Le problème de l’eau douce

L’eau douce est une ressource qui se raréfie. C’est difficile de se le figurer pour la plupart d’entre nous, qui avons toujours eu l’eau que nous voulions, mais c’est une réalité déjà actuelle dans de nombreuses régions du globe. C’est d’autant plus grave que l’eau douce a un rôle essentiel dans les bases mêmes de la société, comme l’irrigation et la production d’électricité.

L’eau traverse les trois piliers du développement durable – economique, social et environemental. Les ressources en eau et les services essentiels qu’elles apportent sont parmi les clés pour accomplir une diminution de la pauvreté, croissance inclusive, santé publique, sécurité alimentaire, des vies dignes pour tous et une harmonie durable avec les écosystèmes essentielles de la Terre.

Ban Ki-moon, Avant-propos World Water Development Report 2015, traduit de l’anglais

Notez que le problème de l’eau est un problème local : elle est particulièrement difficile et chère à déplacer. (ONU 2014, p.17) Vous pouvez donc avoir une région qui en a en abondance et, à quelques centaines de kilomètres, en avoir un pays qui en manque terriblement.

Le manque d’eau douce et ses risques

L’eau douce manque déjà dans plusieurs régions du monde. Ainsi, la capitale du Népal, Katmandu, ne fournit qu’un tiers de la demande en eau de ses résidents, qui se voient en plus couper l’électricité 14h par jour lors de la saison sèche. (ONU 2014, p.62)

Le manque d’eau douce en Inde

Ainsi, « le Tamil Nadu, dans le Sud, a commencé à mettre en place un approvisionnement par train de sa capitale assoiffée, Chennai. Les quatre réservoirs qui alimentent d’ordinaire cette agglomération littorale de 10 millions d’habitants sont à sec. Durant six mois, des convois ferroviaires vont lui livrer chaque jour 10 000 mètres cubes d’eau en provenance de différentes rivières situées à l’intérieur des terres. » (Le Monde 2019)

Une étude de Nature (Rodel et al.2009) a quantifié les pertes nettes des aquifères des régions de Rajasthan, Punjab et Haryana à 109 km3 d’eau entre aout 2002 et octobre 2008.

Le manque d’eau douce dans le monde

De manière globale, l’ONU estime que nous utiliserons 40% plus d’eau douce que ce qui sera renouvelable (qui viendra donc des eaux souterraines). Déjà en 2015, un tiers des plus grands aquifères perdaient de l’eau. Deux tiers de la population mondiale vit dans des zones qui expérimentent des manques d’eau au moins un mois par an. (ONU 2015, p.2)

Malgré ce stress existant, l’utilisation d’eau devrait augmenter de 55% d’ici 2050 (ONU 2014, p.24).

Image by klimkin from Pixabay

Une menace pour la société

La diminution du niveau de l’eau souterraine pose plusieurs problèmes environnementaux.

L’eau de pluie a plus tendance à s’infiltrer dans le sol, ce qui tend à diminuer l’eau des rivières. Il arrive aussi dans les zones cotières que l’eau de mer s’infiltre dans l’espace laissé vacant et salinise l’eau de l’aquifère tout entier, le rendant inutilisable. Les arbres peuvent aussi avoir plus de mal à trouver de l’eau.

Enfin, le sol au dessus de la réserve d’eau épuisée risque de s’affaisser. Je ne connais pas l’ampleur du risque, mais vu les volumes en jeu, c’est effrayant : imaginez un affaissement de terrain de plusieurs mètres de profondeur sur plusieurs km² au milieu d’une agglomération dense …

L’accès à l’eau en jeu ?

Toutefois, si on sait que les aquifères diminuent, on ne connait pas leur ampleur exacte. Ne faut-il pas simplement continuer à creuser plus profond? Ce n’est malheureusement pas si simple.

De plus profonds forages signifient plus d’investissement et des coûts de fonctionnement plus élevés, donc une eau plus chère et moins accessible. Cela a notamment été observé dans les Hautes-Plaines aux USA, où l’irrigation est devenue soit impossible, soit trop chère.

« L’extraction d’eau souterraines demande environ 0.1 kWh/m3 à une profondeur de 36.5 m jusqu’à 0.5 kWh/m3 à une profondeur de 122 m. »

ONU 2014, p.25

Cela fait courrir des risques systémiques lourds:

  • La population et de nombreuses industries, dont la production d’énergie elle-même, dépendent d’un accès à l’eau douce. Il y a donc un risque existant majeur si la machine se grippe et, par exemple, qu’un aquifère s’avère épuisé.
  • Si une pompe ne tire plus d’eau, le remplacement / l’approfondissement n’est pas immédiat. Or, le système qui repose sur l’accès à l’eau ne tolère pas de pause. Ce temps de battement crée ou créera probablement des dysfonctionnements importants.
  • Cette logique rend lourdement dépendant l’accès à l’eau de l’accès à l’énergie, puisqu’il faut pouvoir la pomper. Si l’énergie devient plus chère, le prix de l’eau augmentera encore plus drastiquement. Ce risque est d’autant plus lourd que la production d’énergie est massivement dépendante de l’utilisation d’eau, notamment pour le refroidissement. L’ONU estime que la production d’électricité mobilise 15% des prélèvements d’eau douce et que 90% de la production d’électricité en est lourdement dépendante (ONU 2014 p.33).

En outre, malgré nos moyens techniques modernes, il arrive que l’eau manque dans de nombreuses régions du globe.

Cette menace n’est pas « neutre » : les réserves en eau sont d’une part localisées et d’autre part transfrontalières. Ainsi, il y a déjà des tensions entre les Etats Unis et le Mexique parce que les premiers prélèvent trop sur le fleuve qu’ils partagent. Lorsque les réserves d’eau souterraines viendront à manquer, qui sait combien de conflits ouverts éclateront ? Rappelons que le second aquifère perdant le plus d’eau s’étend entre l’Inde et le Pakistan

http://www.unesco.org/new/en/natural-sciences/ioc-oceans/sections-and-programmes/ocean-sciences/global-ocean-oxygen-network/

Pour aller plus loin :

Les solutions

Politique et usages

D’abord, n’oublions pas que toutes les réponses viendront pas de l’invention de nouvelles technologies ou usages. Par exemple, « L’Inde ne collecte que 8 % des eaux de pluie, c’est l’un des taux les plus bas au monde » (Le Monde 2019) Cela semblerait avoir été causé par la désaffection des « tanks », qui récupéraient l’eau de pluie et étaient utilisés par les fermiers, au profit de pompes individuelles. (Aubriot 2006)

« L’irrigation par eau souterraine a été favorisée par les politiques de la Révolution Verte : électrification de la campagne, prêts bonifiés pour l’achat de pompes, électricité subventionnée et, depuis 1991, gratuite au Tamil Nadu pour l’utilisation agricole, programme de construction d’un million de puits (à l’échelle de l’Inde) et d’aide aux plus démunis. Les pompes n’ont cessé de proliférer, apportant à l’agriculteur souplesse d’utilisation et liberté par rapport à l’irrigation collective et par rapport aux contraintes climatiques. »

Olivia Aubriot, « Baisse des nappes d’eau souterraine en Inde du Sud : forte demande sociale et absence de gestion de la ressource », Géocarrefour, vol. 81/1 | 2006, 83-90.
Le transport de l’eau : une problématique millénaire

L’irrigation est un sujet extrêmement complexe, qui inclue des enjeux historiques (les infrastructures), réglementaires et économiques. Je vous en livre un aperçu ici.

Nouvelles technologies

Parmi les nouvelles technologies aidant à résoudre le problème de l’accès à l’eau douce, il y a d’abord les startups qui aident à monitorer les systèmes de distribution de l’eau.

Réutilisation des eaux usées

L’une des principales pistes d’amélioration pourrait être la réutilisation des eaux usées:

« En moyenne, les pays à haut niveau de revenu traitent environ 70% des eaux usés venant des villes et des usines. Ce ratio tombe à 38% pour les pays à niveau de revenu médian supérieur et 28% dans ceux à niveau de revenu médian inférieur. Dans les pays pauvres, seulement 8% des eaux usées sont l’objet d’un traitement. Ces estimations supportent l’approximation souvent citée selon laquelle environ 80% des eaux usées sont jetées sans traitement. « 

2017 UN World Water Development Report, Wastewater: The Untapped Resource, ONU 2017 , traduit de l’anglais

Dans le domaine, on peut par exemple trouver Ostara, une startup canadienne dont les installations permettraient de traiter les eaux usées en en extrayant des intrants pour l’agriculture.

Pour aller plus loin:

Désalinisation

La désalinisation est une des pistes. En 2014, il y avait déjà plus de 16 000 usines de désalinisation dans le monde, produisant environ 70 millions m3/jour d’eau douce. (ONU 2014, p.25) Toutefois, ce procédé demande encore beaucoup plus d’énergie que le pompage sous-terrain : entre 2.58 et 8.5 kWh/m3 contre 0.48kWh/m3. (ONU 2014, p.24) Ce problème peut être compensé par l’utilisation d’énergies intermittentes comme, par exemple, le photovoltaique.

Agriculture de précision

L’irrigation représente 70% des prélèvements d’eau douce. L’agriculture est donc le domaine central sur lequel agir pour réduire la consommation d’eau. C’est bien sûr le domaine de l’agriculture de précision, avec les logiciels permettant d’analyser les besoins en eau des plantes en fonction de la pluviométrie, du vent, de l’ensoleillement, etc. Il y a par exemple Weenat et Soil Scout qui vous informent de la teneur en eau du sol, Sencrop qui fournit des données sur l’air et la météo, ITK qui assiste la décision ou encore Swiim, qui propose une solution tout en un.

NDrip, qui propose pour sa part un système d’irrigation au goutte à goutte répondant aux des limites de cette méthode déjà connue : en utilisant la gravité pour faire couler l’eau, il n’y a pas besoin de pompe et les tuyaux sont conçus pour ne pas se boucher, enlevant le besoin classique d’une étape de purification de l’eau.

L’économie d’eau est aussi l’un des apports centraux de deux startups françaises : Ombréa et Agri’Sun. Elles proposent d’empêcher l’eau de s’évaporer en faisant de l’ombre aux plantes de manière contrôlée, en optimisant les rendements.

Toutefois, le manque d’accès à l’eau semble être avant tout un problème de pauvreté. Rappelons enfin que 1.3 milliards de personnes vivent sans électricité courante, 0.9 manquent d’accès à une eau potable « sûre » et 2.6 n’ont pas accès à des installations sanitaires adéquates (Bonn 2011 Nexus Conference). Si ces solutions sont intéressantes pour les pays occidentaux, il reste à voir si elles pourront être rentables/ viables dans des régions comme l’Inde rurale.

Ressources

Bonn 2011 Nexus Conference. « Messages from the Bonn 2011 Conference: The Water, Energy and Food Security Nexus – Solutions for a Green Economy. »

A third of the world’s biggest groundwater basins are in distress, Reserves likely far smaller than previously thought, new studies find, 2018, collectif

2018 UN World Water Development Report, Nature-based Solutions for Water, ONU 2018

2017 UN World Water Development Report, Wastewater: The Untapped Resource, ONU 2017

The UN World Water Development Report 2015, Water for a Sustainable World, ONU 2015

World Water Development Report 2014, Water and Energy, ONU 2014

Quelques liens intéressants

Le Réveilleur, « Epuisement des ressources en eau MaP#31 », Youtube 2017

Bonnes nouvelles de la planète – L’eau, Arte