La première révolution agricole: les débuts de l’agriculture industrielle

La première révolution agricole industrielle est principalement née en Angleterre et aux Pays-Bas à partir du XVIIIe siècle.

Nineteenth and early twentieth century historical accounts of the European Agricultural Revolution suggested 1760 as a starting date for the emergence of new agricultural practices. In fact, however, a number of processes—political, scientific, demographic, and economic— had coalesced more than a century earlier, ushering in a gradual institutionalization of new, primarily English, agrarian procedures.Rasmussen 2010, p.286

Contexte: l’impact de la colonisation

La colonisation a eu un impact considérable sur l’agriculture de deux manières:

  • Le partage civilisationnel. D’un côté, l’Europe a adopté les cultures amérindiennes: tomates, poivrons, maïs, patates et patates douces sont devenus petit à petit des parts importantes de l’agriculture du vieux continent. Cela a impacté jusque la Chine, qui a largement adopté la patate douce et le maïs. Les variétés des espèces existantes ont également pu être échangées. En face, les Européens ont importé aux Amériques leur agronomie et ses progrès.
  • L’expansion des terres cultivables. D’un coup sont apparues des terres cultivables immenses en Amérique du Sud, en Afrique et en Australie. Elles n’avaient pas les contraintes juridiques et économiques pesant sur les exploitations européennes et ont, ainsi, pu intégrer les innovations techniques très vite.

C’est un élément de contexte important pour cette partie.

La première phase: la fin des jachères, le début de l’agronomie

La fin des jachères

Les fermiers chinois ne pratiquaient déjà plus la jachère depuis le début de notre ère (Leigh 2004, à vérifier).

Dès le XVIIe siècle, on trouve des traces du début de la fin des jachères. Ainsi, en 1651 était publié par Harlib « Legacy of Husbandry », contenant le travail de Sir Richard Weston qui raconte avoir visité la Flandre et décrit des rotations complexes incluant des légumineuses (sainfoin, trèfle, luserne ..). Ses travaux participèrent au développement de la rotation de Norfolk (Blé/navet fourrager/orge/trèfle), quelques dizaines d’années plus tard. (Leigh 2004, p.117) Lorsque l’armée de Cromwell envahi l’Ecosse en 1650, elle observa l’absence de jachères dans certaines régions. (Leigh 2004, p.119) Toutefois, « dans les années 1690 la rotation triennale était encore commune ». (Leigh 2004, p.126)

Une révolution scientifique

« For centuries, the knowledge required to manage the biological process that constitutes agricultural production was based on the experience of the farmer and that of his preceding generations. And it was this experience that was his guide in daily practice. […] However, the techniques that he applied may have been known to be effective, but why they were so was often a mystery to him. […] Yet, all this would change fundamentally in the 19th century, or rather the second half of that century. Because one of the most striking occurrences in the long-term development of agriculture at that time was the scientification of knowledge in the field of agricultural production. It made this new period fundamentally different from the preceding era. »Bleleman 2010, p.19

La révolution industrielle a été marquée par l’apparition de la science et du positivisme. Cela a radicalement changé la médecine, qui est passée d’une mystique antique (la théorie des humeurs) à une discipline comprenant les microbes, les virus et développant les vaccins. L’agronomie a connu un changement comparable.

  • Walter Blith publie en 1653 sur de nouvelles rotations et les légumineuses The English Improver Improved:Or, The Survey of Husbandry Surveyed.
  • Francis Bacon a étudié le sol et la germination des graines.
  • Robert Boyle étudie la chimie du sol et écrit The Sceptical Chymist en 1661.
  • Nehemiah Grew publie The Anatomy of Vegetables Begun en 1672.
  • John Evelyn publie un livre sur le sol: Philosophical Discourse of Earth en 1676.
  • John Woodward étudie la physiologie des plantes.
  • La chimie du sol et physiologie des plantes

Cette révolution a fait prendre conscience de l’importance du déficit d’azote.

  • La génétique

Le croisement des espèces dans l’élevage était largement laissé au hasard: les bêtes étaient dans un même enclos (ce qui était déjà un progrès) et advienne que pourra ! La progéniture ayant les traits désirés serait gardée pour procréer, quand le reste serait vendue au boucher. Le principe était ensuite de mélanger les espèces, ce qui aboutissait à des mélanges difficiles à identifier. Robert Bakewell a innové en croisant ses bêtes avec des bêtes de la même race. De la diversité était néanmoins introduite pour contrebalancer la consanguinité. Il avait également séparé les mâles et les femelles. Globalement, il sélectionnait ses bovins (ex: « taureau Leicester », mouton Dishley et Leicester) et ses moutons pour maximiser la teneur en gras et la croissance des animaux en minimisant l’alimentation, ce qui était recherché par ses contemporains.

Son travail abouti à la fondation de la Dishley Society, rassemblant plusieurs éleveurs, pour améliorer et accélérer l’identification des « bons » progéniteurs. C’était le début du marché de l’insémination ?

S’agissant des variétés, il y a eu un progrès de grande envergure en 1904, avec le développement du blé Marquis au Canada par Sir Charles Edward Saunders. Son frère Percy avait commencé à faire des croisements dès 1888 pour produire une variété pouvant être récoltée avant que le froid de l’Ouest Canadien ne la détruise. Ils avaient testé des variétés venant de Russie (« Ladoga »), d’Ukraine (« Red Fife ») et d’Inde (« Hard Red Calcutta »). Croisant ces deux dernières variétés, il aboutit à une variété « Markham » en 1892. C’est à partir de cette variété que son Charles Saunders créa la variété Marquis, qui avait un rendement 40% supérieur à celle de son frère en 1907. Dès 1909, elle commença à conquérir les champs Canadien et fut même soutenue par le gouvernement en 1912. En 1920, elle représentait 90% du blé canadien. (Rasmussen 2010, p.596-600)

Les aspects juridico-économiques

On ne se rend pas bien compte aujourd’hui, mais les contraintes juridiques sur les activités économiques étaient, à l’époque, incomparablement plus lourdes et rigides qu’aujourd’hui. Il y a également eu des lois mercantilistes. Ainsi, les Corn Law de 1670 ont imposé que le prix des céréales importées soit déterminé par le prix des céréales locales. A l’inverse, le Corn Bounty Act de 1688 encouragea les exportations.

« A series of parliamentary acts beginning in 1604 allowed for the creation of enclosures, that is, the physical enclosing of agricultural land with fences or hedges, thereby amalgamating previously communitycontrolled holdings into larger, privatized, profit-oriented enterprises. »Rasmussen 2010, p.288

L’industrie a également donné de nouveaux débouchés à l’agriculture, favorisant la culture de chanvre, de lin et de houblon. En 1747, Marggraf arrive à extraire du sucre des betteraves. Sa découverte resta sans conséquence pendant un demi siècle. La Prusse s’y intéressa et la première sucrerie à betterave apparait en Silésie en 1802.

Les Corn Laws ont été défaites le 15 juin 1846, notamment sous l’impulsion des travaux d’Adam Smith et de David Ricardo. (Rasmussen 2010, p.485 et s.)

Aux Etats-Unis, plusieurs réformes ont favorisé le développement de l’agriculture, comme le Morril Land Grant Act qui, en 1862, a favorisé le développement de l’enseignement agricole en allouant de grandes étendues de terres aux Universités; ou encore le Homestead Act, également promulgué en 1862, qui a permis à des millions d’américains d’obtenir à très bas prix des terres à l’Ouest des Etats-Unis. Il y a également eu des travaux d’irrigation, nécessaires pour déveloper l’aride far-ouest.

La disparition des jachères

C’est le point central de cette période: la sortie du système à jachère hérité de l’antiquité. A la place, on a implanté des cultures fourragères qui avaient un meilleur rendement.

Les cultures se sont radicalement diversifiées. Ainsi, les pommes de terres, réservées aux potagers dans un premier temps, ont commencé à être cultivées à grande échelle à partir de 1660. Le navet aussi s’est développé, représentant en 1720 8% des surfaces cultivées ! (Rasmussen 2010, p.290) On a également vu se développer une agriculture que j’aurais tendance à qualifier de « non alimentaire », ne répondant à aucun besoin physique: le tabac, le café, le thé et le cacao.

Les cultures fourragères ont par exemple permis de quadrupler le bétail an XVIIe siècle en Angleterre. (Rasmussen 2010, p.289)

L’apparition d’une agriculture réellement industrielle

La montée en puissance de la fertilisation

Le développement de l’agronomie et une meilleure compréhension des sols a ouvert de nouvelles perspectives scientifiques. L’une des plus importantes est sans doute

Lime and marl, and any degradable material—bone, rags, ashes, chalk, and industrial wastes—were hauled to crop fields and tilled in.Rasmussen 2010, p.290

La photosynthèse est découverte en 1779 par Jan Ingenhousz, qui a immédiatement publié sa découverte dans « Experiments upon Vegetables: Discovering Their Great Power of Purifying the Common Air in the Sunshine and of Injuring It in the Shade and at Night« . Il avait notamment été inspiré par les expériences de Joseph Priestley, qui avaient montré en 1771 qu’un air « impur » (contaminé par la combustion d’une bougie) pouvait redevenir respirable sous l’action d’une plante. Jean Sénebier a également, ensuite, travaillé sur le sujet. En 1804, Nicolas-Théodore de Saussure a démontré que la plante obtenait de la photosynthèse le carbone et l’hydrogène à partir de dioxyde de carbone et d’eau et que le reste des nutriments venaient du sol. Né à peine 1 an avant cette découverte, un chercheur allemand, Justus von Liebig a approfondi le sujet et montré que les plantes avaient besoin de minéraux pour croitre et qu’elles « absorbaient ces métaux et sels comme ions non-organiques dissous dans le solution du sol. » Surtout, il va alléguer que les fertilisants non-organiques seraient plus efficaces pour fertiliser les sols et pose aussi les bases de sa fameuse loi des minimums. C’est le début de la fertilisation non-organique. (Rasmussen 2010, p.471)

Il y a eu quelques ratés: Liebig sous-estimait l’importance de l’azote et la capacité des sols à retenir les nutriments solubles (et l’incapacité des plantes à absorber ceux qui n’étaient pas solubles dans l’eau …), mais l’apprentissage a été rapide. Lawes a breveté en 1842 un système traitant la roche phosphatée avec de l’acide sulfurique et créé la première usine de superphosphate, plus facile à absorber pour les plantes que l’os d’animal classiquement utilisé auparavant. « Dès les années 1850, il y avait au moins une douzaine d’usines en Allemagne et en Grande-Bretagne et en 1900, la production dépassait 4.5 millions de tonnes par an. » (Rasmussen 2010, p.473)

Le développement de la mécanisation

La période a aussi été marquée par le développement de nouvelles machines pour faciliter le travail aux champs. Les possibilités ouvertes par l’industrie étaient considérables et l’agriculture un marché énorme.

En général:

  • John Deere a développé une charrue entièrement en métal

Pour les céréales:

  • La moisson. C’est un moment pour lequel la mécanisation est particulièrement cruciale: le grain doit être récupéré très rapidement (< 10 jours) sous peine de commencer à pourrir et/ou germer. En 1831 Cyrus Hall McCormick a été inventé une moissonneuse ayant les éléments basiques utilisés dans les machines modernes et vouée à un succès commercial. Ses ventes illustrent la lenteur de ces processus: 2 en 1840, 6 en 1842, 29 en 1843. En 1849, il inaugura une usine à Chicago qui pouvait produire 1500 moissoneuses [par an]. (Rasmussen 2010, p.458)

Harvesting was backbreaking work and resulted in much waste. According to technology historian Harold Livesay, in 1830 a crew of six laborers—one worker cutting the wheat with the others following behind, raking and binding—could harvest only two acres per day.
During the 1840’s, the McCormick reaper could handle between ten and fifteen acres per day and required fewer binders following behind. The substantial savings in labor allowed a relatively small workforce to at least triple the acreage harvested.Rasmussen 2010, p.460

  • Le battage: on battait le grain avec des fléaux pour en extraire le grain. Andrew Meikle a développé en 1788 une batteuse à tambour qui a grandement facilité le processus. Son procédé a rapidement, dès les années 1780, été incorporé à des machines moissonnant, battant et vannant les céréales.
  • Le vannage

Dans d’autres productions:

  • La séparation des parties (graine et fibre) du coton. Eli Whitney a inventé une machine pour le facilité en 1793.
  • Un semoir pour coton (1836) et maïs (1834) par Henry Blair.

Cette première mécanisation a eu tendance à évincer les plus petites exploitations, ne pouvant se permettre l’investissement et ne tenant pas la comparaison avec cette nouvelle productivité. Cela causa d’ailleurs les « swing riot » (du nom du leader fictionnel qu’ils disaient suivre, Captain Swing), débordements en 1830 prenant pour cible les nouveaux équipements (mais s’opposant aussi à la dîme et aux Poor Laws)

Surtout, elle a été très largement adoptée dans le Nouveau Monde: les Etats-Unis, l’Amérique du Sud, l’Australie … En effet, les champs y étaient immenses et manquaient sévèrement de main d’oeuvre. La production de blé est ainsi passée de 40 millions de boissons en 1830 à 170 millions en 1860. (Rasmussen 2010, p.461)

D’autres innovations ont également impact l’agriculture:

  • Le fil barbelé, dont la versions qui s’est imposée a été brevetée en 1874 (il y avait 1229 en 1881, les premiers ayant été déposés dès 1860), a permis le développement de très grands élevages, diminuant le besoin de barrières. ( Rasmussen 2010, p.537)