6e rapport du GIEC: quelles solutions pour décarboner le bâtiment ?
La partie du 6e rapport du GIEC du 3e groupe de travail (GW III), qui étudie les méthodes pour atténuer le changement climatique est sorti dans sa version finale en 2023. Nous vous en avons résumé les grandes lignes sur le lien ci-dessus, maintenant nous allons approfondir le sujet du bâtiment. Quel est, selon le GIEC, sa responsabilité dans les émissions de gaz à effets de serre (GES) et quelles sont les pistes qui permettraient de les réduire ? Il y a beaucoup d’éléments, on va se concentrer ce qui est le plus opérationnel.
Données et grandes tendances
Les bâtiments ont représenté 12 GtCO2eq en 2019, soit 21% du total. 57% (6.8 GtCO2eq) sont liées à la génération extérieure d’électricité et de chaleur, 24% (2.9 GtCO2eq) étaient produites sur le site et 18% (2.2 GtCO2eq ) sont dues à la production du ciment et de l’acier nécessaires à leur construction. La demande globale a représenté 128 EJ en 2019, dont 43 en électricité. Ses émissions de CO2 ont augmenté de 50 % entre 1990 et 2019. (p.955)
Il y aurait plusieurs tendance s’agissant des bâtiments résidentiels:
- l’augmentation de la demande de refroidissement. Le nombre d’engin de refroidissement est de 4 milliards et pourrait monter jusque 14 milliards d’ici 2050.
- L’augmentation de la demande d’électricité. Celle-ci a augmenté de 161% entre 1990 et 2019, atteignant 43 EJ, soit plus de 18% de la demande globale. Cette hausse est générée par l’augmentation des revenus, la distribution des revenus et la « S-curve of ownership rates » (voir Wolfram et al. 2012; Gertler et al. 2016). Une des tendance importantes est l’utilisation d’électricité pour des usages thermiques, comme les chaudières ou la cuisine, notamment en raison de la diffusion de pompes à chaleur.
- La digitalisation de la demande d’énergie, notamment dans la construction, avec le développement de modélisation ( » Building Information Modelling/Management (BIM) »), l’impresision 3D, les robots, les drones, les scans 3D, les senseurs et les objets connectés.
Les différents aspects du secteur du bâtiment
Le GIEC a distingué deux aspects pour le secteur du bâtiments: ce qui est relatif à la construction elle-même (composants et méthodes de construction) et les services qui les rendent plus confortables, pratiques, efficients et sécures (ex: chauffage et ventilation). (p.961)
Le secteur aurait plusieurs barrières rendant plus difficile sa décarbonation, dont notamment
- Le fait que beaucoup d’investissements relèvent du propriétaire, mais bénéficient souvent au locataire. Par exemple, en Allemagne, le fait d’avoir une bonne note de performance énergétique ne semble pas influer sur le loyer (inf. supp, p.9SM-8)
- L’investissement dans la décarbonation des bâtiments était estimée à 164 milliards de dollars en 2020, ce qui ne serait pas assez. (p.956)
L’étude se répartit en trois axes : Suffisance, Efficacité et Renouvelabilité (SER).
- La suffisance est l’équivalent de sobriété: le fait d’avoir une demande globale moins forte. Il faudrait par exemple diminuer la demande de m² par personne, concevoir des bâtiments denses, compacts et bioclimatiques (?), favoriser l’utilisation circulaire des matériaux, l’adaptabilité des logements à l’évolution des besoins du foyer, optimiser l’utilisation des bâtiments par des changements de mode de vie, etc. Ce type de mesure pourrait réduire de 17% les émissions du secteur en 2050. Ces changements seraient, en plus, rentables pour ceux les mettant en œuvre. (p.955) Parmi les technologie approfondies, cela inclut toutes les mesures qui ne demandent pas d’énergie pour fonctionner :
- de meilleurs matériaux d’isolation,
- des murs de Trombe, des murs végétaux, des systèmes PCM, des murs AAC, des murs à double peau,
- des toits refroidissant, des « roofs ponds » et des toits verts. (p.979)
- L’efficacité porte sur la capacité à répondre à la demande avec le moins d’énergie possible. Les mesures d’efficience (EJ/m²) sont l’amélioration continue des technologies. Elles pourraient diminuer de 30% les émissions d’ici 2050. Parmi les technologies approfondies, cela inclut des mesures qui améliorent l’intensité énergétique:
- Des « thermally activated building systems«
- les pompes à chaleur, des cycles organiques de rankine, des systèmes de récupération de chaleur, des piles à combustible
- des « Adiabatic/Evaporative condensers« , de la ventilation intelligente
- Du stockage d’énergie thermique
- « Liquid pressure amplification« , « Chilled-ceiling« , « Desiccant cooling« , « Ejector cooling » et « Variable refrigerant flow » (p.979)
- Les mesures « renouvelables » visent à réduire l’impact environnemental de la demande (MtCO2/EJ). Elles diminueraient les émissions de 43% d’ici 2050. Cela inclut :
- De l’énergie géothermique ou des pompes à chaleur géothermiques
- de l’énergie solaire photovoltaïque ou thermique
- de l’énergie biomasse (p.979)
Plus loin (p.1006), ce sont les catégories suivantes qui sont évoqués :
- conception et performance des bâtiments
- changement dans les méthodes de construction et économie cirulaire
- amélioration de l’enveloppe
- chauffage, ventilation et air conditionné (HVAC)
- Efficacité des appareils ménagers
- Changement dans les matériaux de construction
- « Demand Side management » (= réduction de la demande)
- Production d’énergie renouvelable
Les solutions « no tech » (NT)
Les mesures « non-technologiques » seraient « clé » pour des bâtiments bas carbone. (p.983-) Par exemple, des bonnes pratiques simples comme mettre les réfrigérateurs loin des radiateurs et des fours. Cela peut être plus extensif, comme le fait de minimiser le besoin de chauffage en portant des vêtements plus chauds. On distingue deux types de gestion :
- La gestion passive fait référence à des ajustements dans le comportement humain, comme l’adaptation des vêtements ou l’organisation des activités dans les pièces pour minimiser l’utilisation de l’énergie.
- La gestion active concerne le contrôle humain des systèmes énergétiques du bâtiment, où des pratiques d’éclairage et de cuisson efficaces peuvent réduire considérablement la consommation d’énergie. Cela peut être aussi simple que de mettre le couvercle sur la casserole quand on cuit ou de fermer les lumières inutilisées. L’ajustement de la température en hiver et en été peut permettre des économies d’énergie de 5 à 25%. Différer ses usages permettrait de réduire de 10 à 20% le besoin d’électricité lors des pics de consommation. Les applications de maison intelligente (smart home) pourraient faciliter ces pratiques.
Des technologies aux multiples effets positifs
Les actions préconisées génèreraient de nombreux bénéfices additionnels (p.1000 – 1005).
Elles permettraient de diminuer la pauvreté énergétique. En effet, en 2018, 790 millions de personnes n’avaient pas accès à l’électricité et 2,8Md reposaient sur des combustibles polluants dans des outils peu efficients, générant de la pollution intérieure. 3,8 millions de décès seraient causés par ces pratiques en 2016. L’amélioration de ces appareils ménagers, l’utilisation de combustibles liquides comme l’éthanol et le biogaz et l’électrification des usages permettrait de lutter efficacement contre ce fléau. (p.1000)
Même en Europe, 44,5 millions de personnes ne pouvaient pas garder leur foyer au chaud en 2016 et 16,3% avaient es dépenses d’énergie disproportionnées. Aux États-Unis 25 millions de foyers ont du renoncer à de la nourriture ou des médicaments pour payer les factures d’énergie. En bref, la précarité énergétique est un problème mondial. C’est un problème en termes de confort (ce qui peut être très stressant), mais aussi de santé: le froid et l’humidité en hiver augmentent plusieurs types de maladies. Les mesures préconisées permettraient de réduire cette précarité.
Une amélioration de la qualité de l’air et du confort thermique serait également associé à une meilleure productivité pour les bâtiments commerciaux. (1p.004)
Une meilleure isolation thermique pourrait aussi améliorer l’isolation sonore, par exemple avec l’installation de double-vitrage, ce qui aurait des effets positifs considérables: au Royaume-Uni, ces avantages pourraient représenter 400£ de livre en 2030. (p.1003)
Informations supplémentaires: le cœur du document
Le document de « information supplémentaire » ajouté à ce chapitre est particulièrement intéressant. Il détaille en effet les différentes solutions envisagées.
- Les stratégies passives pour mur
- L’amélioration des matériaux d’isolation, permettant de protéger le logement du chaud et du froid. Les matériaux conventionnels sont dérivés de substances pétrochimiques, mais les nouveaux matériaux, plus durables, sont aussi plus chers. En outre il faut faire attention à ne pas briser la « barrière d’isolation » au risque de créer un pont thermique. Des études montrent que les économies d’énergie peuvent aller de 28 à 64%.
- Les murs « de Trombe » sont des systèmes utilisant une plaque devant le mur pour retenir la chaleur. Cela permettrait de réduire le besoin de chauffage et de réduire l’humidité dans les régions humides. Leur installation est peu chère, mais ces murs peuvent aussi retenir la chaleur lors de fortes chaleurs. Les chiffres cités, ~20-40% ne se basent que sur des simulations.
- Les murs / façades végétaux réduisent les pertes et gains de chaleur tout en étant esthétiques. Les gains des études citées s’échelonnent entre 12 et 58,9%. Leur désavantage sont leur difficulté d’entretien, leur besoin d’eau et qu’ils peuvent héberger des insectes indésirables.
- Les systèmes de mur PCM (Phase Change Materials) consistent à stocker l’énergie excédentaire à l’intérieur même du mur. cette solution a des challenges importants (faible conductivité thermique, inflammabilité, faible stabilité thermique et chimique) et les études semblent peu concluantes (0-29%).
- Les murs « Autoclaved aerated concrete (AAC) » (ciment aéré par autoclave) sont des murs de ciment aérés, avec de nombreuses micro-bulles fermées qui renforcent les propriétés isolantes du ciment. Leur désavantage est qu’ils sont plus chers, moins résistants et consomment plus d’énergie à concevoir. La seule étude référencée évoque un gain de 7% en matière d’isolation.
- Les murs à double peau consistent à avoir un mur composé de deux parois avec un vide au milieu. Ils coutent plus cher, peuvent augmenter la chaleur lorsqu’il faut chaud. Des études chiffrent leur efficacité entre 8 et 51%.
- Les stratégies passives pour les toits
- les « Cool roofs » (toits froids) sont des toits avec une peinture réfléchissante, renvoyant les rayons du soleils. Ils sont intéressants dans les zones chaudes, mais pas dans les climats froids, vu que leur effet refroidissant fonctionne indépendamment de la chaleur.
- Les « roof pond » (mares de toit) consistent en une petite marre sur le toit pouvant être couverte automatiquement. C’est intéressant pour lutter contre la chaleur et contre le froid. Néanmoins, elles augmentent le poids, posent un risque de fuite et ne sont des options que pour les habitation à toit plat d’un ou deux étages. Le gain peut être de l’ordre de 30%.
- Les toits végétaux ont de nombreux atouts, comme les parois vertes et ont le même problème: la maintenance. Les gains sont faibles mais notables (7-16%).
- Les technologies améliorant l’efficience (mixte)
- Les « Thermally Activated Building Systems » (TABS) sont des systèmes pouvant faire du chaud ou du froid grâce à des tuyaux dans les murs. Ils permettent de réduire les besoins en énergie, mais ont une forte inertie. Les gains seraient de l’ordre de 15 à 24%.
- Les pompes à chaleur sont des solutions permettant de réduire la consommation d’énergie jusqu’à 60%.
- Les machines à cycle organiques rankine est une machine produisant de l’électricité à partir de chaleur grâce à un « cycle thermodynamique de Rankine » utilisant un fluide organique. C’est une technologie qui demande beaucoup d’espace et demande un investissement élevé. Son efficacité serait de 41% en période chaude et 63% en période froide.
- Ventilation intelligente
- Il y a trois technologies de système se stockage de chaleur disponibles: sensible, latent et thermochimique. Néanmoins elles couteraient particulièrement cher.
- Les technologies améliorant l’efficience (chauffage)
- Système de récupération de chaleur (pompe à chaleur à air vicié ?)
- Les piles à combustibles transforment de l’hydrogène en électricité et en chaleur. elles représentent néanmoins des coûts importants. [je n’ai pas compris leur calcul, surtout vu le prix et la faible disponibilité commerciale de l’hydrogène]
- Les technologies améliorant l’efficience (refroidissement)
- Les condensateurs adiabatiques ou à évaporation sont des systèmes de refroidissement efficaces dans des climats chauds et secs.
- Le refroidissement direct par évaporation
- Le refroidissement indirect par évapiration
- « Liquid pressure amplification »
- « Ground-coupled »
- Toit refroidi (chilled ceiling)
- Le refroidissement par dessiccant est une technologie de climatisation qui utilise des substances chimiques pour retirer l’humidité de l’air. Il s’agit d’une alternative écologique et économe en énergie aux systèmes de climatisation traditionnels basés sur le cycle de réfrigération à compression de vapeur.
- Le refroidissement par « éjecteur » (« ejector cooling »)
- « L »Variable refrigerant flow »
- Les technologies améliorant la « renouvelabilité »
- L’énergie géothermique ou les pompes à chaleur géothermiques. [je n’ai pas compris pourquoi ils en parlent ici, vu qu’ils ont déjà évoqué les pompes à chaleur précédemment et que le fonctionnement d’une PAC géothermique n’est pas fondamentalement différent d’une PAC aérothermique]
- Le solaire photovoltaïque
- Le solaire thermique [rq: ils présentent un intérêt beaucoup plus important, montant à 75,8% en hiver. Je suis un peu dubitatif, vu que cette technologie a très peu le marché grand public)
- L’énergie biomasse a l’intérêt d’être peu chère, abondante et présente dans les pays peu développés. Son problème est la libération de polluants et l’emprise au sol.
Annexe
J’ai fait l’impasse sur plusieurs passages du rapport, qui me semblaient peu utiles / opérationnels:
- Le rapport discute plusieurs rapports / tendances (p.963-974),
- Le passage sur l’énergie / le carbone « embodied » dans les matériaux (p.975-978) que je n’ai pas compris. A priori, la réponse se trouverait dans cet article : https://www.researchgate.net/publication/344049062_Advances_Toward_a_Net-Zero_Global_Building_Sector
- La discussion sur les méthodes pour inciter le changement (p.1007-1016)
Type d’appareil d’éclairage | Code dans le plan | Lumens par watt [lm W-1] | Température de couleur [K] | Durée de vie [h] | Consommation d’énergie [W] |
---|---|---|---|---|---|
Incandescent | InC | 13.9 | 2700 | 1000 | 60 |
Incandescent à bougie | CnL | 14.0 | 2700 | 1000 | 25 |
Halogène | Hal | 20.0 | 3000 | 5000 | 60 |
Fluorescent TL8 | FluT8 | 80.0 | 3000–6500 | 20000 | 30–40 |
Fluorescent compacte | CfL | 66.0 | 2700–6500 | 10000 | 20 |
LED GLS | LeD | 100.0 | 2700–5000 | 45000 | 10 |
LED projecteur | LeD Pin | 83.8 | 2700–6500 | 45000 | 8 |
Fluorescent T5 | FluT5 | 81.8 | 2700–6500 | 50000 | 22 |
LED DT8 | LeDT8 | 111.0 | 2700–6500 | 50000 | 15 |