Interview hydrogène: Juliette Leboda
Juliette Leboda a récemment fini un mémoire sur le rôle de l’hydrogène dans la transition énergétique (pour un master en management de l’énergie à Centrale Supélec) et m’a présenté quelques-unes de ses conclusions.
La première problématique est évidemment de produire l’hydrogène de manière décarbonée. [ndlr : 95 % d’hydrogène est produit à base d’hydrocarbures]. L’industrie utilise en effet déjà beaucoup d’hydrogène actuellement.
« L’hydrogène est nécessaire, on ne peut pas faire sans. Commençons par remplacer les usages essentiels avant d’aller chercher à créer de nouveaux usages. »
Mobilité hydrogène
Ceci posé, nous commençons par discuter de la mobilité hydrogène.
Voitures à hydrogène
S’agissant des automobiles, elle estime que l’hydrogène ne tient pas la comparaison avec l’électricité, sauf imaginons, pour certains usages très spécifiques, si le véhicule doit se déplacer en permanence. En effet, la différence de rendement est radicale : de la production d’électricité initiale jusqu’au moteur électrique, le rendement est d’environ 70 % avec la batterie et 25 % avec l’hydrogène (avec la boucle « power-to-gas-to-power”).
Poids lourds à hydrogène
Pour la mobilité lourde, c’est plus complexe.
Vous avez d’abord les bus, qui peuvent être électriques. « Les bus électriques marchent très bien, sauf lorsque le bus a besoin de rouler en permanence ». En effet, les batteries ont une autonomie suffisante et ils peuvent se recharger la nuit. Néanmoins, « en analyse de cycle de vie par contre, c’est plus nuancé ». En effet, la batterie nécessaire est massive. Une option serait d’équiper les voies de caténaires pour limiter la taille des batteries.
Pour les poids lourds par contre, ayant besoin de beaucoup de puissance, l’hydrogène a clairement un intérêt si on arrive à faire baisser le coût des véhicules dans les années à venir. Ensuite, les transports de marchandises suivent tous les mêmes routes, notamment entre Perpignan et Rungis. L’option des caténaires serait l’option la plus économique.
Train à hydrogène
S’agissant du train, pour les segments non électrifiables (20% des lignes européennes seraient encore desservies au diesel), les locomotives à hydrogène – déjà utilisées sur certains segments en Allemagne – devraient être d’ici quelques années une solution viable économiquement.
Bateaux à hydrogène
Pour le transport maritime, l’hydrogène serait une solution de décarbonation très intéressante.
« [Le transport maritime, c’est 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre). Et au-delà du CO2, de plein d’autres particules fines (NOx et Sox surtout), etc.] »
Sous forme de gaz, il serait néanmoins trop volumineux (« L’’hydrogène, ça prend tellement de place […] que la question ne se pose pas. ») Le liquéfier demanderait également trop d’énergie. Le mieux serait de le changer en méthanol ou en ammoniac.
« « D’après ce que j’’ai vu dans les conférences sur le secteur maritime, on pense vraiment que l’’ammoniac sera le carburant le plus adapté. » »
Un problème serait alors sa toxicité :
« Par contre, l’ammoniac est hyper dangereux pour l’’environnement. Un bateau qui coule et l’’ammoniac qui se déverse, c’’est vraiment catastrophique »
Décarboner le secteur de l’énergie
Une autre fonction de l’hydrogène serait de décarboner le secteur de l’énergie. Juliette parle de « Sector coupling ». L’idée est d’adresser les secteurs les plus difficiles à décarboner, pour lesquels l’électrification ne fonctionne pas. Pour ceux-là, l’hydrogène servirait d’intermédiaire :
« Si tu fais de l’’ammoniac qui est fait à partir d’’hydrogène qui est fait à partir d’’électricité, tu peux dire que tu as fait le lien entre le secteur maritime et l’’électricité. »
Certains envisagent de mélanger l’hydrogène dans le gaz, pour le décarboner en partie. Ce serait néanmoins peu pertinent :
« C’est économiquement absurde de mettre de l’’hydrogène, qui coûte cher, mélangé avec du méthane, qui ne coûte pas très cher. »
Stockage d’énergie et stockage d’hydrogène
« [En ce qui concerne le stockage à moyen et long terme d’électricité, le rôle du stockage d’hydrogène (avec le power-to-power) pourrait être crucial pour assurer l’adéquation entre l’offre et la demande électrique dans un avenir où l’électrification augmentera encore davantage la thermo-sensibilité de la consommation électrique française, générant une forte variation entre les besoins estivaux et hivernaux en électricité. Il faudra d’ici là améliorer le rendement de la boucle power-to-gas-to-power.] »
« Les STEP, c’’est génial, par contre en France on ne peut pas en faire beaucoup plus. En Europe on ne peut pas en faire beaucoup plus non plus [faute de fleuves disponibles]. […] Donc il faut d’autres solutions complémentaires pour [stocker l’électricité]. »
La piste, souvent évoquée, d’absorber uniquement les excédents des énergies renouvelables ne serait néanmoins pas rentable avec les coûts actuels d’un électrolyseur. Un électrolyseur devrait, pour être rentable, fonctionner entre 60 % (pour rentabiliser le capital) et 90 % (l’électricité étant, le reste du temps, trop chère).
« [Autant dire qu’il faudra produire beaucoup plus d’électricité bas-carbone pour atteindre d’ici 2028 les 630 000 t d’H2 bas-carbones inscrits dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie française.] »
D’après RTE, stocker de l’hydrogène (pour le retransformer en électricité) deviendra un impératif à partir de 2035-2040, notamment en raison du développement des énergies intermittentes et du besoin de stabiliser le réseau électrique. Pour cela, il faudra transformer les infrastructures de stockage souterrain de gaz naturel existantes et créer de nouvelles cavités salines.
Transport d’hydrogène
Nous avons fini par le thème du transport d’hydrogène. L’un des grands problèmes est que le transport routier d’hydrogène a un très mauvais bilan carbone et que la tuyauterie pour transporter le gaz naturel n’est aujourd’hui pas adaptée : l’hydrogène est une molécule beaucoup plus petite et, en plus, il corrode l’acier.
Elle m’a parlé d’un projet, porté par les opérateurs de gaz réunis au sein de « Gaz for climate » : le «European Hydrogen Backbone ». L’idée serait de convertir les réseaux de gaz existants pour créer un marché européen de l’H2. Le projet représenterait entre 43 et 83 milliards d’euros et le transport coûterait entre 11 et 21 centimes d’euros par kg par 1000 km. La technologie est bien connue, puisqu’il existe déjà des hydrogénoducs appartenant à des industriels.
Néanmoins, il faut se demander s’il y aura suffisamment de volume à déplacer et, surtout, s’il ne faudrait pas préférer un modèle plus local de production-consommation. On pourrait, par exemple imaginer que de l’hydrogène soit produit en par l’énergie solaire en Provence pour alimenter le port de Marseille et l’industrie de la Fos-sur-Mer, ou bien que les éoliennes offshore bretonnes alimentent les industries du nord-ouest.
« De là à se dire qu’on a besoin de relier tout le système européen … je pense que le besoin ne va pas apparaître tout de suite … enfin s’il apparaît un jour. »