« Climat : Comment éviter un désastre » de Bill Gates

On connait Bill Gates comme le fondateur de Microsoft, comme le (ou l’un des) homme le plus riche du monde ou encore comme philanthrope. Il s’est toutefois penché de plus en plus sur l’écologie et vient de publier un livre extrêmement intéressant, que nous allons commenter ici: “How to avoid a climate disaster. The solutions we have and the breakthrough we need.” (en français : « Climat : Comment éviter un désastre« )

(rq: j’ai travaillé à partir de la version anglaise. Je traduirai directement)

Nous commencerons par en proposer une courte synthèse, avant de présenter son déroulé, puis d’en faire le commentaire.

Synthèse

Le livre est divisé en trois grandes parties :

  • Les chapitres 1 à 3, dans lesquels Bill Gates pose le cadre de réflexion (les problèmes et la démarche).
  • Les chapitres 4 à 9 dans lesquels il développe les technologies qu’il faut développer pour supprimer les sources d’émission.
  • Les chapitres 10 à 12, dans lesquels il aborde la dimension pratique, comment réussir à faire arriver le changement.

Le coeur du plan peut se résumer en ces trois étapes :

  • Décarboner l’électricité
  • Électrifier ce qu’on peut (ex: voitures, processus de production …)
  • Créer des carburants verts pour le reste (ex: avions)

Il y a bien sûr beaucoup d’autres aspects, mais c’est vraiment l’axe central.

Outre les dimensions technologiques, c’est surtout la dimension pratique de son livre qui est vraiment novatrice.

L’auteur présente un plan global prenant en compte la diversité d’intérêts des acteurs et le fait qu’il faut prendre en compte les « règles » du capitalisme pour avancer, tout en ayant conscience de l’impératif d’être équitable et que les pays « riches » ont la responsabilité de mener la marche.

“Climat : Comment éviter un désastre« 

Bill Gates ne s’intéressait, à la base, pas particulièrement à l’écologie. Son engagement humanitaire lui a fait réaliser que l’électricité était crucial pour la qualité de vie. Ce n’est toutefois qu’en 2006 qu’il a pris conscience de la gravité du réchauffement climatique et que l’énergie devait non seulement être disponible et bon marché, elle devait aussi être verte.

Nous émettons actuellement l’équivalent de 51 milliards de tonnes de CO2 (CO2eq) dans l’atmosphère. Il faut atteindre zéro d’ici 2050.

Pourquoi Zéro ?

« La raison pour laquelle nous devons descendre à zéro (émissions). Les gaz à effet de serre (GES) piègent la chaleur, causant l’élévation de la température moyenne de la surface terrestre. […] Et une fois que les GES sont dans l’atmosphère, ils y restent longtemps; environ un cinquième du CO2 émis aujourd’hui y sera encore dans 10 000 ans. »

p.21

Le réchauffement climatique, causé par nos émissions de GES (CO2, CH4, N2O), est un risque dont nous savons peu de choses. Mais rien que cela laisse présager du pire:

  • Des différences de quelques °C de température moyenne à l’échelle de la planète peuvent avoir des conséquences radicales: seulement 6°C nous séparent de la dernière ère glaciaire. La température a déjà, depuis le début de l’âge industriel, augmenté d’ 1°C …
  • Il y aura des événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents et violents: tornades, ouragans, vagues de chaleur, sécheresse …
  • De plus en plus de feux de forêt. Ainsi, en Californie, des feux sauvages se produisent 5 fois plus souvent que dans les années 70.
  • Le niveau des mers va monter, non seulement parce que la glace polaire fond, mais aussi parce que l’eau de mer prend plus de volume en devenant plus chaude.
  • Une augmentation de seulement 2°C diminuerait la biodiversité des vertébrés de 8%, des plantes par 16% et des insectes de 18%.
  • L’approvisionnement en nourriture (cultures, bétail et poissons) pourrait être mis en péril.
  • Les événements extrêmes détruisant les cultures (inondations, sécheresses) étant plus fréquents et à grande échelle, cela va fragiliser les fermiers pauvres et favoriser l’émigration.
  • Le changement climatique serait responsable d’une augmentation de la mortalité aussi grave que le COVID-19 (14/100000) et, d’ici 2100, ce serait 5 fois pire (75/100000).

[Rq: il décrit l’effet de serre]

Pour empêcher ces conséquences catastrophiques, simplement réduire nos émissions, même de 50%, ne sera pas suffisant.

« Et supposons que nous atteignons une réduction de 99%. Quels pays et secteurs de l’économie pourraient utiliser le 1% restant ? Comment pourrions même décider quelque chose comme cela ? »

p.21

Il faut donc réduire les émissions de GES de 100%.

Il faudrait avoir deux axes d’action:

  • L’adaptation: minimiser l’impact des changements.
  • L’atténuation (mitigation): stopper l’aggravation du problème. C’est surtout cela le sujet de ce livre.

Observations: Les évaluations se font en « équivalent CO2 » pour homogénéiser l’effet des différents GES [on regarde l’effet de serre sur 100 ans]. Toutefois, le méthane serait pire que le CO2, car il a un effet beaucoup plus fort à court terme. C’est toutefois la meilleure façon de faire.

Cela va être difficile.

Nous baignons dans les carburants fossiles. Ils sont tellement ancrés dans nos vies qu’il peut être difficile de voir à quel point eux et d’autres gaz à effet de serre imprègnent nos vies.

On va les retrouver dans les brosses à dents (plastique), dans les céréales (ont été produites avec des fertilisants, les tracteurs et transports ont été alimentés au pétrole), dans les vêtements (coton, idem), dans le chauffage, dans vos transports, etc.

Ils sont partout et pour cause : ils ne coutent pas cher. La clé pour déployer à grande échelle des énergies renouvelables et bas carbone est de trouver des solutions aussi peu chères, ou presque, que ce que permettent les énergies fossiles. C’est d’autant plus urgent que, dans plus en plus de pays, la durée et la qualité de vie augmentent et, avec elles, la consommation.

Les énergies fossiles se sont développées rapidement, alors que les énergies renouvelables mettent très longtemps.

La raison est d’abord technologique. Les énergies vertes progressent lentement. Les cellules cristallines en silicone utilisées pour les panneaux solaires sont passées d’un rendement (énergie produite / reçue ) de 15% à leur création dans les années 70 à … 25% aujourd’hui.

La raison est également économique. L’industrie de l’énergie génère 5 trillions de dollars par année. « N’importe quoi d’aussi énorme et complexe va résister le changement. » (p.42) Construire une centrale à charbon coute des millions d’euros: tant qu’elle fonctionne, on aura du mal à revenir sur cet investissement et la fermer.

La raison est politique: nos lois et régulations sont obsolètes. Elles ont été conçues pour répondre à la qualité de l’air ou bien dans un contexte de crise pétrolière, pour économiser de l’essence, pas pour lutter contre le réchauffement climatique. De plus, la politique énergétique change à chaque cycle électoral. Cette instabilité rend difficiles les recherches et les investissements de long terme, qui sont pourtant cruciaux dans l’énergie.

Enfin, la raison est scientifique. Il y a moins de consensus qu’on pense, non pas sur la question du fait que le climat change en raison des activités humaines, mais sur la question de l’ampleur du changement.

Le challenge est donc énorme.

« Pour résumer: nous devons accomplir quelque chose de gigantesque, que nous n’avons jamais fait avant, beaucoup plus vite que tout ce que nous avons fait de similaire. Pour le faire, nous aurons besoin de découvertes en science et en ingénierie. Nous devons bâtir un consensus qui n’existe pas et encourager des politiques publiques à promouvoir une transition qui ne se produira pas sans cela. »

p.46

Cinq questions à poser dans chaque conversation sur le climat

Bill Gates propose de toujours poser 5 questions pour évaluer l’intérêt d’une solution pour éliminer les 51 milliards de tonnes produits par les sociétés humaines.

  • Quel pourcentage des 51 milliards de tonnes est en jeu ?

Cela permet de garder une unité unique, à la place d’indicateurs comme « le nombre de voitures sur les routes ». Cela permet aussi d’avoir l’ordre de grandeur immédiatement visible. Par exemple, la réduction de 17 millions de tonnes / an dont se targue l’aviation en Europe ne représente que 0.03% des émissions totales.

  • Quel est votre plan pour le ciment ?

Un plan pour supprimer les émissions de GES doit prendre en compte toutes leurs sources et cela va largement au-delà du transport individuel ou de l’électricité. Par exemple, faire du ciment et de l’acier représente 10% du total. Il résume :

Faire des choses31%
Se brancher (électricité)27%
Faire pousser des choses19%
Se déplacer16%
Gestion de la température7%

[Il abordera successivement ces 5 thèmes dans les prochains chapitres]

  • De combien d’énergie parle-t-on ?

Lorsqu’on parle d’énergie, il faut avoir en tête les ordres de grandeur :

Le monde5000 gigawatts
Les États-unis1000 gigawatts
Une cité de taille moyenne1 gigawatt
Une petite ville1 mégawatt
Un foyer américain moyen1 kilowatt
  • Combien d’espace est nécessaire ?

L’espace est une ressource précieuse et toutes les énergies n’en monopolisent pas la même quantité :

Source d’énergieWatts / m²
Carburants fossiles500-10000
Nucléaire500-1000
Solaire5-20
Hydraulique (barrages)5-20
Éolien1-2
Bois et autre biomasse<1
  • Combien est-ce que cela va couter ?

La principale raison qui fait le succès des énergies fossiles est qu’elles sont bon marché.

Il faut donc calculer le prix additionnel que devront payer les acteurs pour adopter la solution écologique. Bill Gates appelle cela les « Green Premiums ».

« La taille d’un Green Premium dépend de ce que vous remplacez et de ce avec quoi vous le remplacez. »

p.53

Il prend l’exemple du carburant pour avions. Leur version fossile était en moyenne de 2.22 $ en 2020. Les biofuels, eux, coutaient 5.35 $ par gallon. Le Green Premium dans cet exemple est de la différence, 3.13$.

Parfois, ce montant est négatif: il est rentable d’être écologique ! Par exemple, à Oakland, remplacer une chaudière au gaz et l’air conditionné par une pompe à chaleur électrique diminuerait de 14% vos frais de chauffage / refroidissement.

Garder en tête ces valeurs permet d’évaluer le prix de chaque solution et donc d’avoir le maximum d’effets avec le minimum d’efforts.


L’auteur présente ensuite une réflexion qui montre la complexité de ces sujets. La capture directe de gaz (Direct Gas Capture, DAC) est une technologie « chère et largement non-prouvée » consistant à capturer le carbone dans l’air directement. Il estime que le prix peut descendre à 100$/tonne, ce qui représenterait donc 5.1 trillions par an, soit 6% du PIB mondial. Ce serait extrêmement bon marché au regard des effets attendus du réchauffement climatique.

Toutefois:

  • Il n’y a pas de manière « pratique » de collecter une telle somme et d’être sûr que chacun paye sa « part juste »
  • Il n’est pas certain qu’on puisse stocker efficacement autant de carbone.
  • DAC ne fonctionne qu’avec le CO2, pas avec le méthane et le NO2.
  • Il faudrait construire plus de 50 000 usines de captation.

Comment nous nous branchons (« plug in »)

« Je n’avais pas réalisé à quel point nous reposons sur l’électricité, mais au fil des années j’ai petit à petit compris à quel point elle et essentielle. Et j’apprécie réellement ce qu’il faut pour délivrer ce miracle. En fait, on peut dire que j’ai de l’admiration pour toute l’infrastructure physique qu’il faut pour rendre l’électricité si disponible, fiable et bon marché. »

p.59

L’électricité est quelque chose de fantastique, qu’il va falloir développer encore plus, 860 millions de personnes n’y ayant toujours pas accès. La décarboner en la diffusant et en la laissant aussi accessible va être difficile.

Les énergies fossiles représentent encore la majorité de la production d’électricité, parce qu’elles sont peu chères. C’est notamment parce qu’elles sont soutenues par les gouvernements: l’International Energy Agency (IEA) estime qu’en 2018 elles bénéficient de 400 milliards de dollars de subventions. Encore en 2019, des centrales au charbons totalisant 236 gigawatts d’électricité étaient en construction.

Le green premium pour décarboner l’électricité américaine serait d’environ 15%. Pour cette raison, il sera difficile de pousser les pays émergents à adopter une énergie verte au lieu des énergies fossiles.

Le problème de l’intermittence de l’éolien et du solaire serait aussi un obstacle très important, qui devient de plus en plus pressant à mesure qu’on se rapproche du 100% d’énergies propres. Les batteries nécessaires augmenteraient le « green premium » considérablement, de l’ordre de +200%. C’est encore pire si on prend en compte les variations saisonnières … En plus, il est difficile de transporter l’électricité sur de longues distances.

On sous-estime l’importance de l’infrastructure pour transporter l’électricité, mais ce sera un autre grand chantiers.

Parmi les énergies décarbonées les plus intéressantes il y a:

  • La fission nucléaire

L’auteur résume en une phrase:

« C’est la seule énergie décarbonée qui peut fiablement produire de l’électricité jour et nuit, lors de n’importe quelle saison, à peu près n’importe où sur Terre, et dont la capacité à fonctionner à grande échelle a été prouvée. »

p.71

Le nucléaire est également n°1 quant aux matériaux utilisés pour les centrales: encore moins que le charbon ! (environ 1 000 tonnes de matériaux par TWh, contre >15 pour le solaire et 10 pour le solaire)

Ses seuls problèmes sont que les déchets sont dangereux, que c’est cher à construire et que l’erreur humaine peut causer des incidents dramatiques.

Toutefois, elle reste plus sécure que n’importe quelle énergie fossile (0.07 mort par TWh, contre 24.6 pour le charbon). En outre, les réacteurs que son entreprise TerraPower développe pourraient résoudre tous ces problèmes de sécurité et ils fonctionneraient même avec les déchets d’autres centrales nucléaires !

  • La fusion nucléaire. C’est une énergie extrêmement prometteuse, mais qui est à des dizaines d’années d’être opérationnelle. Le principe est de chauffer certains isotopes d’hydrogène très forts (>50 millions°C) jusqu’à ce qu’ils fusionnent en atomes d’hélium, ce qui libère beaucoup d’énergie.
  • L’éolien offshore. Il y aurait un potentiel de 2000GWh et cette énergie serait particulièrement intéressante parce que le vent marin est plus stable et qu’on pourrait produire de l’électricité plus près des centres urbains.
  • Géothermie. Cela consiste à capter l’énergie de la roche terrestre en l’utilisant pour chauffer de l’eau, qui active une turbine. Le problème est que cela dépend beaucoup du sous-sol et que son potentiel est limité: par exemple, en Grande-Bretagne, cela ne pourrait couvrir que 2% des besoins.

Les solutions disponibles pour stocker l’électricité seraient :

  • Les batteries. Elles ont déjà été l’objet de nombreuses recherches. Bill Gates estime qu’elles ne pourront pas être beaucoup plus améliorées (x3 au plus).
  • Les pompes hydrauliques « STEP« . Vous faites monter de l’eau pour stocker, la faites descendre pour la libérer.
  • Le stockage thermique. Il s’agit de stocker l’électricité sous forme de chaleur dans des matériaux spéciaux. Le rendement est actuellement d’environ 50%. TerraPower envisage d’utiliser des sels fondus pour cela.
  • L’hydrogène bon marché. C’est actuellement très cher, a peu de rendement et est difficile à stocker.

Autres innovations:

  • Capturer le carbone.
  • Utiliser moins d’énergie. (ex: pratiquer le « load shifting » consistant à déclencher la consommation d’électricité quand peu de gens l’utilisent)

Comment nous faisons des choses

Pour faire du ciment, il faut chauffer du calcaire pour séparer le calcium du carbone. Mécaniquement, le carbone, libéré, part dans l’air comme CO2. C’est similaire pour l’acier: on chauffe très fort du fer en présence de coke (une sorte de charbon). Une partie du carbone de ce dernier va, avec le faire, créer de l’acier, et une autre s’en va dans l’air.

Malheureusement, ces deux matériaux sont trop importants pour qu’on s’en passe. Par exemple, le ciment est tellement fantastique, qu’on arrive à faire des ponts flottants avec !

La solution passerait d’abord par le développement de la captation carbone dès l’usine. Le green premium serait de l’ordre de +16-29% pour l’acier et de +75-140% pour le ciment. Une startup propose par exemple de récupérer le CO2 et de l’infiltrer immédiatement dans le ciment produit (-10% d’émissions, cible : -33%).

Il y a aussi l’invention de nouveaux procédés, idéalement, qui reposeraient davantage sur l’électricité (propre). Par exemple, une entreprise développe une méthode, appelée « électrolyse d’oxyde fondu », pour faire de l’acier sans charbon sans émettre de carbone (si l’électricité est « verte »).

Plus largement, améliorer le recyclage de ces matériaux importants et optimiser leur usage pourrait aider.

[L’auteur évoque aussi l’importance du plastique, mais souligne que les problèmes qu’il cause, s’ils sont très sérieux, n’impliquent pas d’amplifier le réchauffement climatique.]

Comment nous faisons pousser des choses.

Il faudra nourrir environ 40% plus de personnes d’ici la fin du siècle, ceci, alors même que l’agriculture représente une large part des émissions de GES, notamment du méthane et du protoxyde d’azote (dont les effets de serre sont respectivement 28 et 265 fois supérieurs au CO2 sur 100 ans). Avec la même productivité par hectare, ces dernières augmenteront de 66%.

Ces émissions viennent principalement:

  • De l’élevage.

Le bétail rote du méthane, ce qui représente 4 % des GES. Les déjections, notamment des porcs et des bovins, libèrent également du protoxyde d’azote. Pour répondre à ce problème, des chercheurs ont essayé de limiter la fermentation entérique. Leurs efforts n’ont néanmoins toujours pas donné de solutions.

Une solution serait d’améliorer l’élevage: les vaches africaines polluent en fait plus que les européennes à production égale. Améliorer leur nourriture et les espèces serait une première voie.

Une autre, plus radicale, serait d’arrêter d’élever du bétail. Toutefois, ce n’est pas réaliste: manger de la viande est important culturellement pour à peu près tout le monde. Diminuer la consommation de viande serait néanmoins possible, notamment grâce à des imitations végétales, comme Beyond Meat et Impossible Food. La viande artificielle est aussi une option, mais elle est encore à un stade expérimental.

Il faudrait enfin limiter le gaspillage, qui serait de 40% aux États-Unis. Les émissions de méthane de cette nourriture laissée pourrir représenteraient globalement 3.3 de milliards de tonnes de CO2eq chaque année.

  • De l’utilisation d’engrais.

La production des engrais synthétiques demande de l’ammoniac, conçu à partir d’hydrogène et d’azote (processus Haber-Bosch). Il y a également beaucoup d’émissions liées au transport et à l’application: une partie se retrouve dans l’air sous forme de protoxyde d’azote. L’ensemble représenterait 1.3 milliards de tonnes de CO2eq.

  • La déforestation

C’est environ 30% du problème actuellement. C’est notamment le problème de l’Amazonie, qui est déboisée, souvent brulée, pour faire de la place pour le bétail. En plus de libérer le carbone du bois, cela a tendance aussi à libérer le carbone du sol. Au Nigéria, c’est pour nourrir la population et en Indonésie pour produire de l’huile de palme.

Notez que la question de savoir si planter des arbres permet de lutter contre le GES est un sujet particulièrement complexe. Toutefois, les ordres de grandeur font que ce n’est pas une solution extraordinaire: il faudrait planter des arbres sur la moitié des terres émergées, en zones tropicales, pour absorber les seuls GES des États-Unis …

Comment nous nous déplaçons (« get around »)

Les émissions liées au transport sont liées à 47% aux voitures et motos, 30% aux poids lourds, 10% aux bateaux, 10% aux avions et 3% à d’autres véhicules.

  • Voitures et motos

Il y a déjà de nombreux véhicules électriques en circulation. Chaque grand constructeur automobile en propose.

La batterie est un des facteurs qui rend l’électrique cher, mais il diminue très rapidement. Son prix a déjà chuté de 87% depuis 2010. Il y a aussi la différence entre les prix de l’essence et de l’électricité. Enfin, il y a le problème de la durée de la recharge: une heure ou plus, contre <5 minutes pour l’essence.

Le bioéthanol fait à base de maïs n’est pas vraiment bas carbone: il mobilise des terres, des tracteurs, de l’essence, etc. Toutefois les biocarburants restent potentiellement intéressants s’ils sont réalisés avec des déchets agricoles.

Il est aussi possible de créer des « électrocarburants », en combinant, grâce à l’électricité (d’où le nom) de l’hydrogène au CO2.

Les véhicules à combustion ne disparaîtront pas rapidement. Pour qu’il y ait 100% de véhicules électriques en 2050, il faudrait que ce soient les seuls véhicules vendus d’ici 15 ans. Ces carburants alternatifs sont donc une partie de la solution.

Le green premium est néanmoins lourds: 106% pour les biocarburants (5$ au lieu de 2.43 / gallon) et 237% pour les électrocarburants (8.2$ au lieu de 2.43 / gallon).

  • Poids lourds

Les gros véhicules relativement légers, comme le bus ou les camions-poubelles, peuvent encore être électriques. Shenzhen a par exemple électrifié sa flotte de 16 000 bus. [même si l’électricité est faite avec du charbon … xX]

Toutefois, ce n’est pas viable pour les semi-remorques, qui doivent souvent rouler de longues distances. Une étude avait calculé que, pour rouler 900 miles, un semi-remorque ne devait transporter … que des batteries.

  • Bateaux et avions

L’électrique n’est pas viable pour ceux :

« Plus le véhicule que vous voulez déplacer est gros, plus grande vous voulez que soit son autonomie, plus dur il sera de l’alimenter à l’électricité »

p.118

Pour utiliser du biocarburant ou de l’électrocarburant, le green premium serait respectivement, pour le carburant d’avion de 141 et 296% et pour le fuel, 326 et 601%.

Comment nous restons au frais ou au chaud.

Le fait de rester au chaud ou au frais représente 7% des émissions de GES. Cela tendra à augmenter si on ne fait rien: l’air conditionné va devenir de plus en plus important à mesure que les vagues de chaleur se multiplieront.

C’est l’une des sources d’émission les plus facile à réduire, puisqu’il suffirait de mieux informer les acheteurs. En effet, les consommateurs achètent souvent des appareils d’air conditionné (A/C) consommant plus. En moyenne, les unités d’A/C vendues sont deux moins efficaces que ce qui est largement disponible (= milieu de gamme ?) et 3 fois moins efficace que les meilleurs modèles.

Il y a également le problème de fuite du réfrigérant. Cela représente 3% des GES des États-Unis.

Les pompes à chaleur seraient un mode de gestion idéal de la température. Elles peuvent non seulement réchauffer, mais aussi refroidir. Leur utilisation pourrait représenter un green premium négatif, c’est-à-dire une économie. Par exemple, sur 15 ans, un système d’air conditionné classique représente une dépense de 11 075$ à Houston, alors qu’une pompe à chaleur reviendrait à 8 074$, soit un green premium de -27%.

Une raison pour laquelle elles ne sont que dans 11% des foyers américains est que les régulations ont longtemps récompensé « l’efficacité » au lieu des émissions, pénalisant les chaudières … électriques. Certaines de ces régulations persistent aujourd’hui.

Pour les chaudières existantes, passer du gaz au biocarburant ou à l’électrofuel représenterait un green premium respectivement de 142 et 425%

Enfin, il faudrait évidemment valoriser l’efficacité énergétique.

S’adapter à un monde plus chaud.

L’innovation appelée dans les chapitres 4 à 8 mettra du temps à être développée et à se diffuser. Entretemps, il faut s’adapter, le dérèglement climatique étant déjà là. Ce sera d’autant plus difficile pour les pays pauvres.

« L’injustice cruelle est que même si les pauvres du monde ne causent basiquement en rien le changement climatique, ils sont ceux qui en souffriront le plus. »

p.137

Il prend l’exemple d’un Kenyan qui, pour améliorer son train de vie, achète une vache. L’expérience est concluante, puisqu’il en achète 3 autres par la suite. Cela a permis à sa famille de reconstruire leur habitat, de faire pousser des ananas et d’envoyer leurs enfants à l’école. Refuser à ces gens d’améliorer leur qualité de vie parce que le bétail pollue n’a pas de sens. En outre, la famine est déjà un problème pressant.

Il est impératif d’aider les fermiers à s’adapter au dérèglement climatique, qui touche durement l’approvisionnement en nourriture. Cela peut passer par la recherche de variétés résistances à la sécheresse (ce que fait le CGIAR) et par des politiques publiques.

Il faudra aussi améliorer la gestion des événements climatiques (prédiction météo, équipes de réponse, etc.). Cela passera notamment par:

  • Repenser l’urbanisme, pour rendre les villes plus résistantes.
  • Développer les « défenses naturelles », comme certains forêts, mangroves ou marécages, qui peuvent permettre de limiter les inondations et mieux gérer l’eau.
  • Développer l’eau potable, qui manque déjà pour de nombreuses mégalopoles.
  • Inciter les acteurs privés à investir dans l’adaptation.

« Votre adaptation anti-inondation ne va pas générer de revenus pour vous; vos consommateurs ne vont pas payer plus pour vos produits parce que vous vous êtes assurés que les égouts ne vont pas refluer dans votre cave lors d’une inondation. »

p.147

Enfin, la géoingénérie est une piste potentiellement intéressante pour gérer l’urgence notamment, par exemple, en rendant les nuages plus lumineux. C’est toutefois difficile sur le plan politique.

Pourquoi les réglementations politiques sont importantes.

[A partir d’ici, on passe dans la troisième grande partie, la dimension pratique: comment faire arriver le changement]

L’EPA (Environmental Protection Agency) a été créée dans le cadre de la lutte contre la pollution de l’air (Clean Air Act).

  • Prendre en compte l’ « investment gap »

L’énergie est un secteur très régulé et où les investisseurs ont peur d’investir dans l’innovation. C’est aux États de prendre le relais pour rendre l’énergie verte assez rentable (ou que sa rentabilité soit assez perçue) pour mobiliser les investisseurs privés.

  • Égalisez le terrain de jeu

Il faut réduire les « Green Premiums » à zéro, non seulement avec l’innovation, mais aussi en incorporant au prix les dommages causés.

  • Dépasser les barrières non-marchandes

Il y a des barrières non marchandes à lever, comme le fait que les propriétaires d’habitations investissent peu dans l’efficacité énergétique parce qu’ils ne paient pas la facture d’électricité.

  • Rester à jour

Les normes peuvent être un frein à l’implémentation de nouveaux matériaux (ex: en construction, un nouveau béton plus bas carbone). Pour l’éviter autant que possible, la réglementation doit donc rester à la page.

  • Planifier une transition juste

Il faut faire en sorte que les personnes dont les emplois sont déplacés (ex: s’ils travaillent dans l’extraction de carburants fossiles) retrouvent des emplois équivalents.

  • Faire aussi les choses difficiles

La plupart des travaux se focalisent sur des points relativement « faciles » (voitures électriques, développer l’éolien et le solaire). Il faut aussi s’intéresser à ce qui est difficile, comme le stockage d’électricité, la production d’acier et de fertilisant, etc.

  • Travailler sur les technologiques, réglementations et marchés en même temps

Il faut « tirer » sur ces trois leviers en même temps et dans la même direction pour être efficace:

« Adopter simplement une réglementation – disons un standard zéro-émissions pour les voitures – ne sera pas efficace s’il n’y a pas la technologie pour éliminer les émissions et les entreprises acceptant de produire et vendre les voitures répondant à ce standard.

D’un autre côté, avoir une technologie de faibles émissions – disons un outil qui capture le carbone d’une centrale à charbon – ne va pas être efficace si vous ne créez pas l’incitation financière pour alimenter les entreprises qui l’installeront.

Et peu d’entreprises feront le pari d’inventer une technologie de zéro-émission si leurs compétiteurs peuvent vendre moins cher des produits conçus à base d’énergies fossiles. »

p.158

L’auteur illustre avec les exemples du nucléaire, des biocarburants avancés et du solaire – éolien.

Un plan pour descendre à zéro.

Il faudrait prévoir dès maintenant d’implémenter les changements qui permettront d’atteindre l’objectif de 0 émissions en 2050.

« Faire des réductions pour 2030 de la mauvaise façon peut, en fait, nous empêcher d’arriver un jour à zéro (émissions). […] Ce sont deux chemins totalement différents, avec différentes mesures de réussites, et nous devons choisir entre eux. »

p.164

Par exemple, il ne sert à rien d’investir pour remplacer le charbon par du gaz naturel. Il vaut mieux viser directement l’énergie bas-carbone.

Les pays riches devraient mener la voie et les pays à revenu modéré prévoir de suivre.

Pour avancer, il faudrait prévoir un plan avec deux aspects:

  • Augmenter l’offre d’innovations (au sens large: non seulement nouvelles techniques, mais nouvelles organisations, business models, réglementations, etc.)

Cela implique d’abord de développer les technologies présentées dans les chapitres 4 à 9 (Hydrogène vert, électrofuels, ciment zéro carbone, etc.). Cela implique d’augmenter les investissements publics dans la R&D, surtout vers des projets « high risk-reward », malgré le souvenir cuisant du scandale Solyndra.

  • Augmenter la demande pour l’innovation (développer les incitations)

Il y a deux phases: la phase de preuve (proof-of-concept ?) et la phase de passage à l’échelle.

La première consiste à confirmer que votre idée, qui marche en laboratoire, marche en vrai. C’est la « vallée de la mort, un endroit où les bonnes idées vont pour mourir. » Les gouvernements ont plusieurs moyens pour leur permettre d’en « sortir vivantes »:

  1. Choisir les solutions vertes en priorité. Les gouvernements ont un pouvoir énorme par le choix de leurs fournisseurs.
  2. Créer des incitations qui diminuent les coûts et les risques (prêts garantis, réductions d’impôts, etc.).
  3. Bâtir les infrastructures (ex: stations de recharge électrique)
  4. Changer les règles pour rendre les nouvelles technologies compétitives.

Pour le passage à l’échelle, les outils sont différents. Par exemple, le fait que le gouvernement achète ou pas est moins signifiant. Il faudrait :

  1. Mettre un prix sur le carbone.
  2. Développer des standards pour l’électricité et les carburants « propres ».
  3. Développer des standards pour les produits « propres ».
  4. Favoriser l’extinction des énergies fossiles (centrales à charbon …)

[Rq: il semble que Bill Gates parlait ici surtout des technologies énergétiques]


Bill Gates décrit ensuite comment les différents échelons de décision peuvent fonctionner. Il prend l’exemple des États-Unis et présente les contributions possibles:

  • Du Gouvernement fédéral
  • Des Gouvernements d’états
  • Des Gouvernements locaux (=collectivités territoriales ?)

Je ne rentre pas dans le détail, c’est très dense.

L’auteur finit en parlant de l’importance des accords internationaux pour éviter les « free-riders » et des difficultés que cela représente.

Il souligne aussi un point important : « faire diminuer le « green premium » que le monde paie n’est pas de la charité. » (p.180) Travailler sur ces sujets favorise l’innovation privée et la recherche du pays en général.

Ce que chacun de nous peut faire.

Chacun de nous a de l’influence en tant que citoyen, consommateur et employé ou employeur.

  • Citoyen

Vous pouvez vous impliquer, en aidant vos élus (surtout locaux) à comprendre que le changement climatique est important et en vous présentant vous-mêmes à des élections.

  • Consommateur

Nous pouvons utiliser notre pouvoir de consommation pour avoir un impact sur le côté « demande » de l’équation, par exemple en achetant de l’énergie verte [aux US. en France on a EDF :p], en réduisant les émissions de votre foyer (énergie consommée, isolation …), etc.

  • Employé ou employeur

Les entreprises privées ont un potentiel d’action énorme: elles peuvent favoriser l’innovation en étant des « early-adopters », aider les startups à traverser la « vallée de la mort » et même fixer une taxe carbone interne.

Commentaire

Je m’attendais à un livre inspirationnel comme il y en a des milliers et j’ai trouvé un livre assez brillant, vraiment intéressant, donnant une vision pragmatique de l’écologie.

On est très loin des errements de Rifkin dans « L’économie Hydrogène » et Bill Gates approfondit davantage la dimension pratique des solutions que Jancovici, dans « Le réchauffement climatique expliqué à ma fille » par exemple.

J’y ai aussi appris énormément de choses, comme le fait que ce n’est pas uniquement l’énergie demandée par la production de ciment qui causait son horrible bilan carbone, mais le processus industriel lui-même (séparer le calcium du carbone). Il va vraiment dans les détails, vous met les mains « dans le cambouis » et ça c’est génial.

Bill Gates donne une vision d’ensemble, pragmatique et nuancée, de la transition écologique. Cela a tombe bien, c’est justement ce dont on a besoin.

Bref, un livre à lire.


Une petite réserve : il y a un petit côté support de communication qui m’a un peu fait froncer un peu les sourcils. Par exemple :

  • Chapitre 1: « Parce que le changement climatique aura le pire impact sur les plus pauvres, et que la plupart de ces derniers sont des fermiers, l’adaptation est un sujet d’intérêt majeur pour la Gates Foundation. Par exemple, nous finançons beaucoup de recherche sur de nouvelles variétés de plantes qui tolèrent les sécheresses et inondations qui vont devenir plus fréquentes et sévères dans les prochaines décades. » (p.32)
  • Chapitre 3: « A Breakthrough Energy, nous ne finançons que des technologies qui pourraient retirer au moins 500 millions de tonnes par an si elles étaient réussies et complètement implémentées. » (p.48)
  • Chapitre 5: « Je suis très optimiste à propos de l’approche de TerraPower, une entreprise que j’ai fondée en 2008, réunissant certains des plus brillants esprits de la physique nucléaire et de la modélisation informatique pour concevoir un réacteur nucléaire de nouvelle génération. » (p.74)

Néanmoins, cela ne me semble pas abusif et s’inscrit raisonnablement dans la continuité de ce qu’il écrit. Il montre que ce qu’il fait est en cohérence avec ce qu’il dit.