Hystra: de l’hydrogène liquéfié produit à partir de charbon envoyé à 9000km
L’hydrogène est parfois accusé d’être un outil fantastique de greenwashing. En effet, il passe pour un gaz propre, parce qu’il permet de remplacer des usages polluants alors que son utilisation n’émet pas de CO2. Néanmoins, sa production est actuellement très carbonée: 96% de sa production mondiale est polluante, produite à partir de charbon, de pétrole ou de méthane. C’est néanmoins un gaz qui porte d’immenses promesses, notamment grace à la pyrogazéification, qui permettrait de le produire proprement à moindre cout.
Cette accusation pourrait toutefois être parfaitement fondée concernant le projet dont nous allons parler ici : Hystra. Leur site est très transparent, la plupart des données que nous allons utiliser ici en viennent.
Le projet Hystra: de l’hydrogène brun pour le Japon
Le projet hystra consiste à produire de l’hydrogène par gazéification du charbon avec CCS en Australie, puis de l’envoyer sous forme liquide au Japon.
La production d’hydrogène à partir de charbon
La première étape serait la production d’hydrogène au AGL Loy Yang Complex de la vallée du Latrobe. Le démonstrateur a été construit et opéré par J-Power Group et a commencé sa production d’hydrogène le 23 janvier 2021. Il aurait réussi à produire un hydrogène pur à 99.999% le 25 février 2021.
Le procédé mobiliserait 2 tonnes de charbon par jour pour produire 100nM3 d’hydrogène (ou de syngas) par heure. Le gaz serait ensuite transporté par camion au port d’Hastings, à 150km de là.
Selon leur présentation, le CO2 produit lors de la gazéification serait capté, puis aurait vocation à être séquestré dans le sol (CCS = Carbone Capture and Storage). Si c’était le cas, cela donnerait une chose au procédé d’être bas carbone (mais nous allons voir qu’on peut en douter).
Liquéfaction du dihydrogène et expédition au Japon
Le mode le plus compact d’hydrogène actuellement est sous forme liquide. Néanmoins, c’est un procédé très couteux et difficile: il faut faire descendre le gaz à -253°C, soit à peine 10°C au dessus du zéro absolu. Il faut, ensuite, le maintenir à cette température en empêchant la molécule, extrêmement petite, de fuir.
Le transporteur semble devoir être spécifiquement adapté à ce type de transport. Cette technologie, inspirée par les transporteurs de gaz naturel liquéfié, mobiliserait 3 entreprises: Shell, Kawasaki et Iwatani. Le cargo ferait 116 m de long pour 19m de large, un tonnage brut de 8000 tonnes et une capacité de 1,25 millions de litres. L’équipage ferait au plus 25 personnes. Le volume qui peut être ransporté est très limité au regard de la taille du cargo, qui semble n’être conçu que pour transporter le précieux gaz. Il faudra donc compter un aller retour, puisqu’il va probablement revenir à vide (à confirmer).
Le premier de ces navire a été le « Suiso Frontier ». Il aurait été le premier navire au monde à être classifié comme transporteur d’hydrogène liquéfié, après son enregistrement aux autorités japonaises. Conçu au Japon, il est arrivé en Australie le 21 janvier 2022. Malgré un incident le 25 janvier 2022 concernant les systèmes de valves solenoides, il a commencé son premier voyage rempli d’hydrogène liquide vers le Japon le 25 février 2022. (Hystra)
Réception du gaz au port de Kobé
Le trajet d’environ 9000km durerait 16 jours. Il serait enfin, l’hydrogène liquéfié sera débarqué au port de Kobé, au sud du Japon grâce à des terminaux spécifiques.
Des émissions de CO2 terrifiantes
La production d’hydrogène par gazéification du charbon produit environ 20kg de CO2 par kg d’H2 produit. C’est deux fois plus qu’avec le vaporéformage de méthane, le principal mode de production de dihydrogène.
Sans CCUS, un procédé dramatiquement polluant
Sans capture de carbone, le procédé serait dramatiquement polluant. En effet, de base, vous avez la pollution du procédé de production multipliée par les pertes du transport (si vous produisez 1 avec 20, mais que vous en perdez la moitié ensuite, il vous faut au final 40 pour faire 1). A cela s’ajoute le transport d’H2 en camion sur 150km (et la compression ayant été nécessaire, au moins 50 bars). Et encore, c’est sans compter les émissions annexes, comme l’extraction et le transport du charbon, ainsi que la production de tout le matériel mobilisé.
Bref, quelque chose d’assez catastrophique.
Avec CCUS : un bilan discutable
La capture de carbone pourrait largement améliorer ce bilan, en captant plus de 90% du CO2 produit lors de la gazéification. Il ne resterait en princique que les sources de CO2 liées au transport: les camions transportant l’H2 jusqu’au premier terminal, puis celles du navire, ainsi que celles associées à l’équipage.
Néanmoins la CCS n’est pas magique, il y a besoin d’énergie pour la faire fonctionner. D’où vient-elle, sachant que l’électricité australienne vient dans une large mesure du charbon …
Comme nous l’avons dit, je n’ai trouvé aucune mention claire de la présence de CCUS. En outre, il ne me semble même pas que le stockage géologique de CO2 soit une technologie prouvée sur le long terme.