Startups Green Agritech

Nous avons considéré les sols comme immuables pendant longtemps. Néanmoins, les sols sont la base de la production alimentaire et de la sécurité alimentaire, en fournissant aux plantes des nutriments, de l’eau, ainsi que le support pour leurs racines. Les sols fonctionnent comme le plus grand dispositif de filtration et le plus grand réservoir de stockage d’eau de la terre; ils contiennent plus de carbone que toute la végétation à la surface du sol, d’où leur rôle dans la régulation des émissions de dioxyde de carbone et autres gaz à effet de serre; et ils abritent une grande diversité d’organismes d’une importance capitale pour les processus de l’écosystème.

État des ressources en sols du monde | Résumé technique, FAO 2015

Les épisodes de famine sont parmi les principaux facteurs expliquant les chutes de civilisation. Or, on estime que la population mondiale atteindra 8.5 milliards d’individus en 2030 et l’agriculture fait face à des challenges terribles :

  • Elle est lourdement dépendante des engrais. Or, le phosphore, le principal composant de la plupart des engrais modernes, atteindra son pic de production en 2030.
  • En raison du labour et de la culture intensive, les sols sont de moins en moins fertiles. On estime que 30 % des terres arables mondiales ont été perdues à cause de la pollution ou de l’érosion ces 40 dernières années1.
  • L’eau douce, utilisée aux 2/3 par l’agriculture, manque déjà dans plusieurs parties du globe et va être de moins en moins disponible.
  • Enfin, il y a de moins en moins d’insectes pollinisateurs, ce qui met en danger le fondement d’une large partie de la vie végétale elle-même et oblige l’agriculture à repenser son usage des biocides.
  • le dérèglement du climat, qui soumet l’agriculture à des aléas dangereux, notamment les épisodes de sécheresse ou de pluies excessives.

Elle y répond par trois grands axes :

  • L’agriculture de précision
  • Les intrants verts (au sens large, incluant notamment l’eau et la nourriture pour bétail)
  • L’agriculture urbaine

Ces entreprises se situent dans la catégorie “ressources” de notre mapping de startups greentechs.

L’agriculture de précision.

Actuellement, les pesticides, intrants et irrigation sont épandus de manière uniforme sur des surfaces entières et beaucoup selon les connaissances et l’intuition de l’agriculteur. L’agriculture de précision propose de cibler précisément les plantes et de ne leur donner que selon leur besoin grâce à un matériel plus sophistiqué, des senseurs et des outils d’aides à la décision.

On pourrait ainsi limiter les effets négatifs des biocides et des engrais, augmenter la productivité, malgré le dérèglement du climat et économiser de l’eau. On permet, en plus, en digitalisant l’agriculture, de favoriser la transmission d’expérience et l’apprentissage.

Principal apport : diminution de l’utilisation d’intrants et une hausse de productivité

Principal obstacle : réticence au digital des agriculteurs ; inadéquation des équipements

Technologies support : Edge computing, reconnaissance visuelle, robotique, climatologie

La reconnaissance visuelle

L’amélioration des capteurs, de la reconnaissance visuelle et de la robotique permet d’avoir des outils d’épandage qui appliquent de manière beaucoup plus précise et même parfois avec une logique d’autonomie les phytosanitaires. C’est par exemple le cas de Blue River. Des caméras sont adjointes à l’engin appliquant l’herbicide ce qui permet, à l’aide de l’IA, de ne distribuer que l’exacte quantité d’herbicide nécessaire. Cela permettrait de diminuer de 90% l’utilisation d’herbicides. La startup a levé 30.8 millions de dollars et a été achetée par le célèbre équipementier agricole John Deere en 2017. Bilberry, une startup française, propose une solution très similaire, de même que Carbon Bee, qui permet également d’asperger du fertilisant.

Une autre manière d’aider l’aspersion est de savoir quand utiliser les biocides et pourquoi. On retrouve la reconnaissance visuelle chez Faunaphotonics, qui repère les insectes et Aerobotics, qui repère les maladies grâce à des images aériennes. Plus original, Agricommunity permet aux fermiers de se prévenir les uns les autres des problèmes de santés de leurs plants, de sorte à prévenir le développement d’infections.

Plus largement, Sentera mesure une grande quantité de variables depuis des drones.

La gestion du climat

La gestion du climat est une part importante de la profession d’agriculteur. C’est par exemple une variable importante lorsqu’on fait du foin (il ne faut pas laisser les bottes d’humidifier) ou pour les semis (il ne faut pas semer quand il pleut, si j’ai bien compris, mais il faut qu’il pleuve après idéalement).

On va donc avoir des senseurs et des logiciels d’analyse météo, comme Sencrop, qui propose des senseurs pour le vent et la pluie, ou Weenat, Green Cityzen et Weather Measures, qui installent des stations météo et renseignent les agriculteurs par une application. On retrouve aussi l’analyse des sols grâce à Soil scout et AquaSpy, qui permettent notamment de garder un œil sur leur teneur en eau.

Certaines startups proposent même de créer un « micro-climat » à l’aide de panneaux mobiles. L’ombre crée permet de limiter la violence de l’ensoleillement et de protéger les plants tout en limitant les besoins en eau. C’est le projet d’Ombrea et de Sun’R agri.

Ces solutions s’adressent surtout aux productions à haute valeur ajoutée dont, surtout, le vin.

Notez que cette technique est toutefois très jeune.

L’irrigation intelligente

L’agriculture représente plus des deux tiers de l’utilisation d’eau douce. En même temps, elle permet d’augmenter considérablement les rendements et va être de plus en plus cruciale, le dérèglement climatique augmentant la fréquence des sécheresses. Rendre intelligente l’irrigation permettra d’optimiser l’utilisation de la ressource.

L’une des voies pourrait être de développer les systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte. Actuellement, 85 % des systèmes des irrigations fonctionnent “par submersion”, c’est-à-dire en faisant couler de l’eau dans une tranchée. Ce système gaspille énormément d’eau, qui s’infiltre dans les sols, emportant sous terre une partie des nutriments. Seulement 50 % de l’eau ainsi utilisée est mobilisée par les plantes. L’autre solution est l’aspersion, soit par une tête fixe, soit par un « enrouleur », qui gâche encore beaucoup d’eau comparativement à la solution la plus efficace : le goutte-à-goutte.

Cette solution est toutefois plus coûteuse parce qu’elle demande de l’énergie pour pomper l’eau et des filtres pour éviter que des particules dans l’eau ne bouchent les trous. N-Drip, startup israélienne, propose justement de répondre à ces défauts. En mobilisant la topographie du terrain, N-Drip crée une légère pente tout du long du dispositif, enlevant le besoin d’une pompe. N-Drip, a été fondé en 2015 et a levé 50M€.

Agropad, Demand side instruments et Telaqua proposent une irrigation connectée et Swiim un logiciel de management de l’irrigation. Fruition sciences quant à lui permet de mieux piloter l’irrigation des vignes.

Les robots

Avant qu’il y ait des biocides, les paysans désherbaient à la main. Même si cela avait moins d’effets négatifs sur l’environnement, il s’agissait d’une tâche extrêmement pénible et chronophage. Les robots rendent de nouveau viable ce désherbage mécanique sans ses inconvénients ! Ces robots vont « biner » la terre autour des plans, déchirant les racines des mauvaises herbes. Ils sont très variés, chaque culture ayant ses besoins spécifiques.

Ainsi, Naio Technologie propose un robot pour les petites surfaces, un autre pour les exploitations de légumes et un autre pour la vigne.

Les autres startups vont être Vitibot, Vitirover, EcoRobotix, AgreenCulture, Farmwise et Iron Ox.

La gestion de la ferme

Le coeur de l’agriculture de précision ne consiste néanmoins pas dans des senseurs ou des robots, mais dans l’intelligence artificielle et les logiciels. Ce sont eux qui vont interpréter les conditions météorologiques, l’humidité du sol et la présence d’insectes ou d’infestations pour en déduire la marche à suivre pour optimiser les rendements.

Par exemple, ITK

Vous avez également e-Tumba, AgCode, Quanturi, Precifield, The Green Data, Force a, Farmviz, Baoba, Green Shield Technology et Cybeletech.

Les agrégateurs

Les outils d’agriculture de précision ont besoin de pouvoir interagir ensemble : votre logiciel d’aide à la décision doit pouvoir traiter les données de vos senseurs et doit pouvoir communiquer avec votre tracteur, qui les mettra en acte. Bref, il y a une problématique d’interopérabilité des systèmes. Il y a aussi un problème de lisibilité : il est pénible de gérer 15 outils différents, chacun avec sa propre plateforme.

Les agrégateurs répondent à ces deux problématiques en rassemblant vos données sur une seule plateforme. L’exemple que j’ai choisi est MyEasyFarm.

Son principal concurrent est FieldView.

L’aide à la recherche

Enfin, les nouvelles technologies pourraient permettre de développer la recherche en plantes OGM.

Par exemple, Benson Hill Biosystems est spécialisé dans l’ingénierie génétique de plantes (croisement, édition du génome et ciblage de trait). De même pour Kaiima.

On peut aussi penser aux startups utilisant les ordinateurs quantiques en génétique, comme Quantum Biosystems ou Entropica Labs.

1https://www.sheffield.ac.uk/news/nr/soil-loss-climate-change-food-security-sheffield-university-1.530115

Attention : un intrant d’origine naturelle n’est pas forcément moins toxique pour l’homme et la biodiversité. C’est un point sans doute un peu piégeux dans cette catégorie.

L’agriculture urbaine

Rapprocher les centres de production de nourriture des centres de consommation permettrait de réduire les coûts logistiques, de favoriser la vente directe (donc moins d’intermédiaires et plus d’argent pour les producteurs) et de rendre les villes plus résilientes en cas de pénurie. Ce sont les principaux enjeux de l’agriculture urbaine.

L’agriculture urbaine est, en principe, hors sols. Il n’y a donc pas de logique de dégradation des sols et de diminution de la biodiversité. C’est même plutôt le contraire : certains projets proposent par exemple de cultiver sur les toits des édifices, ce qui crée de nouveaux espaces verts.

Le principal challenge de l’agriculture urbaine est qu’elle ne bénéficie pas des économies d’échelles, qui sont au cœur de l’efficacité de l’agriculture en champs.

Principal apport : Création d’espaces cultivables et proximité avec les consommateursé

Principal obstacle : Absence des économies d’échelles, qui rend difficile la comparaison avec l’agriculture en champs.

Technologies support : Hydroponie, aquaponie, agriculture de précision, éclairage

Fermes urbaines

Si on vous dit agriculture urbaine, vous aurez tendance à penser instinctivement aux fermes en container ou fermes verticales. Elles proposent en général de produire des herbes fraiches ou de petites salades, comme Infarm ou Hydropousse. L’une des plus connues en France, Agricool, a commencé en faisant des fraises et fait aussi, maintenant du basilic, persil et laitues. À l’air libre, on retrouve Le Paysan Urbain et Aéromate.

Agriculture hors-sol

L’agriculture urbaine est surtout une agriculture en serres (ou en container) qui va reposer sur l’hydroponie ou l’aquaponie. L’hydroponie est une pratique ancienne consistant à faire pousser des plantes dans l’eau. Certaines startups vont concevoir des systèmes permettant d’optimiser cette pratique, comme Phytoponics, pour les exploitations à grande échelle.

L’aquaponie est une forme d’hydroponie récente combinant la première et l’aquaculture : les déjections de poisson viennent directement nourrir les plantes. Agriloops utilise cette méthode pour produire des gambas et des plantes et Myfood permet d’installer une ferme d’aquaponie tout installée

Plus largement, Autogrow aide à mettre en place des fermes sous serre intelligentes et automatisées et Hortinergy est un logiciel de conception de serres agricoles.

Pour soutenir ces innovations, Freight Farms propose des fermes-container clé en main. Ces systèmes sont éclairés par des LED. Tootem et Red Horticulture optimisent cette dimension.

Les intrants verts

L’agriculture mobilise énormément de ressources pour produire. On parle d’intrants. Il s’agira évidemment des engrais, mais aussi des phytosanitaires (biocides) et de la nourriture du bétail. Ces solutions posent actuellement problème :

  • les engrais tendent à partir avec la pluie et à se retrouver dans les rivières. Il faut, de plus, trouver des alternatives aux engrais à base de phosphore, ce minéral devenant, d’ici quelques années, de plus en plus rare
  • les phytosanitaires menacent la biodiversité, éradiquant souvent un spectre très large d’herbes ou d’insectes. C’est l’une des pistes expliquant le déclin des pollinisateurs
  • l’essentiel de l’impact environnemental des élevages vient des aliments qu’il faut cultiver pour les nourrir.

Enfin, vous l’aurez compris, nous avons besoin de nouveaux intrants, plus respectueux de la biodiversité et, idéalement, composés de matières renouvelables. Il y a trois grandes tendances :

  • des phytosanitaires plus responsables ;
  • des microbes pour booster la fertilité des sols ;
  • les nourritures pour bétail à moindre impact.

Principal apport : Moindres effets négatifs sur l’environnement

Principal obstacle : Efficacité ; comparaison avec les solutions traditionnelles

Technologie support : Chimie de précision (ex : phéromones)

Des phytosanitaires plus responsables

Les biocides utilisés visent rarement une population spécifique et tendent à se retrouver dans l’environnement autour de la surface traitée : nappes phréatiques, ruisseaux, animaux, etc. On leur impute souvent la baisse de la population de pollinisateurs (même si la question ne semble pas close). En réponse, on voit se développer de plus en plus de solutions plus « responsables ».

Il y a aussi beaucoup d’innovations autour d’engrais et de biocides qui seraient moins toxiques pour l’environnement. C’est ce que proposent par exemple Marrone bio, Zero phyto pro, Soleo ecosolutions et Vestaron.

Plus spécifiquement, il y a le développement de l’utilisation de phéromones, qui permettent de piéger les insectes ou bien de les empêcher de se reproduire en brouillant leurs signaux d’accouplement. La France héberge d’ailleurs un leader mondial, M2i Lifescience, dans ce domaine, qui demande une chimie extrêmement précise.

Booster la fertilité autrement

L’un des principaux enjeux de l’agro-écologie est d’améliorer la santé des sols. Le labour, par exemple, est remis en question : en retournant la terre, il tuerait une large part de la vie souterraine qui s’y loge. Certaines startups inversent la question : et si on pouvait recréer une biodiversité pour renforcer la fertilité des sols ?

Plusieurs startups proposent des cocktails de microbes (bactéries, champignons). Ainsi de Holganix, concentricag et Indigoag. Axioma France utilise pour sa part des agencements complexes d’extraits de plantes pour stimuler de manière naturelle les processus physiologiques des productions agricoles végétales et animales.

Mycophito a un projet un peu plus spécifique, puisqu’elle propose d’implanter des champignons « mycorhiziens », qui prolongent les racines des plantes, augmentant leur vivacité et leur capacité à capter les ressources.

Je n’ai pas de données sur la viabilité de ces technologies, elles semblent encore en développement.

Dans cette logique de renforcement des fonctions de la plante, on retrouve Osmia, qui améliore la pollinisation, Valorhiz qui analyse et traite les sols endommagés et Biomede qui dépollue les sols à l’aide d’un assemblement de plantes conçu sur mesure.

Engrais verts

Les intrants ont une autre manière d’être « verts » : avoir été recyclé (ou « upcyclé » plutôt), c’est-à-dire avoir été conçu à partie de déchets. C’est ce que proposent par exemple Wiserg, Impactbioenergy et California Safe Soil. Notez que c’est aussi un produit secondaire des fermes à insectes dont nous allons parler. Il y a aussi des solutions de compostage, comme Les Alchimistes, Moulinot et Upcycle. Plus original, Toopi transforme l’urine en fertilisant.

GEB Solutions propose des déshydrateurs transformant en une nuit tous les restes alimentaires en substrat (poudre) valorisable en fertilisant, en compostage ou méthanisation.

Quid de la méthanisation ?

La méthanisation permet de valoriser les déchets organiques sous forme de gaz. Il en reste, en plus, un fertilisant : le « digestat ».

Toutefois, nous présenterons les projets de méthanisation dans « production d’énergie bas carbone. En effet, dans leur communication, ces projets mettent beaucoup plus l’accent sur l’énergie produite et non le fertilisant.

Les fermes à insectes et à algues

L’élevage est souvent mis à l’index en raison de son impact environnemental. Au-delà du méthane produit par la digestion du bétail, c’est surtout son besoin d’alimentation qui pose problème. On estime que pour produire 1 kg de viande de bœuf, il faut en moyenne autour de 2-3kg de nourriture consommable par les humains (blé et maïs notamment) et plus de 20 kg d’autres produits végétaux (tourteaux, fourrage …).

Cette emprise sur la production agricole pourrait être diminuée par l’utilisation d’autres sources de protéines pour les animaux : les insectes et les algues.

C’est aussi ici qu’on peut parler des nouvelles solutions pour nourrir le bétail, comme les fermes à insectes Entomics, Protifly, NextProtein, Innovafeed ou Ÿnsect, qui transforment au final des déchets alimentaires en fertilisants, aliments et de la nourriture pour bétail. Reglo et Tomojo proposent des croquettes aux protéines d’insectes

S’agissant des algues, il n’y a pas cette dimension de valorisation de déchets organiques, mais l’idée est de diminuer l’emprise au sol de la production.

Fermentalg produit une huile riche en acides gras, protéines et pigments naturels par fermentation de micro-algues.

Algolesko produit des macro-algues.