auto-approvisionnement possible, mais 35% d’importations)
- Les oeufs (98% d’auto-approvisionnement possible, mais 15% d’importations)
- Les pommes de terre (130% d’auto-approvisionnement possible, mais 26% d’importations)
- Le colza (105% d’auto-approvisionnement possible, mais 27% d’importations)
- Les vins (128% d’auto-approvisionnement possible, mais 27% d’importations)
- Le sucre (172% d’auto-approvisionnement possible, mais 36% d’importations)
- Le plus notable: le blé dur (151% d’auto-approvisionnement possible, mais 66% d’importations) [rq: je ne sais pas si l’autoconsommation, pratique courante en France, est prise en compte]
Il me semble que c’est lié d’une part à l’hétérogénéité de ces produits (un vin italien n’est pas un vin français) et d’autre part au fait que les industries qui transforment ces produits ne sont pas forcément en France. (1)
Les causes de la diminution du solde agroalimentaire français d’après la littérature
Les rédacteurs ont étudié la littérature sur les raisons qui peuvent expliquer cette dégradation. Elle a plusieurs ensembles de facteurs:
- Le facteur géographique, lié à l’évolution des marchés vers lesquels nous exportons.
- Un facteur sectoriel
- Un facteur de « compétitivité pure »
Le rapport présente un résumé sur les pages 8 à 10.
L’effet géographique
Participe à la dégradation de la balance commerciale de la France un « effet géographique »: les pays vers lesquels nous exportons « sont moins dynamiques que la moyenne mondiale ».
Un « effet sectoriel » y participe aussi: « au sein d’un même secteur, notre mix produit connait une
dynamique de croissance plus faible que la moyenne« . Cet effet sectoriel est moins fort que l’effet géographique. (p.8)
Ce thème est développé p.32 et s. J’irai relativement vite : « les exportations françaises ciblent des pays dont la croissance de la demande a été particulièrement faible ces dernières années (États-Unis, Japon, Europe occidentale), croissant moins vite que celle des pays émergents. » (p.33) Est donné l’exemple de la faible croissance italienne, première destination des exportations françaises de produits animaux. On note néanmoins que les ventes de vin et de spiritueux sont tirées vers le haut par la Chine et les Etats-Unis. (p.13 – 34)
Une dégradation de la compétitivité de l’agriculture française
C’est le facteur principal (p.8) : il faudrait plus d’argent, pour produire une production donnée, en France que dans les autres pays de l’Union Européenne.
« La notion de compétitivité pour une entreprise se définit comme sa capacité à faire face à la
p.16
concurrence en maintenant, voire en accroissant, de manière robuste ses parts de marché face
aux autres entreprises nationales ou étrangères. »
On distingue deux aspects:
- La compétitivité prix (« capacité à proposer des prix plus bas que la concurrence ou à tenir une baisse de prix sans perdre de parts de marché« )
- La compétitivité hors-prix (« capacité à gagner ou maintenir des parts de marché en jouant sur d’autres leviers que le prix : différenciation qualitative, image, etc.« )
La compétitivité – prix
Les facteurs explicatifs de l’érosion de la compétitivité prix seraient
- Le coût des intrants (« consommations intermédiaires »: engrais et phytosanitaires) « contribue de manière déterminante à la moindre compétitivité des exploitations françaises ».
- Les niveaux des salaires serait plus élevé, mais ce poste de coût resterait relativement bas en raison de « l’importance de l’emploi familial non salarié » pour l’agriculture. Pour l’agroalimentaire, il serait plus déterminant.
- Les impôts de production : 3.2% en France contre la moitié dans le reste de l’UE. (p.9)
- Les coûts des autres secteurs, notamment des professions réglementées, comme les services juridiques et comptables.
- Le degré d’exigence des politiques environnementales, mais ce n’est pas quantifié et les travaux seraient « relativement anciens »
- La diminution de la productivité des facteurs dans l’agroalimentaire due
- à une mauvaise allocation des moyens (rigidités juridiques)
- à un faible investissement dans la modernisation
- à la faible taille des entreprises.
« Entre 2000 et 2017, le coût du travail en agroalimentaire en France, est plus élevé et a augmenté
p.40
plus vite que chez les principaux concurrents européens. Le coût horaire du travail français dans les industries agroalimentaires s’est accru de 58 % sur cette période contre une hausse de 34 % en Allemagne par exemple. »
« D’après l’étude d’INRAE (projet COMPANI), en moyenne, le coût du travail annuel observé dans l’ensemble des entreprises agroalimentaires en Allemagne est plus faible qu’en France (38 420 €/salarié vs 42 230 €/salarié). Plus particulièrement, dans l’industrie des viandes de boucherie, l’étude met en évidence une différence de plus de 7 000 euros sur la moyenne des coûts salariaux annuels par salarié en équivalent temps plein entre la France (40 661 €) et l’Allemagne (33 302 €) sur la période 1995-2015. Le Sénat montre par ailleurs dans une note récente que, rapporté au volume de produit, on observe un écart de coût salarial jusqu’à 0,10 €/kg de viande de porc entre la France et l’Allemagne. »
p.40
La productivité moyenne des facteurs aurait progressé en moyenne chaque année de 1.7% pour les grandes cultures, 0.6% pour le lait de vache, 1.6% pour la viande de bovin, 1.22% pour la filière ovins-caprins et 1,24% pour la polyculture élevage. (p.41) A l’inverse, dans l’industrie agroalimentaire, « la productivité totale des facteurs a diminué sur la période 1995- 2015 de 0,4 % par an en moyenne ». (p.44) Leur petite taille est également un problème, limitant la possibilité d’économies d’échelles et de valorisation des investissements. (p.45)
Une piste d’explication est l’augmentation drastique des normes environnementales, au-delà de ce que font les concurrents. Ce lien n’a néamoins pas été suffisamment étudié.
La compétitivité – hors-prix
Les marques distinctives, comme l’AOP, permettraient de vendre plus cher à l’export. Néanmoins, le lien entre provenance et qualité n’est pas toujours connu à l’étranger. Le marketing de l’Allemagne et de l’Italie serait plus efficace.
Le rapport relève plusieurs facteurs de compétitivité hors-coût:
- « Une moins bonne adéquation des produits aux préférences des consommateurs étrangers explique en partie la baisse de compétitivité.
- Les stratégies de différenciation sont en pleine croissance et le système des signes d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) permet d’exporter à des prix plus élevés dans les pays qui les reconnaissent, mais ces stratégies restent moins performantes en France que chez certains pays concurrents qui misent également sur d’autres facteurs de différenciation (par exemple le packaging). Par ailleurs, le lien entre origine et qualité n’est pas toujours lisible pour les consommateurs étrangers.
- Sur la formation professionnelle, facteur d’innovation et de qualité de gestion des entreprises, la France reste en retard par rapport à certains de ses concurrents.
- Quelques facteurs d’ordre institutionnel ou de gouvernance grèvent également la compétitivité hors-prix des entreprises françaises. » (p.48)
Par, ailleurs, il relève que la faiblesse des taux de marge n’ayant pas permis d’augmenter le taux d’investissement dans le secteur agroalimentaire, contre 1,9 points en Allemagne et 2.2 aux Pays-Bas. Par ailleurs, l’environnement économique est aussi en question :
L’environnement économique, le tissu industriel (très polarisé en France entre très grandes entreprises et TPE) ou encore les conditions de la concurrence (exacerbées en France à la fois entre enseignes de distribution et industriels mais aussi entre grands groupes industriels et leurs fournisseurs) fragilisent les productions françaises contrairement à l’Allemagne où sont observés des partenariats de long terme plus bénéfiques, même avec le hard discount. Des démarches de filières plus constructives sur le temps longs semblent un atout.
p.10
La consultation par filières
Les rédacteurs ont également recueuilli les observations des différentes filières. C’est en fait l’essentiel du rapport: 308 pages présentants ces éléments pour chaque filière spécifiquement. Ils synthétisent leur conclusion sur les pages 10 à 12.
Globalement, ce qu’ils disent recoupe la revue de littérature, mais apporte plusieurs éléments supplémentaires. Je ne vais citer que les points saillants.
Compétitivité prix
Le prix du travail est cité comme important, mais son importance est relativisée, sauf pour les filières intensives en travail, comme les fruits et légumes, et potentiellement en grandes cultures, si certains phytosanitaires deviennent indisponibles.
Sont cités la difficulté à trouver du personnel qualifié, en raison de la faiblesse de la formation professionnelle et le déficit d’attractivité (notamment en raison de l’image).
Les filières pointent la faiblesse des investissements pour l’innovation et pour le renouvellement du matériel. Idem pour la faible taille des structures, qui pourrait néanmoins être compensée par une meilleure coordination des acteurs. Est notamment souligné « l’impact très négatif de la pression sur les prix de la grande distribution qui ne permet pas de dégager une rentabilité suffisante sur le plan national pour investir.«
La suppression de phytosanitaires est cité comme un problème pour les cultures, notamment parce qu’elle « oblige à compenser par un surcroît de mécanisation », plus coûteux.
La réglementation est citée « comme critique par une grande majorité de filières qui pointent de multiple champs réglementaire : environnemental (ICPE, emballages, phytosanitaires), sanitaire, bien-être animal, processus industriels. […] Les termes « sur-transposition » et « sur-réglementation » reviennent très souvent mais aussi le besoin de stabilité et de délais d’adaptation ou d’anticipation suffisants. » (p.58)
Les coûts liés à l’exportation sont cités, notamment la hausse du fret et des frais portuaires, le manque de containers et les faiblesses du système d’assurance-crédit et du dispositif Coface.
Le manque d’investissement est également cité comme problématique par la majorité des groupes de travail.
Compétitivité hors prix
Les labels permettent de se distinguer sur le marché national, mais pas à l’international. La « marque France » est réputé pour être de bonne qualité, mais chère.
Les difficultés de recrutement ressortent « très fortement », en raison d’une formation faible, ainsi que d’un problème d’attractivité.
La petite taille des structures est présenté comme un obstacle pour exporter.
« Pour de nombreuses filières le marché national est mature voire en baisse ; l’enjeu est donc, soit de conquérir des marchés à l’extérieur (les filières lait et céréales, industries de transformation pointent à ce titre l’absence d’une vraie stratégie export – publique/privée -), soit pour certaines filières la reconquête du marché domestique face aux importations massives (ex : volailles, fruits et légumes). »
p.60
Les investissement de recherche seraient insuffissants et pas assez cohérents. (p.60)
Autre précision
Le rapport répond à une recommandation de la Cour des comptes appelant, en 2019, au diagnostic de l’érosion du solde commercial et agroalimentaire français et de la perte de compétitivité des filières.
Le rapport a été dirigé par Christine Avelin, directrice de publication FranceAgriMer, qui en fait la préface. Outre les services de l’organisme dans leur globalité, sont remerciés :
- Raphaël Beaujeu et Vincent Hebrail du Centre d’études et de prospective du MAA et Xavier Ory puis Alice Gremillet de la Direction générale du Trésor, qui ont rédité plusieurs chapitres.
- Andrea Cheptea et Stéphane Turolla pour leur contribution experte et leur relecture attentive.
Références
- (1) Géraldine Woessner https://twitter.com/GeWoessner/status/1763548364338041206