Génétique agricole: origine et futur de l’agriculture

The productive potential of the equal-field system was unleashed at the same time that the government introduced a new, fast-ripening strain of rice into the Chinese agricultural sector. This new species allowed for multiple harvests that significantly increased the supply of food, which in turn had an important impact on Chinese demography. The population of China increased from about 45 million to about 115 million between 600 and 1200. »(Rasmussen 2010, p.175)

La sélection génétique est littéralement aussi vieille que l’agriculture. C’est par la « domestication », c’est-à-dire la modification génétique d’une espèces pour la faire correspondre à nos besoins, qu’on utilise pour dater les débuts de l’agriculture. Nous avons, en les sélectionnant, complètement transformé de nombreuses plantes et certaines ne ressemblent en rien à leur espèce d’origine (ex: le maïs, qui viendrait de la théosinte). Cette technique, qui avait été raffinée au fil des siècles, s’est rapidement améliorée avec l’avènement des Lumières et de la science et a débouché sur l’hybridation. Puis, les progrès de la génétique ont permis l’apparition d’autres techniques, comme l’irradiation ou la transgénèse. Aujourd’hui d’autres techniques encore plus précises, comme CRISPR, permettent d’autres progrès. (I)

Ces différentes techniques sont encadrées par toute une réglementation, notamment des droits de propriété intellectuelle spécifiques et une réglementation sanitaire exigeante pour les OGM et NBT. (II)

Malgré ce carcan, de nombreuses innovations génétiques font espérer d’une agriculture plus durable: ayant besoin de moins d’engrais et de pesticides, résistant mieux à la sécheresse, bref, en un mot, permettant de produire mieux avec moins. (III)

I. Le génie génétique: sélection, manipulation génétique de CRISPR

On peut distinguer 3 ensembles de techniques de modification génétique des cultures (rq: cela vaut aussi pour les animaux, mais je dois encore approfondir) :

  • Les techniques antérieures au XXe siècle: la sélection variétale et l’hybridation
  • La transgénèse et techniques comparables, comme l’irradiation
  • CRISPR et les NBT (New Breeding Technologies)

La sélection variétale et l’hybridation

L’agriculture est née avec la sélection variétale et, même si elle était artisanale et peu maîtrisée, cette pratique a été à l’origine des principales modifications génétiques subies par les cultures, dont notamment:

  • La perte de la capacité de libérer spontanément les graines à maturation.
  • La perte des piques ou poils à la surface des graines (pratiques pour s’accrocher aux fourrures d’animaux, moins pour semer / récolter).
  • L’uniformisation de la maturation (certaines plantes sauvages peuvent temporiser pour étaler la maturation de leurs graines)
  • La perte de toxicité (ex: tomates).

Dans certains cas, la variété cultivée n’a même plus rien à voir avec son ancêtre sauvage: qui devinerait, en regardant une théosinte, que c’est de la sélection de cette plante que vient le maïs ? Toutetois, cette pratique est longtemps restée très artisanale et peu maîtrisée.

C’est le développement de la méthode scientifique et de l’agronomie comme science qui lui a permis de prendre son essor. On a ainsi vu cette recherche s’amorcer au XVIIe siècle, puis se développer à la fin du XVIIIe et au XIXe siècles, avec des variétés largement diffusées (ex: blé Chidham, blé ‘Forward’, blé Mungoswells et les avoines Shirreff et Hopetoun …). Ce n’est que dans les années 1830 qu’on a commencé, en Grande Bretagne et en Amérique du Nord (= les zones à la pointe de l’innovation à l’époque), à nommer les variétés dans le commerce. (Kingsbury 2009, p.107)

Dans le même temps, la compréhension des hybrides commençait à naître. En effet, puisqu’on commençait à savoir différencier les variétés, pourquoi ne pas les croiser ? La génétique elle-même naissait à cette époque, avec les travaux fondateurs de Georg Mendel. Les premiers expérimentateurs avaient plus ou moins de succès. Parmi ces derniers il y a eu en 1882 le blé « Shirreff’s Squarehead’ » de Patrick Shirreff, largement cultivé et utilisé pour d’autres hybridations ensuite ou encore le blé ‘Bellevue de Talavera’ de John Le Couteur. (Kingsbury 2009, p.105-106)

Aujourd’hui, une pratique consiste à ne pas se préoccuper de la stabilité de l’hybride produit pour tout miser sur la performance (résistance, vitesse de maturation, rendement …): ce sont les hybrides F1. Si on tente d’en faire des ‘semences de ferme’, c’est-à-dire de les replanter, on aura une culture peu performante, parce que les traits qui faisaient son intérêt génétique auront été largement perdus en raison de l’instabilité génétique. C’est une façon de faire, qui sera plus adaptée à certaines cultures et à certains contextes qu’à d’autres. Loin d’être nouvelle, cette démarche avait été conceptualisée par John Lorain aux Etats-Unis en 1825 et mis en oeuvre avec une variété allemande de seigle conçue par Wilhelm Rimpau dans les années 1860. (Murphy 2007, p.18; Kingsbury 2009, p.110) De nombreuses techniques sont venues améliorer cette technique par la suite. (Murphy 2007, p.39 et s.)

Pour aller plus loin, nous vous proposerons des articles sur la sélection variétale et l’hybridation.

Transgénèse, OGM et assimilés

Le problème de ces mutations « naturelles » est qu’elles sont relativement lentes: les mutations spontanées sont rares et il faut des efforts de grande ampleur pendant longtemps pour développer une nouvelle variété. On a donc cherché des méthodes pour accélérer les choses.

En 1926, Hermann Muller découvrait que les rayons X causaient des mutations chez la drosophiles et, l’année suivante étaient publiés des résultats sur la génération de telles mutations sur du tabac, de la datura et du maïs. C’était le début de la mutagénèse radioactive ou chimique. A partir des années 40, on a utilisé des rayons Y et des neutrons thermiques ou bien des agents alkylants réagissant directement avec l’ADN. Dans les années 50, la FAO a même commencé un partenariat avec l’IAEA pour rendre cette technologie accessible aux pays en développement. Ont ainsi été développés des appareils portables au cobalt 60 ou au césium 137 permettant d’irradier les cultures. Plus généralement, cette méthode a permis de créer près de 3000 variétés d’aliments de base, d’améliorer de nombreuses cultures commerciales de fruits et même de créer des fruits, comme le pomelo. (Murphy 2007, p.29-31)

Il y a encore d’autres techniques:

  • La mutagénèse somaclonale: la culture in vitro de plantes tend à y générer des changements génétiques, ce qui a été observé par Alan Durrant en 1962. « Des cultures allant des tomates et cannes à sucres aux bananes et peuplier ont ainsi été améliorées en termes de résistance aux maladies et aux insectes, valeur nutrionnelle, résistance à la sécheresse et au sel et d’autres traits utiles. » (Murphy 2007, p.31-32)
  • L’hybridation distante (wide crossing, Wide Hybridization …) consiste à croiser une culture avec une plante n’étant pas naturellement sexuellement compatibles de sorte à créer une variété identique à la culture d’origine, mais avec quelques gènes intéressants de la plante distante en plus. Cela suppose de contourner les mécanismes biologiques interdisant cette reproduction en récupérant « l’embryon » avant qu’il ne soit détruit. Ces plantes ne sont pas classifiées « OGM ». Cette technique a par exemple permis d’incorporer un gène de résistance à une maladie d’une plante sauvage (Oryza nirvara) au riz en 1974. (Murphy 2007, p.33-35) Cette technique a largement été permise par la colchicine (Colchicum autumnale) qui permet de doubler le nombre de chromosomes d’une cellule sans induire de division de cellule, propriété découverte en 1937. Cela permettait de restaurer la fertilité de ces hybrides distants. Des centaines de nouvelles variétés ont été ainsi développées. (Murphy 2007, p.39-40)

Toutefois, toutes ces technique ont comme défaut d’être très imprévisible: vous n’aurez pas forcément la modification souhaitée et vous n’aurez pas forcément qu’elle (il peut y avoir d’autres mutations indésirables).

La très fameuse transgénèse est beaucoup plus précise: on choisit un gène d’un organisme et on le transplante dans l’ADN d’un autre. Le premier exemple a été fait sur une souris par Rudolf Jaenisch en 1974. Cela peut se faire de plusieurs manières. Par exemple, par « biolistique », en projetant une particule d’or enrobée d’ADN. C’est néanmoins relativement imprécis et on peut préférer utiliser un vecteur bactériel: Agrobacterium tumefaciens, qui permet d’insérer l’ADN dans une région spécifique du génome de la plante. (Murphy 2007, p.46)

Pour aller plus loin, nous vous proposerons des articles sur la transgénèse, les OGM et assimilés.

Les NBT (New breeding techniques) et la révolution de l’édition du génome: CRISPR

D’autres (BEAUCOUP de) techniques (recombinaison homologue, nucléases programmables, nucléases à doigts de zinc, méganucléases, TALEN …) sont venues améliorer les techniques d’édition du génome, mais je les détaillerai ultérieurement.

La plus connue, le système CRISPR/Cas9, dit simplement CRISPR, est une technique permettant de découper et d’insérer très précisément l’ADN. On les appelle parfois même les « ciseaux génétiques » ou « ciseaux moléculaires ». Les généticiens en parlent comme une révolution de l’édition du génome, parce qu’il est non seulement plus précis et versatile que ses prédecesseurs, mais en plus peu cher et rapide.

La technologie vient d’un mécanisme de défense des bactéries contre les virus qui va venir couper et détruire une partie de l’ADN de ces derniers, s’ils ont au préalable été reconnus. Les bactéries vont stocker une séquence de l’ADN du virus dans une molécule dite « clustered regularly interspaced short palindromic repeats » ou CRISPR. C’est « l’ARN-guide« . Ensuite, l’enzyme nucléase Cas9 va venir découper la partie correspondant quand elle l’identifie.

L’existence de la séquence CRISPR a été décrite pour la première fois en 1987 et le mécanisme de défense a été identifié en 2005. En 2012, deux chercheuses, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, ont découvert qu’on pouvait utiliser ce mécanisme pour couper l’ADN d’autres organismes. Elles ont été récompensées par le prix Nobel de Chimie en 2020 pour cette découverte.

Pour aller plus loin, nous vous proposerons un article sur les NBT et CRISPR.

II. La réglementation de la génétique agricole en France

Il y a trois grands pans de la réglementation de la génétique agricole:

  • la réglementation encadrant les variétés commercialisables
  • la réglementation autour des droits de propriété intellectuelle de l’innovation variétale
  • la réglementation sanitaire autour des OGM

Les variétés commercialisables

Les variétés, pour être reconnues, doivent démontrer

  • qu’elles sont distinctes (et nouvelles), homogènes et stables (= DHS).
  • leur valeur agronomique, technologique et environnementale (VATE)

Si elles passent ces tests, elles pourront être enregistrées au catalogue officiel et commercialisées. Cela permet de sécuriser l’achat de semences par les agriculteurs, qui pourraient autrement être exposés à des semences de faible qualité.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter le site de SEMAE.

L’innovation variétale

L’innovation variétale demande des investissements conséquents pour exister, il faut donc protéger la nouveauté en résultant pour qu’elle soit rentable. En France, c’est le COV (Certificat d’Obtention Végétale) qui protège cette propriété intellectuelle et non le brevet (comme aux Etats-Unis). Il dure entre 25 et 30 ans selon l’espèce à compter de sa délivrance

C’est un régime plus libéral que le brevet, permettant d’utiliser la variété pour en créer une nouvelle ou à titre expérimental, et même de resemer (on parle alors de « semences de ferme« ) pour 34 espèces (rq: en théorie il semble que les semences de fermes étaient interdites avant, mais je doute fortement que cette interdiction eut été mise en oeuvre) en échange d’une redevance (très limitée d’après les agriculteurs auxquels j’ai parlés).

Pour aller plus loin, nous vous proposerons un article sur la réglementation de la sélection variétale. En attendant, vous pouvez consulter le site de SEMAE ou du GEVES, qui synthétisent parfaitement le sujet.

Les OGM et assimilés

Un OGM est défini par la directive européenne 2001/18/CE comme un « organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Cette définition, très large, est complétée par une liste de techniques inclues ou non. Interrogée par le Conseil d’Etat, la CJUE a décide le 25 juillet 2018 que les semences issues de NBT (notamment CRISPR) étaient des OGM au sens de cette directive.

En Europe, ils sont l’objet d’une réglementation sévère supposant leur homologation par l’EFSA après le dépot d’un dossier démontrant études à l’appui leur innocuité pour la santé humaine, animale ou l’environnement. (Réglement CE n°1829/2003) Le dossier est différent si la culture a un objet non-alimentaire (directive 2001/18/CE).

En France, ils sont interdits à la culture commerciale depuis 2008.

Pour aller plus loin, nous vous proposerons un article sur la réglementation des OGM et assimilés. Vous pouvez également consulter le dossier du ministère de l’agriculture.

III. Les avancées prometteuses de l’innovation génétique

Enfin, si on connait surtout les OGM résistants aux herbicides, les progrès de la génétique ont été extraordinaires et on voit apparaître de plus en plus d’OGM ayant le potentiel d’améliorer considérablement l’alimentation mondiale: capacité d’absorber l’azote de l’air, enrichissement en vitamines, tolérance à la sécheresse … Une innovation récente est par exemple un blé tolérant à la sécheresse déjà autorisé aux Etats-Unis et en Argentine.

Les réglementations tendent également à s’assouplir dans le monde, notamment en Afrique et en Asie, et les variétés BT (produisant naturellement un insecticide) se diffusent et leurs atouts (diminution de l’usage de pesticides, meilleure rentabilité) sont de mieux en mieux documentés. Le riz doré (terme qui désigne en fait une mutation venant enrichir les variétés locales), enrichi en vitamine A, commence également à se diffuser en Asie du Sud-Est.

Pour aller plus loin, nous vous proposerons un article sur les progrès de l’innovation génétique agricole.


Sources

  • Rasmussen R. Kent, « Agriculture in History, Volume 1, prehistory-1747« , éd. Salem press, 2010
  • Noel Kingsbury, Hybrid, The history&science of plant breeding, éd. University of Chicago Press, 2009

Les entités :

  • Le Fonds de soutien à l’obtention végétale (FSOV), https://www.fsov.org