Stocker le carbone dans l’eau: la fertilisation des océans, une technique CDR originale

La fertilisation des océans consiste à ajouter des nutriments dans l’océan pour aider le phytoplancton à croître et à absorber plus de CO2. Tout l’enjeu est de cibler des zones où le phytoplancton manque d’oligo-éléments spécifiques, comme le fer, pour que de petites doses aient de grands effets. Une fois qu’il a vécu, le phytoplancton tombe au fond de l’océan, piégeant durablement le carbone capté. C’est une des technologie de stockage océanique du carbone.

C’est une technique de « CDR » (Carbone Direct Removal), qui englobe à la fois la capture et la séquestration du CO2.

Le principe de la fertilisation des océans

La fertilisation des océans est une technique qui vise à augmenter la quantité de phytoplancton dans l’océan. Le phytoplancton ayant la capacité d’absorber le dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère, cela permettrait de lutter contre le dérèglement climatique.

Pour cela, on va disperser dans la mer des nutriments qui vont favoriser sa croissance, comme du fer. De petites quantités de fer peuvent avoir un effet considérable. En effet, il s’agit d’un oligo-élément qui est souvent bloquant pour la croissance du plancton. Répondre à ce petit besoin permet au végétal de croitre. La dispersion du fer doit être effectuée de manière à maximiser son mélange avec l’eau de mer et son accessibilité au phytoplancton. Parfois, d’autres nutriments, comme le nitrates ou le phosphates, peuvent être ajoutés en même temps si ces nutriments sont également limitants dans la zone spécifique. Cela implique qu’il faut cibler des zones spécifiques, où le phytoplancton manque d’oligo-éléments.

Lorsque le phytoplancton meurt, il tombe au fond de l’océan, emprisonnant le CO2 avec lui.

Les types de fertilisation des océans

Il y a plusieurs types de fertilisation des océans:

  1. Fertilisation au fer : C’est la technologie la plus connue et la plus étudiée. Elle consiste à ajouter du fer dans les régions de l’océan où il est limitant, ce qui stimule la croissance du phytoplancton, qui à son tour séquestre le CO2.
  2. Fertilisation à l’urée : L’urée est une source d’azote, qui peut stimuler la croissance du phytoplancton dans les zones où l’azote est limitant. C’est une piste très discutable, ladite urée pouvant être aussi efficace et plus viable à fertiliser un champ.
  3. Fertilisation à l’olivine : L’olivine est une roche riche en magnésium et en silicium qui, lorsqu’elle est moulue en poudre et ajoutée à l’océan, peut réagir avec le CO2 pour former des carbonates stables.
  4. Fertilisation au phosphore : Le phosphore est un autre nutriment limitant dans de nombreuses régions de l’océan. L’ajout de phosphore peut stimuler la croissance du phytoplancton dans ces zones.
  5. Modification de la circulation océanique (= « Upwelling induit« ) : on peut augmenter la quantité de nutriments disponibles pour le phytoplancton en modifiant la circulation océanique, par exemple en utilisant des tuyaux pour pomper de l’eau riche en nutriments des profondeurs vers la surface (« zone euphotique »). Cela peut se faire à l’aide de la force des vagues.
  6. Électroculture marine : Cette méthode consiste à utiliser un courant électrique pour stimuler la croissance du phytoplancton. Il a été suggéré que cela pourrait augmenter la productivité primaire, bien que les détails de la manière dont cela fonctionnerait soient encore à l’étude.

Enjeux et débats autour de la fertilisation des océans

Aucune solution n’est parfaite et la fertilisation des océans ne fait pas exception.

Tout d’abord, il y a un débat sur l’efficacité de la séquestration du carbone. Certaines études suggèrent que seule une petite fraction du phytoplancton atteint réellement les profondeurs de l’océan, le reste étant consommé par d’autres organismes ou se décomposant avant d’atteindre le fond. Cela signifie que la quantité de carbone effectivement retirée de l’atmosphère pourrait être beaucoup plus faible que prévu.

Ensuite, il faut réfléchir aux limites matérielles: la quantité de matériaux nécessaire et l’ampleur des zones « carencées ».

La réglementation peut aussi être une difficulté. Par exemple, qui devrait être autorisé à fertiliser les océans, où et à quelle échelle ? Comment devrions-nous équilibrer le potentiel bénéfique de la réduction du CO2 avec les risques potentiels pour les écosystèmes marins ?

Enfin, il faut se poser la question des effets secondaires:

  • L’ajout de fer ou d’autres nutriments dans l’océan peut avoir des effets importants sur les écosystèmes marins. Par exemple, il pourrait favoriser la croissance de certaines espèces de phytoplancton au détriment d’autres, perturbant ainsi la chaîne alimentaire marine.
  • La décomposition du phytoplancton peut consommer de l’oxygène, créant des zones hypoxiques (zones à faible teneur en oxygène) qui peuvent être nocives pour d’autres formes de vie marine.
  • La présence de CO2 dissout dans les océans est déjà un problème, représentant une hausse de leur acidité. Néanmoins y stocker du carbone n
  • Les océans sont des systèmes complexes et nous ne comprenons pas encore parfaitement toutes leurs interactions. Il est donc possible que la fertilisation des océans ait des effets à long terme ou imprévus sur les océans et le climat.

Pour ces motifs, l’ONU a posé un moratoire sur la fertilisation des océans à des fins commerciales en 2008 (Tollefson, J. UN decision puts brakes on ocean fertilization. Nature 453, 704 (2008). https://doi.org/10.1038/453704b).


Pour aller plus loin:

  • Tollefson, J. Iron-dumping ocean experiment sparks controversy. Nature 545, 393–394 (2017). https://doi.org/10.1038/545393a