Histoire des circuits courts

  • L’histoire des circuits courts met en évidence une relation marchande fondée sur la confiance et le lien social.
  • Les circuits courts sont nés en réaction aux scandales sanitaires industriels et au développement de l’utilisation de produits phytisanitaires.

Les circuits courts sont aujourd’hui entrés dans le débat public. Pas une semaine sans que la presse, du national aux pages locales, la radio ou la télévision ne parlent de vente directe ou de circuits courts alimentaires.

Maréchal, Gilles. « Introduction », Gilles Maréchal éd., Les circuits courts alimentaires. Bien manger dans les territoires. Educagri éditions, 2008, pp. 11-17.

La crise du Covid a fait resurgir les craintes liées à l’alimentation. Les consommateurs se sont tournés vers les producteurs locaux, encourageant ainsi l’agriculture paysanne et valorisant un peu plus leurs produits agricoles. Pourtant, cela ne fait pas si longtemps que les circuits long dominent la distribution de produits alimentaires.

Il y a une époque, pas si lointaine, où c’étaient aux marchés locaux et aux ventes à la ferme qu’on allait chercher ses produits frais. L’arrivée de la grande distribution a rebattu les cartes et, aujourd’hui, « 90 % des biens alimentaires courants restent achetés en GMS (grande ou moyenne surface) ». (Maréchal et al., 2008)

On est dans un système extrêmement centralisé, avec peu de distributeurs finaux et de grandes centrales d’achats qui dictent les règles du jeu ; et des circuits assez longs, où les aliments parcourent souvent de très longues distances.

« En France, par exemple, cinq centrales d’achat se partagent le secteur de la grande distribution et imposent de nombreux critères à leurs fournisseurs (régularité des calibres, volumes, livraisons…). »

Chiffoleau, Yuna. « Chapitre 1. Les circuits courts de commercialisation en agriculture : diversité et enjeux pour le développement durable », Gilles Maréchal éd., Les circuits courts alimentaires. Bien manger dans les territoires. Educagri éditions, 2008, pp. 19-30.

Toutefois, les crises alimentaires associées aux considérations écologiques et sociales poussent à une plus forte décentralisation de la distribution de nourriture. Il y a un retour vers la vente en circuit court.

Pour plus de précision sur ce point, voir notre article sur la définition des circuits courts.

Histoire des circuits courts : le début

L’inspiration des Teikei

Maréchal et al. (2008) et Lagane (2011) tracent la renaissance des circuits courts au Japon avec les Teikei.

Tout commencerait avec la découverte des conséquences sanitaires terribles du déversement de mercure dans la mer par une usine électrochimique, Chisso. Celle-ci libérait du mercure dans la baie de Minamata depuis 1932. Les premières intoxications ont été observées en 1949, mais ce n’est que 10 ans plus tard que la responsabilité de l’usine a été clairement établie. Elle ne changera son procédé que 7 ans plus tard, en 1966.

Au total, l’usine aura libéré, entre 1932 et 1966, 400 tonnes de mercure et la « Maladie de Minamata » aura fait, de 1949 à 1965, des centaines de morts et touché des milliers de personnes. Ce scandale « aiguisa la conscience environnementale des citoyens fit naître au Japon puis dans la sphère asiatique une éthique industrielle post-traumatique ». (Lagane 2011)

C’est ainsi qu’en 1965 sont nés les Teiki.

Il s’agissait d’un contrat entre un producteur et un groupe de consommateurs. « En échange de l’achat par souscription de la récolte du paysan, le producteur s’engage à fournir aux membres du teikei des aliments cultivés sans produits chimiques. » (Lagane 2011)

Cette pratique est très largement répandue, 16 millions de japonais ayant un de ces contrats.

Les motivations des Teiki

La première motivation est sanitaire : il faut des sources d’approvisionnement sures, qui ne soient pas contaminées par le « déversement de déchets toxiques par des industries dans les rivières« .

Dans cette même idée, il s’agissait aussi de « s’inscrire en faux contre les politiques agricoles encourageant la monoculture et l’usage croissant d’engrais chimiques et de pesticides » et « les petits producteurs entendaient ainsi favoriser la production et la consommation locales tout en relançant la consommation de produits de saison ». (Lagane 2011)

« il s’agit aussi de défendre une autre façon de produire, dans la lignée de la méthode d’agriculture naturelle proposée par Fukuoka et fondée sur des arguments à la fois écologiques et philosophiques. »

Chiffoleau, Yuna. « Chapitre 1. Les circuits courts de commercialisation en agriculture : diversité et enjeux pour le développement durable », Gilles Maréchal éd., Les circuits courts alimentaires. Bien manger dans les territoires. Educagri éditions, 2008, pp. 19-30.

Enfin, il y avait aussi une logique de justice sociale, en permettant au fermier de vivre de son travail. Ainsi, a été créée « une charte qui énonce des principes éthiques fondés sur la confiance – c’est donc un des premiers principes structurant cette organisation – et les règles de bonne conduite entre les consommateurs et le producteur. » (Lagane 2011)

Il y a une vraie logique de lien social, en opposition radicale avec la dimension désincarnée de l’achat en grande surfance.

Des Teikis aux AMAP

« Dans les pays industrialisés et en Europe notamment, le renouvellement des circuits courts prend aussi racine, au-delà des peurs alimentaires, dans des projets portés d’une part par des agriculteurs ne pouvant pas ou ne voulant pas s’insérer dans les marchés conventionnels, d’autre part par des citoyens, au-delà de simples consommateurs, motivés par de nouvelles valeurs. »

Chiffoleau, Yuna. « Chapitre 1. Les circuits courts de commercialisation en agriculture : diversité et enjeux pour le développement durable », Gilles Maréchal éd., Les circuits courts alimentaires. Bien manger dans les territoires. Educagri éditions, 2008, pp. 19-30.

Dans les années 80, sont nées les Community Supported Agriculture (CSA) puis, au Canada les Community Shared Agriculture. Cela n’a en fait pas découlé des Teikei. Ce n’est qu’un an après le début que des membres de ce mouvement ont entendu parler des Teikei et ont fait le rapprochement avec leurs propres pratiques. (Lagane 2011)

C’est un couple d’agriculteurs varrois qui, après avoir découvert en 1999 le principe du CSA, l’ont importé en France et créé la première AMAP en 2001. Toutefois, « les AMAP revendiquèrent leur affiliation aux principes constitutifs des teikei en termes de partenariat solidaire, de charte, etc. » (Lagane 2011) Ce sont bien les teikei qui sont l’inspiration, l’esprit du modèle.

Les circuits courts modernes

Aujourd’hui, les modèles de circuit court se diversifient avec l’arrivée des entrepreneurs. Les AMAP ayant popularisé ce mode de commercialisation et les inquiétudes quant aux effets des produits phytosanitaires montant, les circuits courts sont un terreau fertile au développement de startups.

Il y a plusieurs types de circuits courts qui se développent :

Notez que les places de marché, qui tendent à gagner une place de plus en plus importante, perdent la dimension créatrice de lien social du circuit court. Il est réduit à sa dimension la plus « pure » et individualiste :

  • garantie de proximité de l’approvisionnement
  • peu ou pas d’intermédiaire, garantissant une juste rémunération du producteur

Si vous voulez une vision haute, voici notre article sur les circuits courts alimentaires.

Confinement et circuits courts

« Mais les crises alimentaires type ESB, OGM (organisme génétiquement modifié), nitrates et pesticides dans les aliments, sont en train de créer une méfiance importante du consommateur par rapport aux grandes enseignes des ventes en grande surface. »

Villard, Serge. « Chapitre 3. Les ventes directes à la ferme », Gilles Maréchal éd., Les circuits courts alimentaires. Bien manger dans les territoires. Educagri éditions, 2008, pp. 45-53.

Les crises sanitaires ont à chaque fois renforcé considérablement la dynamique des circuits courts. Le Covid-19 n’a pas fait exception et le confinement a fait exploser les ventes en circuit court. La Tribune nous raconte de nombreux exemples :

  • Sébastien Zulke, cofondateur de Cagette.net : Chez nos producteurs, les commandes ont été multipliées par quatre »
  • Pablo Fernandez, cofondateur de Kuupanda : « D’une dizaine par jour avant la crise, les achats quotidiens sont passés à une centaine »
  • Culture Locales, qui livre à Paris des produits cultivés à moins de 120km autour, a vu son panier moyen augmenter de 44% et a réalisé en trois mois le volume d’activité qu’elle avait prévu sur 2 ans.
  • Le trafic sur le site Kelbongoo, qui livre à Paris des produits de Picardie, a été multiplié par 5 et ses commandes ont augmenté de 30%, limités par leurs moyens.
  • Marc Keranguéven, président d’une coopérative : « Alors qu’entre le 1er et le 14 mars nous avons écoulé à peine 16 colis via ce canal [amazon], nous en avons vendus 1038 entre le 15 mars et le 1er avril ».

Sources :

Lagane, Jean. « Du teikei à l’AMAP, un modèle acculturé », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 2, n° 2 | Mai 2011

Maréchal, Gilles. Les circuits courts alimentaires. Bien manger dans les territoires. Educagri éditions, 2008

Liens :

Circuits courts : illusion ou modèle alimentaire gagnant post-covid ?