Industrie : les solutions du GIEC pour la décarboner

Nous allons présenter ici le chapitre relatif à l’industrie du 3e groupe de travail du 6e rapport du GIEC.

Le secteur industriel inclut : l’extraction de minerais, la manufacture, la construction [erreur ?] et la gestion des déchets. Ce chapitre se focalise sur l’industrie lourde, qui représente 65% des émissions de gaz à effets de serre de ce secteur.

Pour l’amener à zéro émission, il faudra non seulement utiliser la « boîte à outils traditionnelle d’efficacité énergétique et de processus, changement de combustible, électrification et décarbonisation de l’énergie », mais aussi la compléter avec d’autres mesures: « gestion et efficience de la demande, économie circulaire, matières premières non-fossiles, capture et utilisation du carbone (CCU) et capture du carbone et de stockage (CCS). » (p.1165)

Tendances et données dans le développement industriel

Les émissions industrielles ont été tirées vers le haut par l’augmentation du PIB et retenues par l’amélioration de l’efficacité énergétique des procédés. Le recyclage a également permis de limiter le besoin en certains matériaux « vierges », dont l’extraction et le raffinage initial consomment beaucoup d’énergie.

Quand on regarde les quantités de matériaux « stockées » dans les choses (=bâtiments, machines …), l’essentiel est évidemment constitué des matériaux de construction. Les matériaux de construction minéraux sont principalement (94,6%) des minéraux (béton, asphalte, brique, agrégats et verre), le seul ciment représentant 43,5% du poids total. Il y a également des métaux (3,5%) et du bois (1,4%). En 2018, il y aurait eu 478Gt de béton, contenant 88Gt de ciment. Plus largement, le fer/acier est estimé représenter 25 à 35Gt, le plastique 2,5-3,2Gt et l’aluminium 1,1Gt. (p.1169)

L’extraction de matériaux de base a augmenté considérablement depuis 1990. En 2019, elle était plus de 3,5 fois supérieure pour l’aluminium, l’acier et le plastique et à près de 2,5 fois supérieure pour l’acier, alors que la population n’est que 1,5 fois supérieure.

Cette hausse est prévue continuer et le stock global de matériaux en usage pourrait être multiplié par 2,2 -2,7 en 2050, atteignant alors entre 2215 et 2720Gt. 140 à 200Gt de matériaux pourraient être extrait chaque année en 2060. Cette augmentation est surtout concentrée sur les pays émergents. On estime notamment que l’Inde pourrait multiplier par 4 sa consommation d’acier d’ici 2050. A l’inverse, les pays occidentaux tendent à avoir un stock de matériaux stable.

On observe en effet une saturation passé certains niveaux pour certains matériaux : l’acier, le ciment, l’aluminium et le cuivre. (p. 1177)

Le recyclage des métaux est plus important que pour les autres matériaux, dépassant 50% pour 13 métaux et entre 25 et 50% pour 10 autres. Néanmoins, même avec un taux de recyclage proche de 85%, l’acier recyclé ne reste qu’à 35-38% de la production totale, de 22% en Chine à 69% aux États-Unis. Pour le papier, le recyclage est relativement élevé: plus de 50% en 2014-18. Pour le plastique, au contraire, il n’est que de 9-10%.

L’industrie est la principale consommatrice d’énergie : elle consomme directement 40% du total.

L’intensité énergétique a néanmoins diminué de 12% entre 2010 et 2018. (p.1171) Les émissions de gaz à effet de serre viennent :

  • du combustible industriel (7,1 GtCO2eq)
  • indirectement de l’électricité et de la production de chaleur (5,9 GtCO2eq)
  • des processus industriels eux-mêmes (4,5 GtCO2eq)
  • de l’utilisation des produits (?) (0,2 GtCO2eq)
  • des déchets (2,3 GtCO2eq) (p.1172)

Globalement, les émissions industrielles représentent 14,1 GtCO2eq d’émissions directes (2’%) et 20 GtCO2eq en ajoutant les émissions indirectes (34% du total).

Le GIEC souligne que prendre en compte les émissions nettes incluses (« embodied ») dans le commerce international fait monter les émissions industrielles de 130% pour les US, 50 pour l’UE, >200% pour le Royaume-Uni). Au contraire, pour la Chine et la Russie, cela les diminue de 33% … Il fait remarquer que « les exportations d’e pays avec de moindres intensités carbones peut amener à globalement moins d’émissions que si la production prenait place dans des pays avec des intensités carbone élevées ». (p.1176)

Les principaux axes

« La modélisation suggère que les stocks de matières par habitant saturent dans les pays développés et se découplent du PIB. »

p.1177
  • Limitation de la demande : la demande de matériaux est l’un des principaux moteurs de la consommation d’énergie du secteur industriel. de manière générale améliorer l’efficience matérielle y contribue, vu qu’il s’agit de faire plus avec moins. [le passage est peu clair: il parle de l’effet de saturation des principaux matériaux (ciment, acier …) en circulation, mais ce n’est pas le cas du plastique. Cette saturation permettrait de favoriser l’efficience matérielle (?). L’atteinte des objectifs climatique supposera la construction de nombreuses infrastructures. Globalement, ils ne décrivent aucune solution, se défaussant sur l’efficience matérielle et le design circulaire]
  • L’efficience matérielle (Material Efficiency, ME) consiste à proposer un même service avec moins de matériaux. Cela peut consister à alléger les produits, d’optimiser leur durabilité et l’intensité de leur usage, de suivre les principes d’économie circulaire ou encore d’avoir des processus de conception plus efficients. On note que certaines stratégies peuvent avoir des effets à court terme (ex: optimisation de la conception) ou à long terme (ex: durée de vie, recyclabilité).
  • Économie circulaire et déchets industriels. L’économie circulaire consiste à fermer le cycle de vie des produits, en utilisant leurs déchets pour en faire d’autres. [Cela vaut pour la gestion des déchets matériels, mais aussi immatériels, comme la chaleur fatale.] Elle peut avoir plusieurs échelles : micro (une seule entreprise), méso (un parc industriel) et macro (échelle plus large).
  • Efficacité (/efficience ?) énergétique. Il s’agirait par exemple de réutiliser la chaleur fatale, ce qui représenterait un gain potentiel de 300TWh par an, dont 50 % est dessous de 200°C et 25% au dessus de 500°C. Les stratégies de la sidérurgie permettraient déjà d’économiser ainsi 1,8 GJ par tonne d’acier. (p.1181) Des systèmes de Waste heat to power permettraient aussi de la valoriser. Les systèmes intelligent de gestion de l’énergie (Smart Energy Management) et plus largement l’industrie 4.0 permettraient globalement d’améliorer l’efficacité énergétique de l’industrie.
  • Électrification, hydrogène et changement de combustible. Cela implique s’écarter du charbon (0.09 tCO2/GJ), des produits pétroliers (0.07 tCO2/GJ) et du gaz (0.05 tCO2/GJ) vers des combustibles moins polluants ou de remplacer par de l’électricité, qu’on sait bien produire avec des procédés bas carbone. Cette électrification pourrait, selon les scénarios, multiplier plusieurs fois la consommation d’électricité. Ainsi, alors que la sidérurgie consomme 75TWh d’électricité maintenant en Europe, cela pourrait monter entre 214 et 355TWh.
    • Pour certains procédés, l’électrification ne sera pas possible. L’hydrogène pourrait être une piste. Plus largement, ce domaine est important de deux façons: en décarbonant les usages existant (ex: production d’ammoniac) et avec de nouvelles applications, comme la création de chaleur industrielle, le stockage d’énergie, etc. Sa production représentait 830 MtCO en 2015.
  • CCS, CCU, sources de carbone et de matériaux. La capture du carbone (en sortie de processus) varie largement selon les industries, notamment en raison de la variété du volume et de la densité de gaz à retraiter. Le carbone est un atome central dans l’industrie et il est présent dans de nombreux combustibles, composés organiques et matériaux. La CCU pose le problème de la libération ultérieure du carbone capté. (p.1185)

P.1188 est présenté un tableau récapitulant comment les différents acteurs (entreprises d’ingénierie, industriels, organisations internationales, organisations publiques et société civile) peuvent agir pour chacun de ces axes.

Les stratégies par secteurs

Les stratégies varient selon chaque secteur industriel.

L’acier

En 2020, 40% de l’acier est dédié aux structures, 20% à l’équipement industriel, 18% pour des produits de consommation, 13% pour l’infrastructure et 10% pour les véhicules. La production d’acier brut a augmenté de 41% entre 2008 et 2020 et ses émissions sont de 3,7 à 4,1 GtCO2-eq. Elle se divise en deux voies: une reposant sur le raffinement du minerai de fer et l’autre sur le recyclage. La première utilise principalement le procédé BF-BOF (basic oxygen furnace route) et le second le procédé EAF (electric arc furnace). En 2019, le premier représentait 73% de la production et le second 26%. Néanmoins, la première voie peut aussi utiliser le procédé EAF en passant par la « réduction directe » (DRI). Elle représente 5,6% du total.

Le processus BF-BOF est le plus polluant, utilisant du CO2 et de très hautes chaleurs pour réduire le fer. On estime néanmoins qu’on peut améliorer de 15% son efficacité énergétique. La capture de carbone est difficile à implémenter sur des installations existantes au delà de 50% de capture. Un nouveau procédé, « HIsarna » revisite ce procédé en le rendant plus compatible avec la capture de carbone. Il est aussi possible d’ajouter de l’hydrogène au coke (= carbone) pour la réduction du fer, réduisant le recours au second et donc les émissions globales.

La meilleure solution est de favoriser le recyclage de l’acier existant, mais cette piste est déjà favorisée et développée.

Une piste est la réduction direct du fer. Elle peut être basée sur un syngas (mix entre hydrogène et monoxyde de carbone) produit à partir de méthane ou bien sur l’utilisation d’hydrogène. Il serait également possible de réduire le fer par électrolyse. Celle-ci peut se faire dans une solution aqueuse, comme dans le projet Siderwin, ou dans un oxyde solide.

Au-delà de ces pistes pour décarboner la production, une augmentation de l’efficacité matérielle et de l’intensité d’utilisation permettrait de diminuer la demande.

Le ciment

Le secteur du ciment est vu comme un secteur où les options de décarbonation sont particulièrement limitées.

Le secteur a émis entre 2,1 et 2,5 GtCO2-eq en 2019, dont 40% vient de la production de chaleur [il faut une flamme à très haute température] et 60% viennent de la réaction chimique produite elle-même, c’est-à-dire l’extraction du carbone du carbonate de calcium. Cela se produit au moment de la transformation de la roche en « clinker ».

Il serait possible d’agir sur la demande de plusieurs manières. D’abord, améliorer le mélange au moment de la conception du béton. Il faudrait aussi rendre plus spécifiques les ciments commercialisés pour l’optimiser. en outre, les constructeurs (ingénieurs, ingénieurs et entrepreneurs) tendent à utiliser du ciment (riche en clinker), même quand ils pourraient utiliser d’autres matériaux. ce remplacement pourrait réduire l’utilisation de ciment de 20 à 30%.

Pour décarboner la production elle-même, la capture de carbone ne pourrait pas être évitée. Les émissions de la production de chaleur pourraient être diminuées en utilisant des biocarburants, de la biomasse ou du biogaz.

Il y a des alternatives au clinker qui sont recherchées, notamment l’utilisation des clinker à base de « carbonatable calcium silicate » et des ciments à base d’oxyde de magnésium. Néanmoins, les changements impliqueraient des modifications extensives dans le secteur de la construction, qu’il s’agisse de la formation des praticiens ou des codes réglementaires.

L’industrie chimique

L’industrie chimique inclut le plastique, les fertilisants, les solvants, les pharmaceutiques ou encore les additifs alimentaires. Les émissions étaient entre 1,1 et 1,7 GtCO2-eq en 2019, notamment causées par la production d’ammoniac, de méthanol, d’oléfines et de chlore. La première représente à elle-seule 30% de ces émissions, qui pourraient être réduites grâce à de l’hydrogène décarboné ou de la CCS.

[A relire, beaucoup de détails à comprendre]

La production de plastique est maintenant de plus de 400 millions de tonnes. Chaque tonne produirait en moyenne, (ce qui varie selon la matière première utilisée, le plastique produit et le système énergétique) 1,8 tCO2-eq par tonne aux États-Unis et 2,3 CO2-eq en Europe.

Aluminium et autres métaux non ferreux

La demande d’aluminium était estimée à 100 Mt/an en 2020, dont 14% venant des restes industriels et 20% du recyclage. La production primaire est passée de 20Mt en 1995 à plus de 66Mt en 2020 et pourrait atteindre 139Mt/an en 2060 selon l’OCDE. Son processu de production consiste d’abord à extraire l’oxyde d’aluminium du minerai de bauxite grâce au processus hydromettalurgique de Bayer. L’oxyde est ensuite réduit par le procédé Hall-Héroult, un procédé utilisant de larges quantités d’électricité: 14 à 15MWh par tonne en moyenne.

Une part des émissions du processus, environ 1,5tCO2eq par tonne produite, vient de la dégradation des électrodes en graphites, qui se combinent avec l’oxygène de l’eau. De plus, des perfluorocarbones peuvent être émis si le processus est mal maîtrisé, ce qui représenterait 2tCO2eq par tonne produite.

Le recyclage est beaucoup plus simple, demandant 20 fois moins d’énergie. Augmenter le taux actuel (20-25%) est une des pistes intéressantes.

La stratégie pour décarboner l’aluminium et autres métaux non ferreux est similaire: améliorer l’efficience matérielle, le recyclage et développer des procédés d’extraction reposant sur l’électricité comme alternative à l’actuelle pyrométallurgie.

Pulpe et papier

En supposant que son énergie est biosourcée, l’industrie de la pulpe et du papier émet peu de CO2 « net », mais émet 700 à 800Mt de CO2 qui pourraient être récupérés par capture de carbone.

Synthèses

Les potentiels de chaque solutions sont présentés et résumés dans un tableau très complet, extrêmement intéressant, p.1197-1198.

Les auteurs discutent les différentes trajectoires sur les pages 1199-1207.

Ensuite ils discutent les infrastructures industrielles existantes et de leur propension à « bloquer » le changement, le contexte réglementaire, puis les autres bénéfices, sur le plan des buts de développement durable, des stratégies présentées. Enfin, ils abordent les approches et stratégies réglementaires.

Ces parties sont trop complexes pour être approfondies et synthétisées pour l’instant. J’y reviendrai ultérieurement.

Une citation importante:

A very large and important uncertainty is the availability of biomass for deep decarbonisation pathways due to competition for biomass feedstock with other priorities and the extent to which electrification can reduce the demand for bioenergy in the industry, transport and energy sectors.

GIEC, WGIII, p.1223