Airthium: pompe à chaleur industrielle et stockage d’énergie

Airthium est une startup greentech – deeptech développant trois solutions tournant autour d’un moteur de Stirling, une sorte de pompe à chaleur réversible :

  • La production de chaleur industrielle jusqu’à 550 °C à partir d’électricité, à un prix à terme compétitif comparé au gaz naturel.
  • Un système de stockage saisonnier d’électricité permettant de combler les périodes creuses de production éolienne et solaire combinant
    • le stockage à court terme d’électricité dans des sels fondus (sous forme de chaleur) ce qui, grâce au moteur de Stirling, permettrait un stockage utilisant des matériaux communs avec un rendement de 70 %.
    • la production d’ammoniac, qui peut être ensuite transformé en chaleur grâce à un brûleur, puis en électricité grâce au moteur de Stirling.

Ce dernier permettrait de fiabiliser un système électrique reposant sur l’éolien et le solaire.

L’entreprise Airthium

Airthium a été fondée en mars 2016 par Andreï Klochko et Franck Lahaye. La naissance d’Airthium est racontée par l’interview donné par Andreï Klochko pour l’École polytechnique:

« L’idée d’Airthium a germé en 2008 lorsque j’ai eu connaissance d’une technologie au croisement de la mécanique des fluides et de l’électromagnétisme, mais ce n’est qu’à l’issue de ma thèse au Laboratoire de Physique des Plasmas de l’X que j’ai pu l’appliquer au stockage de l’énergie en travaillant sur la conception d’un nouveau type de compresseur de gaz. En 2014, lorsque nous avons été successivement lauréats du prix Gérondeau – Safran et du Concours mondial de l’innovation de Bpifrance, j’ai compris que notre projet avait convaincu et j’ai mesuré tout son potentiel.  Je m’y suis alors consacré à temps plein et Airthium a officiellement été créée en mars 2016 »

https://www.polytechnique.edu/fondation/actualites/toutes-les-actualites/airthium-la-start-qui-revolutionne-le-stockage-de-lenergie

L’entreprise a été incubée par le prestigieux Y Combinator en 2017. Elle a levé 500k€ auprès de plusieurs investisseurs, dont Y Combinator.

Hébergée jusqu’en 2019 à l’École Polytechnique, la startup était jusqu’à récemment installée dans le Campus Innovation d’Air Liquide, avant de déménager ce mois d’Octobre pour un local dédié à Villebon-sur-Yvette (91).

Elle a levé ~1.3 millions d’euros en crowdfunding en 2021 et lève actuellement un second tour de table, à nouveau en crowdfunding (source: interview).

Elle a levé 3M€ en mars 2024, dans une levée menée par daphni aux côtés d’Eren Groupe S.A. et Polytechnique Ventures.

Sur le plan industriel, ils prévoient un prototype de 1kW en 2023, un démonstrateur de pompe à chaleur dès l’année suivante et un modèle industriel de 1MW en 2025. (https://airthium.com/about_us)

Ensuite, des pompes à chaleur de plus grande ampleur (20MW) seraient disponibles en 2028. Le stockage saisonnier d’énergie est prévu pour 2030 à petite échelle (50MW) et 2035 à grande échelle (1GW).

L’équipe d’Airthium à côté de son moteur Stirling Crédits: Airthium

Questions et réponses

– Sur le principe de la solution Airthium

  • Discover The Greentech (DTG) : Si j’ai bien compris, vous proposez une pompe à chaleur industrielle pouvant capter la chaleur entre 100 et 500°C ou la chaleur atmosphérique à partir de -50°C et vous restituez à la chaleur désirée, c’est bien cela ? Quelle est la différence entre la chaleur que vous ne pouvez capter qu’à partir de 100°C et la chaleur atmosphérique ?
  • Airthium : Effectivement notre pompe à chaleur peut capter la chaleur fatale (chaleur produite par un procédé mais qui n’est pas valorisée) ou atmosphérique et la restituer à la température désirée (jusqu’à 550°C). Nous sommes capable de capteur la chaleur à partir de -50°C jusqu’à 550°C, il n’y a pas de différence de fond entre la chaleur atmosphérique et celle à 550°C.
    Selon les températures de captation et restitution la pompe à chaleur fonctionne différemment : le fluide de travail peut changer (eau entre 20°C et 80°C, huile jusqu’à 250°C et sels fondus pour atteindre 550°C), mais c’est surtout le COP (coefficient de performance) qui est impacté.
    Le COP caractérise l’efficacité de la pompe à chaleur, une résistance possède un COP de 1 (1 joule d’électricité = 1 joule de chaleur), l’avantage de la pompe à chaleur est de posséder un COP supérieur à 1. Dans notre cas, en allant de 20°C à 200°C nous avons un COP de 1.9, mais si l’on va de 100°C à 200°C notre COP est de 2.7.
  • DTG : Est-ce que vous pouvez expliquer en quelques mots le fonctionnement d’une pompe à chaleur ? En quoi est-ce plus efficace d’une résistance ? Un profane penserait qu’un 1 joule d’énergie électrique donnerait un 1 joule de chaleur, c’est plus compliqué que cela ?
  • Airthium : L’efficacité supérieure à 1 de la pompe à chaleur peut paraitre étonnante mais elle est tout à fait fondée sur des principes thermodynamiques. Le travail de la pompe à chaleur est en fait de déplacer des calories de la source froide vers la source chaude. L’électricité ne sert donc pas directement à créer de la chaleur mais à déplacer les calories. C’est par ce biais qu’elle peut être plus efficace qu’une résistance. Elles sont d’ailleurs déjà largement employées dans les habitations et l’industrie.
  • DTG : Comment est transmise la chaleur ? Air, liquide, métal ?
  • Airthium : La chaleur est captée au niveau du procédé froid par un échangeur de chaleur, qui la transmet à un fluide (eau, huile, sels fondus) ce dernier est envoyé vers notre pompe à chaleur. A l’intérieur il va interagir avec de l’hélium gazeux qui va permettre le déplacement des calories de la source froide vers la source chaude. On récupère alors un autre fluide (eau, huile, sels fondus) qui a été chauffé par la pompe à chaleur, celui-ci est envoyé vers l’échangeur de chaleur côté chaud pour réchauffer le procédé chaud.

– Sur les utilisations :

  • DTG : Je vois que vous parlez d’utiliser votre chaleur pour le ciment. Or, il me semblait que, pour retirer le carbone du calcaire, il fallait le chauffer à extrêmement hautes températures (>1450°C). Est-ce que vous allez aussi haut ? Même question pour le verre et le métal, pour quel processus et comment est-ce que votre procédé peut-être utilisé ?
  • Airthium : Notre pompe à chaleur peut être employée dans les domaines du ciment, du métal et du verre mais cela ne veut pas dire qu’elle sert directement au processus principal (fonte des métaux ou verre par exemple). Ces industries ont besoin de températures modérément élevées pour d’autres applications, le séchage, le traitement thermique, le maintien en température… C’est sur ce genre de processus que nous pouvons intervenir.

– Sur le système de stockage d’énergie :

[Ici nous allons notamment discuter du schéma de leur système de stockage saisonnier]

  • DTG : J’ai un peu du mal à comprendre votre schéma: pourquoi produire de l’ammoniac ? Prendre la chaleur de l’eau ? Le « Airthium Stirling Engine » est-il dépendant de ces deux procédés spécifiques ? Ou est-ce qu’il s’agit d’exemples d’utilisation ?
  • Airthium : Le moteur de Stirling Airthium est la machine que nous construisons, celle-ci peut à la fois être employée comme pompe à chaleur et comme moteur de Stirling. Le moteur de Stirling est une machine thermique qui peut produire de la chaleur à partir d’électricité (mode pompe à chaleur, COP jusqu’à 3.5) ou de l’électricité à partir de chaleur (mode moteur, rendement thermique>électrique jusqu’à 50%). Nous prévoyons de commencer par produire des pompes à chaleur afin de développer notre technologie et fiabiliser le système avant de nous lancer sur le marché du stockage d’énergie (qui demande un investissement en capital conséquent).
    Notre système de stockage fonctionne de manière hybride : pour le stockage journalier nous utilisons des sels fondus ou du sable comme stockage purement thermique, mais notre avantage principal est le stockage saisonnier (très longue durée), pour lequel nous avons besoin de l’ammoniac (NH3).
    Avec un parc énergétique qui repose sur les renouvelables il existe un risque (quelques fois par an) de baisse importante de la production (plus/peu de soleil et de vent en même temps). Il faut donc palier à ce manque par des capacités de stockage.
    L’ammoniac est un carburant de synthèse, dont la combustion ne génère pas de CO2 et quinze fois moins onéreux à stocker que l’hydrogène. Lors des surplus de production renouvelable nous produisons l’ammoniac à partir d’électricité puis on le stocke dans des réservoirs de grande capacité sous forme liquide (il est facile à stocker et il existe déjà toute une industrie qui maitrise cette technologie). On peut faire le parallèle avec les réserves de gaz naturel qui sont aujourd’hui utilisées. Lorsque la demande dépasse la production, l’ammoniac est brûlé (dans un brûleur développé pour limiter les émissions de NOx) pour réchauffer les sels fondus, qui sont ensuite envoyés vers le moteur de Stirling pour générer de l’électricité.
  • DTG : Est-ce que vous pouvez préciser les grandes lignes de ce système ? Quel serait son rendement ? Quel serait le support du stockage (liquide, gaz?) ? Est-ce que la stabilité du système demande un entretien particulier (maintien de condition de températures / de pression / autre) ?
  • Airthium : Le rendement aller/retour du stockage journalier thermique avoisinera 70% (contre 80-90% pour les batteries lithium-ion, qui se déchargent plus rapidement, utilisent des terres rares, sont onéreuses et présentent un risque d’emballement thermique). Le fluide (sel fondu ou sable) sera stocké dans des cuves isolées thermiquement permettant de minimiser la déperdition de chaleur. Le sel fondu demande un maintien en température minimal afin de ne pas se solidifier. Celui-ci sera garanti par la température minimale des réservoirs, nettement plus élevée que la température de solidification, et lorsque le solaire et le vent feront défaut, par la combustion d’ammoniac..
    Comme évoqué précédemment le support de stockage saisonnier est de l’ammoniac liquide (-33°C sous 1atm) avec un rendement aller/retour électrique proche de 30%. Ses conditions de stockage sont très proches du propane. Le stockage d’ammoniac est déjà une industrie établie et mature, sur laquelle nous pouvons nous appuyer.

Discussion avec le CEO, Andreï Klochko

J’ai ensuite pu discuter avec le CEO d’Airthium, Andreï Klochko, pour approfondir quelques points, principalement autour de la solution de stockage d’énergie. J’ai noté entre [ ] les passages que j’ai repris ou synthétisés.

Le principe du système de stockage d’énergie long terme

  • DTG : La solution de stockage journalier utiliserait donc des matériaux très disponibles pour une efficacité de 70% ? C’est très intéressant, qu’est-ce qui empêche cette solution d’être plus durable ?
  • Andreï Klochko : C’est-à-dire, de stocker plus de 40 heures ?
  • DTG : Oui voilà ..
  • Andreï Klochko : C’est juste trop cher. […] Les stockages d’énergie saisonniers compensent un manque de solaire et d’éolien qui […], 2 à 4 semaines par an, [..] peuvent baisser significativement sur de très grands territoires en même temps. Que ce soit toute la France ou toute l’Europe. Pour ces moments-là, on devra garder des centrales [, actuellement surtout à gaz, qui devront, en plus] rentabiliser leurs coûts fixes avec seulement 1 mois de vente d’énergie. Donc soit, elles vendent leur énergie très cher, soit elles sont subventionnées. [Pour le stockage], tout est histoire de prix au kWh. [Les batteries] lithium-ion, c’est 200$ au kWh en capital […], avec le sel fondu c’est 60$ le kWh et pour l’ammoniac, c’est quelque chose comme 2$ le kWh. Le problème, c’est que ces 2$, c’est un optimum. Si on n’utilise que de l’ammoniac, alors l’équipement de production d’ammoniac coûte trop cher et, à cause du rendement (30%), il faudra un champ solaire [ou éolien] trop gros ; si on ne met que du sel fondu, […] ça coûte trop cher. L’optimum, pour atteindre ces 2$, c’est d’utiliser un mix des deux.

En d’autres termes, le stockage au sels fondus permettrait de lisser la production d’électricité à court terme pour limiter les besoins en puissance de la fabrication d’ammoniac. Le grand avantage de l’ammoniac est qu’il ne coute pas cher à stocker. Au moment de la baisse de production, l’ammoniac est brûlé et transformé en électricité grâce à leur moteur Stirling, par un procédé limitant les émissions d’oxydes d’azote (NOx).

Ensuite se pose la question de la puissance du moteur de Stirling. En effet, il va être utilisé pour lisser la production d’électricité destinée à la production d’ammoniac toute l’année, puis, un mois dans l’année, devoir brûler toute ou une large partie de l’ammoniac stocké.

« L’ammoniac est fabriqué au compte-goutte toute l’année et brûlé un mois dans l’année. Donc il y a une asymétrie de puissance. Si jamais on a 1GW de puissance de sortie, alors le champ solaire fera de 3 à 5 GW crête […] et le brûleur fera quelque chose comme 2GW thermique, mais les centrales de Haber-Bosch + les électrolyseurs feront quelque chose comme 600 MW. [A titre de comparaison, si on ne dépendait que de l’ammoniac, il faudrait au moins 3 GW d’électrolyseurs, en plus d’un champ solaire plus de 2 fois plus grand. Tous ces nombres dépendent bien sûr fortement du cas considéré.] »

Limiter les NOx

Utiliser, en fin de chaine, la combinaison d’un brûleur et du moteur de Stirling est aussi un avantage permettant de limiter les NOx:

  • DTG : Dans votre interview pour l’X, vous parliez de transformer des combustibles renouvelables en électricité. Est-ce que votre solution est plus efficace en cela qu’un système classique (à turbine) ?
  • Andreï Klochko : L’avantage, c’est qu’elle est mutualisée [= le moteur stirling de Stirling est utilisé à la fois dans le stockage court terme par pompage de chaleur, et dans le stockage saisonnier par ammoniac]. [Une force de notre solution,] est qu’il y a une combinaison de petits avantages [qui s’additionnent en un gros avantage]. On aurait pu brûler l’ammoniac dans une turbine, mais ça [n’est pas intéressant], parce que cela produit plein de NOx. Nous on compense ça en ayant un brûleur externe, [appareils qui peuvent être optimisés pour émettre nativement (avant filtration) moins de NOx, ce qui facilite la filtration].

L’arbitrage entre engrais et électricité

  • DTG : Quel est l’arbitrage entre utiliser l’ammoniac produit pour regénérer de l’électricité et l’utiliser pour faire des engrais ?
  • Andreï Klochko : Les deux fonctionnent. Les premières fois que le système sera installé, il sera encore cher, donc il sera installé dans des îles ou en Alaska [par exemple], dans des endroits [reculés]. Plus on va en installer, plus les coûts unitaires vont baisser et au bout d’un moment on sera assez peu chers pour produire les engrais aussi. […] C’est d’ailleurs pour ça qu’on a la proposition de valeur pompe à chaleur avant, pour baisser à fond les coûts du moteur de Stirling et pouvoir l’industrialiser [suivant en cela l’exemple de l’industrie automobile].

L’approvisionnement en eau

Andreï m’a aussi un peu expliqué le bas du schéma du système de stockage Airthium. Le système de stockage d’énergie utilise de l’eau en cycle fermé et est exposé au gel s’il utilise de l’air/eau trop froid (ce qui peut être problématique dans les pays très froids). Pour y parer est prévu un stockage d’eau pour le refroidissement. Il y aurait également des tours de refroidissement, le système diffusant tout de même de la chaleur, surtout par temps chaud. Concernant le besoin d’eau pour la synthèse d’ammoniac, une grande partie est récupérée lors de la combustion d’ammoniac, par condensation de l’eau contenu dans le flux sortant du brûleur.