« L’économie hydrogène », de Jeremy Rifkin

Vous avez sans doute entendu parler de Jeremy Rifkin, une des grandes figure de l’écologie depuis les années 80. Ici nous parlerons de son livre, « The Hydrogen Economy », (« L’économie hydrogène » en français) publié en 2002.

Résumé

La société fait face à deux dangers colossaux et pressants, le dérèglement climatique et le pic pétrolier, qui l’exposent à un effondrement certain. C’est d’autant plus évident que notre société est fragile, reposant sur des structures très centralisées qui grossissent de plus en plus et deviennent intenables. Ces fragilités sont exposées, en plus, au risque présenté par la montée de l’islamisme intégriste dans les principaux pays producteurs de pétrole.

Pour faire face à ces menaces, il faudrait un modèle énergétique plus résilient et décarbonné. C’est justement ce que permettraient les piles à combustible alimentées à l’hydrogène vert (produit à l’aide d’énergies renouvelables). Les individus pourraient s’organiser en coopératives pour produire de l’électricité grâce à cet hydrogène, l’ensemble étant coordonné par des réseaux intelligents.


Si le livre est très sourcé, c’est toujours sur les problèmes « grand angle » (dérèglement climatique, pic pétrolier, montée des eaux, etc.) ou bien les événements historiques (chute de Rome, etc.). Au contraire, ses raisonnements sont très peu étayés et clairement aberrants.

Ce livre, s’il est clairement un support de communication, est très intéressant en cela qu’il

  • est très riche et donne une bonne image de problématiques importantes;
  • met en évidence des techniques de manipulation très largement utilisées dans l’espace politique (ex: s’appuyer sur l’existence d’un vrai problème pour promouvoir une « solution » absurde).

L’économie hydrogène de J.Rifkin : déroulé

Nous allons suivre précisément le déroulé que nous propose Rifkin. Il part d’un constat: nous allons manquer de pétrole.

1.Sliding down Hubbert’s bell curve (= Le pic pétrolier)

Le pétrole est encore abondant, les voitures thermiques dominent les routes et les dirigeants prétendent que, grâce aux nouvelles technologies, nous trouverons assez de gisements pour soutenir la production.

(Rq: Hubbert était un chercheur pour Shell qui a décrit l’évolution des champs de pétrole ayant prédit en 1956 le pic de production américain s’étant produit en 1970)

Le maquillage des comptes

Lorsque les géologistes parlaient de pic pétrolier, ils faisaient référence au pétrole conventionnel. Il y en a d’autres formes, « non conventionnels », comme les fameux sables bitumineux et l’huile de schiste. Jusqu’ici nous aurions extrait 875 milliards de barils de pétrole, toutefois savoir combien il en reste est discuté.

Il faut d’abord distinguer entre « ressources », la quantité existante, et « réserves », la quantité qu’il est possible d’extraire dans un futur proche. Il y aurait, en outre, de nombreuses autres qualifications (probable, possible, identifiée, non découverte, etc.) qui causeraient une confusion.

Celle-ci permettrait, selon le géologue Jean H. Laherrère, une « comptabilité géologique » créative, s’adaptant aux besoins politiques et commerciaux. Par exemple, le gouvernement US aurait allégué l’existence de 2 trillions de barils d’huile de schiste alors que son extraction « ne serait pas économiquement rentable avec les technologies » actuelles.

Cette créativité se verrait à travers les déclarations de réserves déclarées par les nombreux pays producteurs de pétrole. Ainsi, plus de la moitié des pays cités dans le rapport annuel du « Oil and Gas Journal » déclaraient des réserves constantes, alors même qu’elles étaient exploitées.

« Reality check »

En réalité, les réserves de pétroles seraient largement inférieures à ce que les compagnies pétrolières / pays producteurs prétendent. La production de pétrole suit une courbe gaussienne décrite par Hubbert, un chercheur pour Shell, qui a théorisé la notion de pic pétrolier.

Les cassandres contre les optimistes

Les estimations de pétrole conventionnel dans les réserves « P50 » en 1996 étaient de 1019 Gbo (milliards de barils) pour le « Oil and Gas Journal » et de 1160 pour « World Oil ». Pour Campbell et Laharrère, se fondant sur une base de données couvrant 18000 champs de pétroles, ce montant serait de 850 Gbo, plus 150 Gbo qui pourraient être découverts. Selon ces derniers, la production mondiale connaîtrait son pic autour de 2010. L’estimation similaire (en termes de production) de Kenneth S. Deffeyes prévoyait le pic pétrolier entre 2003 et 2009.

D’autres chercheurs ont des estimations plus audacieuses, comme Craig Hatfield, qui les estiment à 1550Gbo ou James MacKenzie, qui estime que le pic pétrolier sera vers 2019. L’IEA (International Energy Agency) de l’OCDE l’estimait entre 2010 et 2020. William Fisher estimerait qu’il y a encore 30 ou 40 ans avant le pic.

Toutefois, ces changements, même avérés, n’influeraient que marginalement la courbe de Hubbert. Rifkin conclut en affirmant que « la production globale de pétrole conventionnel passera son pic entre 2010 et 2020. » (p.35)

“My observations in some seventy countries over about fifty years of travel and work tell me that we are clearly already over the cliff.” Youngquist warns that “the momentum of population growth and resource consumption is so great that a collision course with disaster is inevitable.”

p.35

La fin du pétrole

L’essentiel du pétrole brut conventionnel se trouverait au Moyen-Orient et « ce ne serait qu’une question de temps avant que le monde ne devienne dépendant du Golf Persique pour ses besoins croissants en pétrole. » (p.35) En effet, alors qu’ils représentent déjà 30% de la production mondiale, les champs du Moyen-Orient sont encore sur une courbe ascendante.

En 1973, la hausse du pétrole menée par le Moyen-Orient avait été contrée par l’augmentation de la prospection. Aujourd’hui, cette piste est fermée. « Campbell et ses collègues » envisagent un processus en deux temps : d’abord le Moyen-Orient représenterait 50% du marché, ce qui lui permettrait d’augmenter les prix autour de 2005. En 2015 ses champs atteindraient leur pic de production, faisant exploser les prix.

2.Énergie et le cycle de vie des civilisations

Ce chapitre part de l’idée que, comme le notait Fréderick Soddy, la monnaie indivisible sur laquelle toute science est basée est l’énergie. Plus spécifiquement, la lutte pour la survie serait une compétition pour capter l’énergie.

Énergie et culture

Pour l’anthropologue Leslie A.White, la première « centrale énergétique » des humains fut leurs propres corps. Ainsi, la nourriture a été le premier « fuel ».

Le passage d’une société de chasseurs-cueilleurs à une société d’éleveurs et de fermiers a permis de « séquestrer » plus d’énergie de l’environnement et de s’étendre largement. Ce sont les surplus agricoles qui, libérant de la main-d’oeuvre, ont permis de voir apparaître les classes religieuses et de guerriers et, plus largement, la diversification et stratification des rôles sociaux.

Selon de nombreux anthropologistes, création d’énergie et civilisation seraient étroitement liées. Ainsi, George Grant MacCurdy écrit:

« [Le degré de civilisation de n’importe quelle époque, peuple ou groupe de peuples, est mesuré par la capacité à utiliser l’énergie pour l’avancement ou les besoins humains.] »

Human Origins

Rifkin observe que plus l’humain capte d’énergie, plus la gestion de cette captation devient importante.

Les lois de la thermodynamique

Les premières et secondes lois de la thermodynamique sont :

  • L’énergie totale de l’univers est constante. (l’énergie ne peut donc être ni créée, ni détruite)
  • L’entropie totale augmente continuellement. Cela signifierait que l’énergie ne peut aller que dans une direction, d’ordonnée à désordonnée.

« Tout dans l’univers, selon la seconde loi, commença comme énergie concentrée et est petit à petit transformé en énergie dispersée et non disponible. »

p.47

Rifkin applique cette logique à la biosphère et observe que plus un organisme est « haut » sur l’échelle de l’évolution (?), plus il a besoin de créer de désordre (énergie dissipée) dans l’environnement. Ainsi, il faudrait 300 truites pour sustenter un homme un an. Ces truites qui auront besoin de consommer 9000 grenouilles, qui auront elles-mêmes consommé 27 millions de criquets, qui auront eux-mêmes consommé 1000 tonnes d’herbe.

Repenser le progrès économique

« [L’évolution serait donc l’accumulation de systèmes d’organisations plus complexes, avec chaque espèce plus différenciée et spécialisée que la précédente afin de capturer et de concentrer plus d’énergie disponible.] »

p.49

La société américaine, représentant 5% de la population, mais consommant 25% de l’énergie totale produite, aurait créé un système énergétique massif. L’énergie que l’américain moyen consomme en permanence représente 58 « esclaves » (en partant du principe que la puissance d’une personne est de 0.25 chevaux, soit 186 watts). Dans la même logique, s’il fallait convertir la puissance d’un baril de pétrole en « travail humain » et le payer au prix minimum (5$/hr), il couterait 45 000$ (contre 25$ alors).

[Apparté: Notez qu’on retrouve ici la notion d’esclave énergétique chère à Jancovici]

Rifkin insiste ensuite que, malgré cette consommation d’énergie délirante, la société américaine en a besoin d’encore plus pour se maintenir. Par exemple, 39% des ponts seraient, aux États-Unis, obsolètes, près de 16 000 systèmes de traitement des eaux « proches de l’effondrement » et 2100 barrages classifiés comme « insécures ».

« Plus un organisme social est évolué et complexe, plus il requiert d’énergie pour le maintenir et plus d’entropie est produit dans le processus de le maintenir. »

p.52

Les sociétés les plus durables seraient celles qui auraient créé la meilleure balance entre le budget de la nature et celui de la société.

Pourquoi les grandes civilisations s’effondrent

Rifkin étudie la naissance et la mort des grandes civilisations au prisme de la thermodynamique.

Il nous présente la définition d’effondrement de civilisation, qui aurait été conçu par Joseph A.Tainter dans « The Collapse of Complex Societies » (1988).

« Greater energy flow-through, in turn, allows human settlements to grow. Populations increase, social life becomes more dense and varied, and culture advances. Societies collapse when the energy flow is suddenly impeded. Energy is no longer available in sufficient volume to sustain the increased populations, defend the state against intruders, and maintain the internal infrastructure. Collapse is characterized by a reduction in food surpluses; a winnowing of government inventories; a reduction in energy consumed per capita; disrepair of critical infrastructure like irrigation systems, roads, and aqueducts; increasing popular defiance toward the state; growing lawlessness; a breakdown in central authority; a depopulation of urban areas; and increasing invasions and pillaging by marauding groups or armies »

p.55

L’effondrement se réaliserait lorsqu’une civilisation mature atteindrait le point où elle a besoin de dépenser de plus en plus d’énergie, seulement pour se maintenir.

Thermodynamique de Rome

Rifkin illustre ces idées avec Rome.

L’Empire Romain aurait financé son armée et son extension grâce au butin de guerre et aux esclaves que ses conquêtes lui apportaient. Toutefois, une fois que celles-ci avaient cessé, il a fallu trouver d’autres sources « d’énergie »: l’agriculture.

Les romains auraient rasé leurs forêts pour y planter des champs. Le sol dénudé, d’abord fertile, se serait rapidement dégradé sous l’effet de l’érosion et du sur-paturâge. Ce serait la principale raison de l’effondrement de l’Empire Romain. Les causes classiquement évoquées (la décadence de sa classe dirigeante, la supériorité militaire des barbares et l’exploitation de servants et d’esclaves) en seraient une cause plus « superficielle ».

Cette chute avec, en face, une population croissante, aurait poussé à intensifier l’exploitation, ce qui aurait encore accentué la diminution de fertilité. Bref, c’est cette mécanique, jointe à quelques autres, qui aurait été au coeur de l’effondrement de l’Empire Romain. Il s’écroulait déjà sous son propre poids avant que les germains ne l’achèvent. C’est l’entropie qui aurait eu raison de Rome.

Nos sociétés industrielles, comme Rome, auraient « créé une vaste et complexe infrastructure pour séquestrer et mobiliser l’énergie. » Elles seraient presque exclusivement alimentées par les combustibles fossiles.

3.L’ère des carburants fossiles

« [Retirez les carburants fossiles de l’équation humaine, et la civilisation industrielle moderne cesse d’exister.] »

p.63

La société moderne est lourdement dépendante du pétrole. Ce dernier déplace des centaines de millions de véhicules à moteur (automobiles, camions, bus, avions, bateaux …), est transformé dans l’industrie pétrochimique, chauffe les bâtiments et est transformé en électricité.

Il a révolutionné la société: il y a à peine 130 ans (=150 maintenant), 75% du carburant utilisé aux Etats-Unis était … le bois. La production de pétrole est passée de moins de 10 millions de tonnes en 1890 à 2500 millions dans les années 1970.

Comment l’Histoire est vraiment faite

L’Europe des 14e, 15e et 16e siècle, reposant sur le bois comme source d’énergie primaire, aurait connu un problème d’entropie similaire à celui expérimenté par la Rome antique. Le bois serait devenu de plus en plus rare et l’érosion des sols aurait réduit la fertilité des terres. En 1630, le bois était devenu deux fois et demi plus cher qu’à la fin du 15e siècle. Le charbon serait venu remplacer le bois comme source d’énergie primaire vers 1700 pour l’Angleterre. (p.65)

Le charbon serait beaucoup plus difficile à extraire, à transporter et à manipuler que le bois. Le pétrole serait lui-même aussi moins accessibles que le charbon.

« [C’est pourquoi, à mesure que les pays passent de sources d’énergies très accessibles à des formes plus difficiles à trouver et à transformer, les infrastructures technologiques, économiques et sociales, par nécessité, deviennent plus complexes, hiérarchiques et centralisées.] »

p.66

Faire accoucher le pétrole

L’auteur parle rapidement du développement de la production pétrolière et, notamment, du développement et du démantèlement du monopole de la Standard Oil (Rockfeller).

La nouvelle mobilité

Le premier chariot sans cheval est apparu en 1885 en Allemagne et il était mu par de l’essence dérivée de pétrole. C’est toutefois Henry Ford qui va démocratiser l’automobile et faire « du pétrole et de l’automobile les piliers de la nouvelle ère. » Dès 1928, il y avait 23.1 millions d’automobiles aux Etats-Unis. Leur production aurait été responsable « pour une large part de la croissance économique des US dans les trois premières décades du 20e siècle ». (p.70)

Les engins motorisés (tanks, avions, bâteaux …) à pétrole sont apparus dès la Première Guerre mondiale. Le président de la conférence International Allied Petroleum en 1918, Lord Curzon, aurait même dit : « les Alliés ont vogué vers la victoire sur une vague de pétrole. »

Cela a été encore plus présent dans la Seconde Guerre mondiale. Le manque d’accès au pétrole a d’ailleurs été une des principales raisons de la défaite de l’Allemagne et du Japon.

L’empire du pétrole

L’industrie pétrolière est naturellement devenue un géant, représentant une valorisation entre 2 et 5 billions de dollars. Pour la plupart des pays, le pétrole serait le principal élément dans leur balance des paiements.

Des fusions (Exxon/Mobil; BP/Amoco/ARCO; Total/Elf) en 1999 et 2000 auraient transformé « Big Oil » en « Colossal Oil », les mettant au même plan que les entreprises d’Etat des pays producteurs. Quatre entreprises publiques possèderaient maintenant (en 2003) 32% des ventes globales du marché et 19% des capacités de raffinerie. 8 entreprises représenteraient 80% des dépenses de recherche et développement en exploration et en production.

La production-distribution du pétrole serait particulièrement complexe: c’est un marché très vaste (= le monde entier), il y a différents types de pétroles, chacun avec des caractéristiques spécifiques, etc. En outre, l’ensemble tolère mal l’imprévu: le pétrole est fait pour transiter, pas pour être stocké.

Restructurer le commerce

L’infrastructure pétrolière serait de loin « le réseau le plus complexe jamais créé ».

« [Inégalement réparti, difficile à extraire, couteux à transporter, compliqué à raffiner, avec des utilisations variées, le pétrole, depuis le début, a nécessité une structure fortement centralisée pour financer l’exploration/production et coordonner le flux jusqu’à l’utilisateur final.] »

p.77

Le bois étant limité, une société reposant dessus serait forcément à petite échelle. Au contraire, les carburants fossiles sont des formes concentrées d’énergie qui ont considérablement accéléré et densifié l’activité économique et forcé l’apparition de structures, tant politiques que commerciales, hautement centralisées.

Cela s’est notamment traduit par le développement du management scientifique (Taylor) et par l’accélération et l’expansion des fusions (=la concentration du capital).

Le problème est, notamment, que les systèmes fortement centralisés s’adaptent mal aux changements et que le système énergétique va être confronté à deux menaces graves : la montée de l’intégrisme islamique et le dérèglement climatique.

4.Le danger islamiste

Ce chapitre me semble peu intéressant. En bref: 10 des 13 pays de l’OPEP sont des pays musulmans et contrôlent (surtout l’Arabie Saoudite) une large part de la production de pétrole. L’islamisme radical se propage et met en péril l’approvisionnement en carburant des Etats-Unis.

5.Un effondrement généralisé

« Les conséquences de la prise de pouvoir des militants dans les pays du Moyen-Orient, alors que la production mondiale de pétrole va culminer, vont être ressenties bien au-delà de la station à essence. »

p.116

Faire avec le gaz naturel

Le gaz naturel produirait moins de CO2 par énergie produite que le pétrole (-25%) et que le charbon (-40%). Toutefois, cette perspective semble aujourd’hui peu intéressante :

  • Le gaz naturel va également rencontrer très bientôt son pic de production. Shell l’estimait à 2025.
  • Une large part des réserves restantes (>40%) seraient … au Moyen-Orient.

Pétrole lourd et températures en hausse

Il y a plusieurs sources de pétrole « non conventionnel »: le charbon (= pétrole synthétique), les sables bitumineux et pétrole lourd (plus visqueux).

Les réserves de charbon sont également loin d’être épuisées de vastes réserves de charbon (US, en Russie, Chine) qu’on peut transformer en pétrole synthétique. Toutefois, le processus est couteux et produit beaucoup de CO2.

Les géologues estiment qu’il y a 300 milliards de barils de pétrole extraits de sables bitumineux pouvant être récupérés au Canada et autant au Venezuela. Cela représenterait autant que les réserves totales de pétrole du Moyen-Orient. Il y en a également de larges réserves dans de nombreux pays.

Le pétrole lourd « a été lent à se développer à cause de sa forte viscosité et niveaux de sulfures, métaux et nitrogène, ce qui le fait cher à produire, transporter et raffiner. » (p.120) Il ne représente qu’environ 3.5% de la production mondiale. Toutefois, le Venezuela prévoyait que le pétrole lourd représenterait 40% de sa production d’ici 2010.

Toutefois, ces processus sont tous coûteux et beaucoup plus polluants que l’extraction de pétrole conventionnel. Recourir à ces ressources pourrait certes repousser le pic de production de quelques dizaines d’années, mais cela aggraverait le réchauffement climatique déjà préoccupant.

La facture entropique pour l’âge industriel

Le réchauffement climatique causé par l’âge industriel pèse lourdement sur le futur de l’Humanité. Cela aurait déjà de nombreux effets négatifs sur la biodiversité, les populations animales et aurait notamment pour effets de faire monter le niveau des océans, menaçant de nombreuses îles et zones côtières. On a également déjà commencé à observer l’intensification des sécheresses.

Cela, pour une augmentation de température de « seulement » 1,08°F. Or, les scientifiques prédisent une augmentation de la surface de la Terre entre 2.52 et 10.44°F d’ici la fin du siècle. On ne mesure pas encore l’impact de ces changements d’une rapidité sans précédent.

A worse case scenario

Dans le pire des cas, nous pourrions être à l’aube d’une extinction de masse.

« On the basis of the inference from the paleoclimatic record, it is possible that the projected change will occur not through gradual evolution proportional to greenhouse gas concentrations, but through abrupt and persistent regime shifts affecting subcontinental or larger regions . . . denying the likelihood or downplaying the relevance of past abrupt changes could be costly. »

US National Academy of Science, p.132

6. »Vulnerabilities along the seams »

L’attentat du 11 septembre 2001 mettrait en évidence la profonde fragilité de la société américaine: 19 personnes armées de cutters ont réussi à causer, en détournant 3 avions, des dégâts terrifiants :

  • Des milliers de morts
  • Une baisse radicale du voyage et du tourisme (Entre 48 et 96 Md$)
  • Une chute de l’activité économique
  • Des dizaines de milliards de dollars dépensés pour lutter contre la menace terroriste (19 en 2002, 35 en 2003) (p.137)

Bioterrorisme

De même, à peine deux semaines plus tard, des lettres contenant de l’anthrax ont infecté 18 américains, dont 5 sont morts. Même de telles attaques demandent très peu de moyens, un laboratoire opérationnel pouvant être conçu avec à peine 10 000$ de matériels en vente libre.

À plus grande échelle, il existe des bombes remplies de pathogènes (Saddam Hussein en avait produit et stocké beaucoup dans la perspective de la guerre du Golfe Persique) qui pourraient avoir des effets terribles si elles étaient placées dans des villes. Or, beaucoup des pays faisant des recherches sur ces armes soutiennent les terroristes.

Les points faibles

La menace terroriste montrerait à quel point la société américaine est, en raison de sa complexité, vulnérable.

Growing food in Oil

Le pétrole est déterminant pour l’agriculture. Ce sont les technologies modernes, reposant sur le pétrole, qui permettent de produire plus de nourriture avec beaucoup moins de main d’oeuvre (= central pour le processus de civilisation dont nous parlions). C’est notamment grâce aux tracteurs et à la pétrochimie (engrais-pesticides).

Ce système pourrait être en danger si les prix du pétrole s’envolent. 4% de l’énergie totale est utilisée pour produire la nourriture et 10-13% pour la transformer / transporter / distribuer.

C’est d’autant plus vrai que le système agricole demanderait de plus en plus de ressources (engrais / pesticides) pour maintenir sa productivité.

Les OGM, qui seraient présentés comme des solutions, demandent de larges quantités d’énergie, notamment sous la forme de fertilisants pétrochimiques

[Notez que ce passage est très discutable, comme je le montrerai en fin d’article.]

Si le pétrole a permis l’expansion de la population humaine, que se passera-t-il quand il viendra à manquer ?

Quand l’électricité disparaît

L’électricité est vulnérable à la disruption, notamment en raison du terrorisme « classique » que du cyberterrorisme. Plus « simplement », il y a déjà eu de nombreuses coupures de courant au fil de l’histoire. Par exemple, en 1977, un simple éclair a causé la coupure de tout New York et de la banlieue. Des émeutes s’en sont suivi et 4000 personnes furent arrêtées.

Le développement de l’informatique aurait accru la charge pesant sur les réseaux électriques et rendu la société encore plus dépendante de ces derniers.

Une nation en danger

L’interruption de l’électricité serait tragique. Contrairement aux autres formes d’énergie, l’électricité ne pourrait pas vraiment être stockée. Une coupure de courant veut dire que tout ce qui repose sur l’électricité dans une zone est immédiatement affecté.

Outre les nombreux services critiques (contrôle aérien, hôpitaux, etc.), l’électricité est critique pour la production des autres formes d’énergie (ex: pompes faisant se déplacer le pétrole, étincelles allumant le chauffage au gaz).

Nous vivrions l’âge de la scénécence (déclin) d’un régime énergétique mature, avec tous les problèmes et les perspectives que cela implique …

7.L’aube de l’économie hydrogène

« L’eau décomposée en ses éléments les plus primitifs et décomposés, sans doute, par l’électricité, qui sera alors devenu une force puissante et maîtrisée … Oui mes amis, je crois que l’eau va être un jour utilisée comme carburant, que l’hydrogène et l’oxygène la composant, utilisés séparément ou ensemble, vont fournir une source inextinguible de chaleur et de lumière, d’une intensité dont le charbon est incapable … L’eau va être le charbon du futur. »

Cyrus Harding, personnage de L’île mystérieuse, Jules Verne, 1874

127 ans après l’intuition de Jules Verne le président de Royal Dutch Shell a déclaré se préparer à la fin de « l’ère des hydrocarbures » et que son entreprise allait se tourner vers l’hydrogène. Cet enthousiasme est partagé par beaucoup d’entreprises et d’organisations politiques.

Décarbonation

L’hydrogène est partout sur Terre, se trouvant dans l’eau et toute chose vivante. Néanmoins, il n’est jamais naturellement « pur ». C’est une forme d’énergie secondaire qui a, comme l’électricité, besoin d’être produite.

L’élixir d’énergie

Il a été découvert en 1776 et produit, pour gonfler des ballons de reconnaissance, dès 1794 près de Paris. Aujourd’hui, 400 milliards de m3 sont produits chaque année, ce qui équivaudrait à 10% de la production de pétrole. L’essentiel serait utilisé comme base pour produire des produits comme des engrais à base d’ammoniac ; ou bien comme processus, pour convertir de l’huile liquide en margarine.

Suite à la crise pétrolière de 1973, un premier engouement autour de l’hydrogène est né, avec la création de l’International Association for Hydrogen Energy et des programmes de recherches américains et européens. L’intérêt est retombé dans les années 80, avant de revenir dans les années 90 sur fond d’avertissements sur les gaz à effet de serre.

En 1992 un institut allemand (Fraunhofer Institute for Solar Energy Systems) créa une maison fonctionnant grâce à l’énergie solaire, avec l’hydrogène comme système de stockage d’énergie. En 93, le Japon avait lancé un plan à 2milliards$ sur 30 ans pour promouvoir l’hydrogène autour du monde. Le premier bus à hydrogène était créé en 1994 en Belgique.

L’Islande et Hawaii auraient commencé à s’avancer vers une économie basée sur l’hydrogène comme carburant.

Produire de l’énergie hydrogène

L’hydrogène, s’il est partout, ne se trouve pas isolé à l’état naturel. Il est notamment dans l’eau et dans les carburants fossiles, mais doit être extrait.

Actuellement, il est surtout extrait du gaz naturel ou du charbon grâce au processus de vaporéformation, qui libère beaucoup de CO2.

Il est aussi possible d’extraire l’hydrogène de l’eau par électrolyse. Le processus ne produit pas de carbone (à part celui qu’a nécessité l’électricité), mais seulement 4% de l’hydrogène est produit ainsi. L’électricité seule coute 3 ou 4 fois plus cher que le gaz utilisé pour la vaporéformation.

Néanmoins, la baisse du prix du photovoltaïque et de l’éolien pourrait en faire une alternative viable pour alimenter les électrolyseurs. Ces énergies sont d’ailleurs de plus en plus développées (Allemagne, Angleterre …). L’hydroélectrique, la biomasse et l’énergie géothermale seraient aussi des sources d’énergie renouvelable intéressantes. Les utiliser pour produire de l’hydrogène revient à les « stocker » dans cette énergie.

La question du stockage (et de son prix) est toutefois épineuse.

Les piles à combustible : des mini-centrales

Les piles à combustible, même si elles ont été créées avant le moteur à combustion, n’ont pas eu d’application commerciale avant d’être utilisées pour la conquête spatiale dans les années 60. Il s’agit d’un moteur qui transforme un carburant en électricité. Les hydrocarbures étant trop « sales », seul l’hydrogène leur est adapté.

La technologie (commerciale) est donc assez nouvelle et, donc, chère. L’électricité qu’elle produit coûte 3000 à 4000$/Kilowatt, contre 500 à 1000 pour l’électricité produite par une centrale au gaz. Néanmoins, des dizaines de startups et quelques multinationales développent des offres et promeuvent la technologie.

Génération distribuée

À peu près tous les acteurs de l’énergie s’intéressent à une nouvelle façon de délivrer l’électricité: la génération distribuée (distributed generation). Il s’agirait de décentraliser les infrastructures.

“Distributed generation” generally refers to integrated or stand-alone small electricity-generation power plants that are located near or at the site of the end user—factories, commercial businesses, public buildings, neighborhoods, and private residences. »

p.177

L’infrastructure centralisée du système énergétique a été critiquée dans les années 70 et 80, au motif que sa taille même la rendait dysfonctionnelle pour répondre à de nouveaux challenges, comme les crises pétrolières et le réchauffement climatique.

C’est l’ouverture à la compétition du secteur de l’énergie par le Energy Policy Act en 1992 qui a marqué « l’aube » de la génération distribuée.

Si ce sont de petites turbines propulsées par l’énergie fossile qui sont les plus répandues dans le marché de la micro-production, ce seraient, sur le long terme, les piles à combustible utilisant de l’hydrogène qui devraient s’imposer sur ce marché. Elles seraient en effet plus efficientes et flexibles que les moteurs à combustion pour créer de l’électricité.

La décentralisation permettrait de mieux gérer les coupures de courant qui, même minimes, peuvent être dramatiques, notamment avec l’importance de plus en plus grande de l’informatique. Les coupures couteraient à l’industrie US entre 12 et 26 milliards de dollars chaque année. De plus en plus d’entreprises et même de particuliers installeraient des piles à combustible pouvant prendre le relai d’un système électrique défaillant. Un million de foyers chaque année achèteraient un système de production d’électricité de secours.

Plus largement, utiliser une mini-centrale localement permet de pratiquer la cogénération: la chaleur libérée (et normalement perdue) par le production d’électricité serait récupérée pour chauffer le bâtiment, réduisant la quantité de carburant utilisée de 50%.

« A wholesale shift away from centralized power generation using fossil-fuel energy to hydrogen-powered fuel cells operating on a distributed generation grid—especially if the hydrogen is produced by using solar, wind, hydro, and geothermal forms of energy—could more dramatically reduce CO2 emissions than could any other single development currently being pursued. »

p.179

Ce serait aussi plus profitable:

« It costs a utility company between $365 and $1,100 per kilowatt-hour to install a six-mile power line to a three-megawatt customer. A distributed-generation system can meet the same electricity requirements at a cost of between $400 and $500 per kilowatt-hour. »

p.181

Et économiserait de l’énergie, 5 à 8% de l’énergie transportée sur de longues distances étant perdue lors del a transmission.

Même les analystes les plus mesurés estimeraient que la génération distribuée représenterait sur le long terme 30% de l’électricité américaine.

L’ « Hydrogen Energy Web » (HEW)

De même que c’est la combinaison de l’impression et de l’utilisation de la vapeur et du charbon qui ont donné naissance à la révolution industrielle, le couple hydrogène/pile à combustible serait en train de fusionner avec les nouvelles technologies d’information pour créer une toute nouvelle ère économique.

Les piles à combustible individuelles commencent à être connectées les unes aux autres et commencent à former une « distributed-energy web ».

« Bientôt, les utilisateurs finaux vont non seulement produire leur propre électricité, mais aussi être capable de la partager avec les autres, représentant un challenge fondamental pour l’actuel régime, « top-down » et unidirectionnel, d’électricité […]. »

p.182

Ce changement « serait aussi profond et impactant que le développement du World Wide Web dans les années 90. »

[Rifkin décrit ensuite le développement des objets intelligents, permettant de monitorer leur consommation et celle des bâtiments, et des smart grids]

Transformer une voiture en centrale

De plus en plus de grands producteurs de voitures se tournent vers les voitures propulsées par hydrogène. Daimler-Benz, Ford, Nissan, Honda et Mitsubishi, Toyota et GM auraient lancé des programmes totalisant plusieurs milliards de dollars pour développer des voitures mues par des piles à combustible – hydrogène. Le président de la Ford Motor Company, Bill Ford, aurait même affirmé:

« Je crois que les piles à combustible vont finalement marquer la fin du règne de 100 ans des moteurs à combustion interne. »

Ce serait une révolution radicale: 17% des émissions du CO2 viennent de la combustion de pétrole dans le transport routier.

Les voitures pourraient même devenir des « centrales sur roues »: étant garées 96% du temps, elles pourraient utiliser leurs piles à combustible pour générer de l’électricité pendant ce temps.

Un blocage pourrait être le souvenir de l’Hindenberg, un Zeppelin dont l’hydrogène s’est enflammé lorsqu’il tentait d’atterrir, tuant ses 36 passagers. Toutefois, les dernières recherches concluent que l’hydrogène n’est pas plus dangereux que les autres carburants et serait même, parfois, plus sûr, étant donné qu’il ne peut pas s’épandre sur la voie.

Plusieurs Etats, comme le Michigan, l’Ohio ou la Californie lancent des initiatives pour capturer le marché de l’énergie-hydrogène naissant.

L’Union Européenne en avance

L’Union Européenne aurait, à travers la voix de Romano Prodi le président de la Comission Européenne, pour objectif devenir le « premier superpouvoir du XXIe siècle entièrement basé sur un hydrogène renouvelable. » Pour cela, elle aurait forgé « des partenariats public-privé sans précédent » et engagé et augmenté de 2 milliards£ ses engagements envers le développement des énergies renouvelables.

Elle serait en avance sur les États-Unis qui, même s’ils ont aussi, en 2003, annoncé s’impliquer dans le développement de l’énergie hydrogène, ils se proposent de le faire avec des énergies fossiles …

For the first time in human history, we have within our grasp a ubiquitous form of energy, what proponents call the “forever fuel.” Hydrogen will eventually be as cheap as personal computers, cell phones, and palm pilots. When that happens, the possibility opens up to truly democratize energy, making it available to every human being on Earth.

p.196

8.Reglobalisation depuis la base

Leçons du World Wide Web

« [Allons nous le [l’hydrogène] voir comme une ressource partagée, comme les rayons du soleil ou l’air que nous respirons, ou comme une commodité, achetée et vendue sur le marché, ou quelque chose entre-deux ?] »

p.197

Les premiers promoteurs du « World Wide Web » prônaient la liberté de circulation de l’information. Cela devait être un espace neutre, qui n’appartienne à personne. Il aurait toutefois été corrompu par les intérêts commerciaux de compagnies comme Microsoft et AOL. Il y aurait une bataille entre ces derniers et les partisans de la libre circulation de l’information.

La « Hydrogen energy web » sera l’objet d’une lutte comparable:

« Certainly, it can be argued that just as a great deal of the conversation and information that flows between people—but obviously not all communication and information—ought to run free, a like-minded case could be made that hydrogen should be considered a free or shared good, available to all. After all, it is the most basic and universal element in the whole universe. »

p.199

« The Hydrogen Commons »

Dans le futur, le prix de produire de l’hydrogène serait presque nul et son approvisionnement presque infini. Au contraire, ce serait le réseau intelligent qui serait coûteux à construire et à maintenir. Il faudrait réfléchir à un système qui traduise la nature de l’énergie source, avec un nouveau genre d’architecture qui rassemble le public et le privé, le commercial et le bénévole dans une relation symbiotique qui reflète les dimensions à la fois propriétaires et publiques du nouveau régime énergétique.

Démocratiser l’énergie

Early efforts to democratize the flow of information on the World Wide Web met with some limited success but, as mentioned, was quickly eclipsed by corporate gatekeepers like AOL.

p.203

La « Hydrogen energy web » serait encore dans un stade de développement très précoce, comme l’Internet à la fin des années 80. De même, la manière dont la génération distribuée « décollerait » dans les 5 ans (jusque 2008) déterminerait l’infrastructure énergétique du futur.

La génération distribuée permettrait à des millions de personnes de devenir producteurs. Ils pourraient s’unir et finiraient par reléguer les compagnes d’électricité actuelles à la production des piles à combustible et à la coordination des flux d’énergie.

Mettre la théorie en pratique

Il y a de nombreuses formes d’organisations qui permettraient déjà d’établir des groupes de producteurs d’hydrogène (distributed generation associations), parmi lesquelles la coopérative serait la plus prometteuse.

Par exemple, les « Community development corporations » (CDCs), des organisations bénévoles dont la mission est de développer le développement économique de leur quartier et d’améliorer la vie des résidents. Il y en a aujourd’hui 3 à 4000. Elles ont notamment créé de nombreux logements à loyers modérés. Leur patrimoine immobilier est évalué à 500 millions de dollars. Il y a aussi des « Publicly owned no-for-profit utilities » (POUs), des producteurs d’électricité représentant 12% de la capacité installée totale. Globalement, il y aurait plus de 48 000 coopératives aux US, qui représenteraient plus de 125 milliards$ de revenus chaque année.

Il y a déjà un projet de génération distribuée mis en place à Chicago à petite échelle, combinant une coopérative locale avec un centre de recherche et ComEd, une entreprise de production d’énergie. Ce sont ces types de projets qui pourraient porter le développement du HEW.

Donner du pouvoir aux pauvres

La pauvreté et les inégalités, loin de se résorber, augmentent. Et cela devrait s’accentuer avec l’évolution démographique. Ce problème est accentué par le manque d’accès à l’énergie et, surtout, à l’électricité. Pour apporter à chacun autant d’électricité que ce qu’un consommateur US consommait en 1950, il faudrait multiplier par 5 la production actuelle. Pour atteindre cet objectif en 2050, il faudrait investir entre 100 et 150 milliards $ par an.

Les piles à combustible à hydrogène et la création d’un réseau d’énergie distribuée seraient le seul moyen d’atteindre ce but.

Repenser la sécurité

Je ne suis pas sûr d’avoir compris cette partie. En gros, il faudrait sortir de la conception individualiste de la sécurité pour en avoir une vision plus collective.

« In the new era of decentralized command-and-control mechanisms and potentially democratic communications and energy utilization, in which everyone is increasingly linked to everyone and everything else in multiple networks of engagement, at the speed of light, we can begin to rethink our ideas about security. »

p.223

De la géopolitique à la biosphère politique

La géopolitique, qui est au fond la lutte d’intérêts individuels, devrait laisser place à une politique de la biosphère, où l’humanité, réunie en réseaux, se pense comme une totalité.

« THERE ARE RARE MOMENTS in history when a generation of human beings are given a new gift with which to rearrange their relationship to one another and the world around them. This is such a moment. We are being given the power of the sun. Hydrogen is a promissory note for humanity’s future on Earth. Whether that promise is squandered in failed ventures and lost opportunities or used wisely on behalf of our species and our fellow creatures is up to us.. »

p.228

Commentaire

C’est un livre très sourcé, très bien construit, mais qui s’avère très contestable.

Un livre très sourcé

Les sources sont d’une richesse et d’un intérêt remarquables. Outre une centaine d’ouvrages, il fait référence à plusieurs dizaines d’articles très intéressants. Rien que cela donne un aperçu des références intellectuelles du sujet à l’époque.

Une belle construction, parfaitement storytellée

Le livre est remarquable en termes de construction. L’introduction déroule le raisonnement rapidement, puis chaque partie en détaille un aspect. Puis le début de chaque chapitre explique ce qu’il va démontrer, puis chaque sous-partie en détaille des aspects.

Le livre est également merveilleusement storytellé. On retrouve le fameux framework de vente : « AIDA » («Attention/Intérêt/Désir/Action»):

  • Attention: Dérèglement climatique et pic pétrolier
  • Intérêt: Le danger islamiste et le risque d’effondrement généralisé
  • Désir: Il faudrait un modèle énergétique décentralisé plus résilient
  • Action: Il faut des réseaux de production d’hydrogène décentralisés organisés autour de coopératives.

Voilà, je vois rarement des livres aussi joliment construits (et du coup très faciles à lire et à synthétiser) du coup je le dis.

Des raisonnements discutables

MAIS.

Le livre est très sourcé, très bien écrit / structuré, mais, et c’est un gros MAIS, il y a beaucoup de raisonnements très discutables. Il a largement tendance à affirmer des choses qui ne sont absolument pas évidentes … sans même la moindre source.

Exemple 1: Le lien entre entropie et biologie/société

Dans le chapitre 3, « Énergie et le cycle de vie des civilisations » (p.40 et s.), Rifkin propose une application pour le moins audacieuse de la seconde loi de la thermodynamique à la société. Voilà la définition qu’en donne Wikipedia:

« Le deuxième principe de la thermodynamique, ou principe d’évolution des systèmes, affirme la dégradation de l’énergie : l’énergie d’un système passe nécessairement et spontanément de formes concentrées et potentielles à des formes diffuses et cinétiques (frottement, chaleur, etc.) Il introduit ainsi la notion d’irréversibilité d’une transformation et la notion d’entropie. Il affirme que l’entropie d’un système isolé augmente, ou reste constante.
Ce principe est souvent interprété comme une « mesure du désordre » et comme l’impossibilité du passage du « désordre » à l’« ordre » sans intervention extérieure. »

Wikipedia

Une autre définition:

« Toute transformation d’un système thermodynamique s’effectue avec augmentation de l’entropie globale incluant l’entropie du système et du milieu extérieur. On dit alors qu’il y a création d’entropie. »

Wikipedia

Mais qu’est-ce que l’entropie ?

« L’entropie d’un système mesure donc le degré de dispersion de l’énergie (sous toutes ses formes : thermique, chimique, électrique) à l’intérieur d’un système. Et le second principe stipule que, dans un système isolé, l’énergie a tendance à se disperser le plus possible. »

Mais au fond, qu’est-ce que l’entropie ? (l’exemple qu’ils prennent est très clair, si vous avez du mal à comprendre le concept, je vous encourage à regarder leur article complet)

« Le terme entropie a été introduit en 1865 par Rudolf Clausius à partir d’un mot grec signifiant « transformation ». Il caractérise le degré de désorganisation, ou d’imprédictibilité, du contenu en information d’un système. »

Wikipedia

Comparons maintenant ces propos avec la définition que nous propose Rifkin:

« While energy cannot be created or destroyed, it is continually changing in form, but always in one direction, from available to unavailable. For example, if we burn a piece of coal, the energy remains but is transformed into sulfur dioxide, carbon dioxide, and other gases that then spread into space. No energy has been lost in the process, yet we can never re-burn that piece of coal again and get useful work out of it. The second law tells us that whenever energy is transformed, some amount of available energy is lost in the process; that is, it is no longer able to perform useful work. »

p.44-45

La différence est discrète, mais vous voyez qu’on commence déjà à ne plus parler de la même chose : L’entropie est une principe fondamental de physique et Rifkin nous parle de « travail utile » et d’énergie « indisponible ». Indisponible pour qui ? Utile pour qui ? Ce sont des termes qui traduisent une valeur définie socialement.

Il y a un exemple qui montre l’absurdité de son raisonnement : l’agriculture. L’agriculture transforme une énergie diffuse, à laquelle on ne peut pas faire faire de « travail » utile, en une source d’énergie concentrée et utile.

Plus largement, l’entropie est un principe omniprésent. Même, par exemple, dans une centrale nucléaire. C’est l’entropie qui transforme le rayonnement diffus de l’uranium en vapeur, puis en électricité, qui est une énergie plus « utile » que le rayonnement radioactif initial.

Outre cette définition fausse, Rifkin va étendre le concept d’entropie pour décrire … les organisations humaines. En gros, elles (il prend l’exemple de l’État américain) auraient tendance à devenir de plus en plus grosses, à prélever de plus en plus de ressources et s’achemineraient donc inévitablement vers leur effondrement …

Bref, la mobilisation du concept d’entropie par Rifkin n’est simplement pas défendable.

Exemple 2 : l’Arabie Saoudite

Par exemple, il écrit à propos de l’Arabie Saoudite:

« The government has prohibited civic organizations from developing in the country and has left it up to the Wahhabi religious leadership to be both monitor and arbiter of the social and cultural life of the Saudi people.

Interestingly enough, because other forms of civic expression are forbidden, the mosques have become the only place where people are free to congregate, express opinions, and carry on debate. Not surprisingly, then, much of the pent-up anger and angst, especially among the young, is vented by way of participation in religious forums and gatherings.

The result is that local mosques have become deeply politicized in recent years. In the future, say some observers, the local religious institutions are likely to be the breeding ground for a new generation of fundamentalists determined to overthrow the state authority, just as they have served in the past as safety valves to maintain the interests of the Saudi ruling family. »

p.106-107

Il ne fournit absolument aucune source justifiant son raisonnement. Reprenons le fil, avec mes commentaires en italique :

  • Les organisations civiles seraient interdites (Source ? Depuis quand ?);
  • Seules les mosquées seraient le lieu de sociabilisation et d’échange (ah ?);
  • Les jeunes y évacueraient leur ressentiment en participant aux activités religieuses (Quel ressentiment ? Comment serait-ce une voie d’expression ?)
  • Les mosquées seraient très politisées;
  • Des observateurs estimeraient que ces dernières deviendraient le terreau fertile où se développeraient une nouvelle génération de fondamentalistes (Quels observateurs ? Quelle causalité entre une participation à des congrégations religieuses et le fondamentalisme ? En quoi cela serait une nouveauté ?)

Bref, il ne démontre ni les faits qu’il allègue, ni la causalité qu’il leur impute.

Exemple 3 : l’intérêt de l’hydrogène

Le deuxième exemple est plus problématique, puisqu’il s’agit du coeur même de son livre et que c’est basiquement un florilège d’allégations absurdes.

Tout d’abord, et c’est la principale aberration, il affirme que le prix de la production d’hydrogène vert tendrait vers 0 à long terme. Encore aujourd’hui (17 ans après donc), les énergies renouvelables sont largement plus chères que les énergies fossiles et ce n’est pas près de s’inverser.

Ensuite, produire de l’hydrogène avec des ENR ne poserait pas de problème et chaque foyer pourrait en avoir. Or, les hydrolyseurs ont beaucoup de mal avec l’intermittence (interview avec la fondatrice de Lhyfe), il faudrait donc, en plus de ces équipements couteux, des batteries pour amortir les variations de courants …. le tout dans les foyers « moyens ». Absurde.

De même, le stockage de l’hydrogène ne poserait pas de difficulté. Or, il doit être stocké sous une pression intense, dans des récipients sophistiqués et solides.

Enfin, il y a une question plus fondamentale: pourquoi produire de l’hydrogène avec de l’électricité pour … faire de l’électricité ?

Des manipulations malhonnêtes ?

J’ai également noté ce qui ressemble à une manipulation clairement malhonnête. En parlant de l’agriculture, dans le chapitre 7 sur les vulnérabilités, Rifkin suit le déroulé suivant page 145 :

  • Les pratiques intensives ont épuisé et érodé les sols « natifs », ce qui a accru le besoin en fertilisant synthétique
  • La pollution au nitrate en résultant représente 50% de la pollution aquatique des US
  • La monoculture, ce qui serait faire pousser la même chose sur une large surface aurait accru la productivité grâce aux économies d’échelle, mais demande davantage de pesticides.
  • Une large part des pesticides épandus se retrouverait dans les eaux souterraines et deviendrait une « source majeure de pollution des eaux dans toutes les régions agricoles ».
  • Les pesticides détruiraient la vie des sols, réduisant leur fertilité.
  • Déjà dans les années 70, les US avaient perdu plus d’un tiers de ses terres arables.

Ici, rien ne va :

  • La notion de monoculture renvoie la périodicité des cultures. En français, cela veut dire cultiver la même chose tout le temps. Les vignes par exemple sont des monocultures. En anglais, cela veut dire cultiver la même chose aux mêmes périodes de l’année. La définition que donne Rifkin est absolument fausse.
  • Les pesticides sont TRES loin d’être la principale source de pollution des eaux en France. C’est même très mineur comparé à la pollution des produits ménagers ou d’hygiène.
  • Son déroulé laisse penser que la destruction de terres arables serait due aux pesticides. Il ne le démontre pas et c’est clairement absurde (les principales causes vont être l’urbanisation, l’érosion et la pollution industrielle).

Enfin, sa présentation est d’un simplisme délirant sur le plan agronomique:

  • Les pesticides ne détruisent pas « toute vie » et même l’agriculture de conservation des sols utilise du glyphosate. C’est la dose qui fait le poison.
  • Beaucoup de sols, même cultivés « intensivement » sont extrêmement sains et vivants (suivez les fragritwittos si vous voulez le confirmer).

L’imposture se révèle clairement lorsqu’on prend un peu de recul : ne disait-ils pas EXACTEMENT la même chose à propos de l’Empire Romain ? Ils n’avaient pas de tracteurs ou d’engrais à l’époque. En fait Rifkin caricature complètement l’agriculture et dissimule le fait qu’il s’agit d’une question complexe. Ceci, afin de soutenir son storytelling.

Il n’y a pas de doute possible sur ce point : c’est malhonnête, c’est de la désinformation.

[Rq: il recommence p.146, affirmant que les OGM demandent plus d’engrais issus de la pétrochimie alors que : 1/c’est faux 2/ vous pouvez très bien cultiver votre maïs BT avec du fumier (comme n’importe quel maïs en fait) 3/ils peuvent (rappelons qu’il y a une diversité infinie d’OGM et que tout dépend de leur utilisation, son intelligence agronomique) permettre d’économiser en fait des pesticides et donc de l’énergie. Bref, encore de la désinformation.]

Ces procédés rhétoriques se retrouvent un peu partout, je ne développe pas.

Conclusion

Si le livre est très sourcé, c’est toujours sur les problèmes « grand angle » (dérèglement climatique, pic pétrolier, montée des eaux, etc.) ou bien les événements historiques (chute de Rome, etc.)

Au contraire, ses raisonnements sont très peu étayés et clairement aberrants.

Ce livre est fondamentalement un support de communication. Son objet n’est pas de dire quelque chose de vrai, mais de promouvoir un projet et l’image de marque de son auteur.